dimanche 20 septembre 2015

La victoire de Syriza souligne une volonté de résistance, par Romaric Godin (la Tribune)

 
Si les Grecs n’ont pas voulu reprendre la lutte contre les créanciers et se montrent déçus de la politique, ils leur ont envoyé un message de résistance. A Alexis Tsipras d’en prendre compte, désormais. 
 
Le premier enseignement de ce premier scrutin grec est celui de la lassitude. Le niveau de l’abstention (près de 45 %) est le principal fait de la soirée. C’est dix points de plus qu’en janvier et si l’on ajoute les bulletins blancs ou nuls (2,5 % des suffrages contre 0,5 % en janvier), on peut prendre la mesure du désaveu de la politique en Grèce. On aurait tort de n’y voir qu’un rejet d’un énième scrutin anticipé. C’est bien l’acceptation, le 13 juillet dernier, par Alexis Tsipras des conditions des créanciers qui est à l’origine de ce désaveu. Cette capitulation a prouvé que le vote ne pouvait rien changer aux conditions économiques du pays. Dans ces conditions, à quoi bon voter ? On comprend que beaucoup de citoyens grecs aient préféré ne pas se déplacer ce dimanche. Cette première constatation est une défaite pour une classe politique grecque qui a clairement perdu en crédibilité. Mais c’est d’abord une défaite pour les créanciers qui, pendant six mois, ont tout fait pour effacer le vote du 25 janvier. Ils récoltent ici, par un désaveu de l’acte démocratique, les fruits de leur politique.

L’échec d’Unité populaire

L’autre signe de cette lassitude est la défaite d’Unité Populaire, la scission de gauche de Syriza, constituée de ceux qui, au sein du parti d’Alexis Tsipras, voulaient continuer le combat entamé en janvier et qui ne siègeront pas à la Vouli. En se détournant de ce parti, les Grecs ont fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts à se relancer dans un bras de fer avec les créanciers. La fatigue du combat du premier semestre, l’inutilité de cette bataille, le discrédit de l’aile gauche de Syriza et la situation économique critique ont eu raison de cette tentative. Très clairement, pour les Grecs, le moment de la lutte est passé.

La victoire de la résistance

Mais cette lassitude ne signifie pas que la résignation l’a emporté. Bien au contraire. Si le temps n’est plus à la lutte, il est à la résistance. En redonnant un mandat à Alexis Tsipras, en sanctionnant la droite, en punissant Potami, parti préféré des créanciers et en reconduisant la coalition du 26 janvier, les électeurs grecs leur ont envoyé un message : ils ne doivent pas abuser de leur défaite. Le calcul des Grecs, qui est aussi celui d’Alexis Tsipras, est que ce message sera entendu et que les créanciers en prendront acte lors des négociations sur la dette.

Rejet des anciens pouvoirs

En refusant de redonner le pouvoir à Nouvelle Démocratie, les Grecs ont aussi confirmé leur rejet des anciennes structures. Ils ont confirmé leur besoin de réformes qui avait été nié par les créanciers qui avaient vu dans l’élection de Syriza la volonté d’une « orgie budgétaire » alors que les électeurs souhaitaient s’attaquer à la racine du mal grec : le clientélisme et le pouvoir des oligarques. Là encore, ils ont jugé que seul un homme neuf comme Alexis Tsipras pouvait mener ce travail, malgré le carcan que représentera le mémorandum qui poursuit en grande partie une politique sévère contre les bas revenus.

Le refus d’être « aux ordres » des créanciers

La Grèce n’est donc pas aux ordres, comme pouvaient le rêver les créanciers après le 13 juillet. Alexis Tsipras pourra se passer de l’alliance avec les représentants du « vieux monde » : ND, Pasok et Potami. La défaite de ce dernier, qui a perdu deux points, est particulièrement représentative de l’esprit qui domine en Grèce. En juin et juillet, le chef de Potami, Stavros Theodorakis, avait été reçu en grande pompe à Bruxelles, pendant les négociations. Cet honneur lui aura été inutile et même néfaste. Les Grecs ont puni sa volonté de se soumettre aveuglément aux volontés des créanciers.

La récompense du combattant

Globalement, les électeurs ont rejeté le storytelling des créanciers : celui d’un gouvernement Tsipras qui aruiné leur pays par son combat. Ils ont, en revanche, voulu croire la version d’Alexis Tsipras : faute d’alternative, il a fallu accepter un mémorandum et il faut à présent l’appliquer dans les meilleures conditions. Le choix des Grecs est donc celui de la « résistance passive. » Et cette volonté de résistance se remarque aussi dans ce fait : ce qui a été récompensé ce 20 septembre, ce n’est pas la défaite du 13 juillet, mais la lutte de six mois qu’a menée Alexis Tsipras. L’histoire grecque est pleine de ces luttes, parfois désespérées. Les Grecs savent récompenser celui qui s’est battu, fût-il vaincu au final. Cet esprit de combat a certes disparu depuis le 13 juillet, mais il a rendu la dignité à un peuple qui avait été sans cesse humilié pendant cinq ans avec la complicité de la classe politique grecque.

Un défi aussi pour Alexis Tsipras

Désormais, cependant, la responsabilité d’Alexis Tsipras est immense. Ce résultat est aussi un défi pour lui. Il va devoir être à la hauteur de la confiance que lui auront donnée les Grecs et de cet esprit de résistance. Il lui faudra arracher un accord sur la dette en novembre qui permette de rendre enfin soutenable l’immense stock de dette publique hellénique. Il lui faudra mener à bien les réformes qu’attendent les Grecs, sans tomber dans les erreurs des gouvernements du passé. Il lui faudra enfin résister aux créanciers lorsque viendra l’heure de la révision des objectifs et des inévitables nouvelles mesures d’austérité réclamées par les créanciers.

Les créanciers entendront-ils le message ?

Ce sera une tâche considérable et loin d’être aisée, car le mémorandum est une cage de fer et son gouvernement sera sous étroite surveillance. Les créanciers ont suffisamment prouvé qu’ils se souciaient peu des élections et des mandats populaires. Alexis Tsipras peut donc sortir renforcé de ce scrutin, mais il se retrouvera dès demain face à des créanciers exigeants et qui ont pris, dans le mémorandum, des garanties contre les choix populaires. Ce que ne change pas la victoire d’Alexis Tsipras, c’est le résultat du mémorandum : les choix économiques sont exclus du cadre démocratique.  Alexis Tsipras devra donc tenir un équilibre fort incommode entre les exigences des créanciers – qui ont assez prouvé le peu de cas qu’ils faisaient des élections – et le mandat populaire qu’il a encore reçu ce 20 septembre. Un équilibre qui sera de plus en plus délicat à tenir à mesure que les effets récessifs du nouveau mémorandum qu’il s’est engagé à appliquer seront palpables.

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