La victoire de Syriza souligne une volonté de résistance, par Romaric Godin (la Tribune)
Le premier enseignement de ce premier scrutin grec est celui de la
lassitude. Le niveau de l’abstention (près de 45 %) est le principal
fait de la soirée. C’est dix points de plus qu’en janvier et si l’on
ajoute les bulletins blancs ou nuls (2,5 % des suffrages contre 0,5 % en
janvier), on peut prendre la mesure du désaveu de la politique en
Grèce. On aurait tort de n’y voir qu’un rejet d’un énième scrutin
anticipé. C’est bien l’acceptation, le 13 juillet dernier, par Alexis
Tsipras des conditions des créanciers qui est à l’origine de ce désaveu.
Cette capitulation a prouvé que le vote ne pouvait rien changer aux
conditions économiques du pays. Dans ces conditions, à quoi bon voter ?
On comprend que beaucoup de citoyens grecs aient préféré ne pas se
déplacer ce dimanche. Cette première constatation est une défaite pour
une classe politique grecque qui a clairement perdu en crédibilité. Mais
c’est d’abord une défaite pour les créanciers qui, pendant six mois,
ont tout fait pour effacer le vote du 25 janvier. Ils récoltent ici, par
un désaveu de l’acte démocratique, les fruits de leur politique.
L’échec d’Unité populaire
L’autre signe de cette lassitude est la défaite d’Unité Populaire, la
scission de gauche de Syriza, constituée de ceux qui, au sein du parti
d’Alexis Tsipras, voulaient continuer le combat entamé en janvier et qui
ne siègeront pas à la Vouli. En se détournant de ce parti, les Grecs
ont fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts à se relancer dans un bras de
fer avec les créanciers. La fatigue du combat du premier semestre,
l’inutilité de cette bataille, le discrédit de l’aile gauche de Syriza
et la situation économique critique ont eu raison de cette tentative.
Très clairement, pour les Grecs, le moment de la lutte est passé.
La victoire de la résistance
Mais cette lassitude ne signifie pas que la résignation l’a emporté.
Bien au contraire. Si le temps n’est plus à la lutte, il est à la
résistance. En redonnant un mandat à Alexis Tsipras, en sanctionnant la
droite, en punissant Potami, parti préféré des créanciers et en
reconduisant la coalition du 26 janvier, les électeurs grecs leur ont
envoyé un message : ils ne doivent pas abuser de leur défaite. Le calcul
des Grecs, qui est aussi celui d’Alexis Tsipras, est que ce message
sera entendu et que les créanciers en prendront acte lors des
négociations sur la dette.
Rejet des anciens pouvoirs
En refusant de redonner le pouvoir à Nouvelle Démocratie, les Grecs
ont aussi confirmé leur rejet des anciennes structures. Ils ont confirmé
leur besoin de réformes qui avait été nié par les créanciers qui
avaient vu dans l’élection de Syriza la volonté d’une « orgie
budgétaire » alors que les électeurs souhaitaient s’attaquer à la racine
du mal grec : le clientélisme et le pouvoir des oligarques. Là encore,
ils ont jugé que seul un homme neuf comme Alexis Tsipras pouvait mener
ce travail, malgré le carcan que représentera le mémorandum qui poursuit
en grande partie une politique sévère contre les bas revenus.
Le refus d’être « aux ordres » des créanciers
La Grèce n’est donc pas aux ordres, comme pouvaient le rêver les
créanciers après le 13 juillet. Alexis Tsipras pourra se passer de
l’alliance avec les représentants du « vieux monde » : ND, Pasok et
Potami. La défaite de ce dernier, qui a perdu deux points, est
particulièrement représentative de l’esprit qui domine en Grèce. En juin
et juillet, le chef de Potami, Stavros Theodorakis, avait été reçu en
grande pompe à Bruxelles, pendant les négociations. Cet honneur lui aura
été inutile et même néfaste. Les Grecs ont puni sa volonté de se
soumettre aveuglément aux volontés des créanciers.
La récompense du combattant
Globalement, les électeurs ont rejeté le storytelling des
créanciers : celui d’un gouvernement Tsipras qui aruiné leur pays par
son combat. Ils ont, en revanche, voulu croire la version d’Alexis
Tsipras : faute d’alternative, il a fallu accepter un mémorandum et il
faut à présent l’appliquer dans les meilleures conditions. Le choix des
Grecs est donc celui de la « résistance passive. » Et cette volonté de
résistance se remarque aussi dans ce fait : ce qui a été récompensé ce
20 septembre, ce n’est pas la défaite du 13 juillet, mais la lutte de
six mois qu’a menée Alexis Tsipras. L’histoire grecque est pleine de ces
luttes, parfois désespérées. Les Grecs savent récompenser celui qui
s’est battu, fût-il vaincu au final. Cet esprit de combat a certes
disparu depuis le 13 juillet, mais il a rendu la dignité à un peuple qui
avait été sans cesse humilié pendant cinq ans avec la complicité de la
classe politique grecque.
Un défi aussi pour Alexis Tsipras
Désormais, cependant, la responsabilité d’Alexis Tsipras est immense.
Ce résultat est aussi un défi pour lui. Il va devoir être à la hauteur
de la confiance que lui auront donnée les Grecs et de cet esprit de
résistance. Il lui faudra arracher un accord sur la dette en novembre
qui permette de rendre enfin soutenable l’immense stock de dette
publique hellénique. Il lui faudra mener à bien les réformes
qu’attendent les Grecs, sans tomber dans les erreurs des gouvernements
du passé. Il lui faudra enfin résister aux créanciers lorsque viendra
l’heure de la révision des objectifs et des inévitables nouvelles
mesures d’austérité réclamées par les créanciers.
Les créanciers entendront-ils le message ?
Ce sera une tâche considérable et loin d’être aisée, car le
mémorandum est une cage de fer et son gouvernement sera sous étroite
surveillance. Les créanciers ont suffisamment prouvé qu’ils se
souciaient peu des élections et des mandats populaires. Alexis Tsipras
peut donc sortir renforcé de ce scrutin, mais il se retrouvera dès
demain face à des créanciers exigeants et qui ont pris, dans le
mémorandum, des garanties contre les choix populaires. Ce que ne change
pas la victoire d’Alexis Tsipras, c’est le résultat du mémorandum : les
choix économiques sont exclus du cadre démocratique. Alexis Tsipras
devra donc tenir un équilibre fort incommode entre les exigences des
créanciers – qui ont assez prouvé le peu de cas qu’ils faisaient des
élections – et le mandat populaire qu’il a encore reçu ce 20 septembre.
Un équilibre qui sera de plus en plus délicat à tenir à mesure que les
effets récessifs du nouveau mémorandum qu’il s’est engagé à appliquer
seront palpables.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire