Les preuves du basculement climatique, pour reprendre l’expression de
Daniel Tanuro, se font chaque jour plus évidentes. 2016 a battu le
record de l’année la plus chaude depuis le début des mesures de la
température terrestre1.
Dans le même temps, la planète enregistre un recul sans précédent de
ses banquises. La couverture mondiale de glace de mer a accusé l’année
dernière une perte de plus de trois millions de kilomètres carrés par
rapport à la moyenne 1981-20102.
Autre indicateur notable, celui du « jour du dépassement global », qui
mesure le différentiel sur une année entre les ressources consommées par
l’humanité et celle produite par la Terre. Le résultat est clair : en
moins de huit mois, l’humanité a consommé la totalité du budget
écologique annuel de la Terre3.
L’intérêt de cet indicateur est qu’il permet également de souligné les
responsabilités différenciées entre pays du Nord et pays du Sud, et au
sein de ceux-ci entre classes sociales aisées et classes sociales
défavorisées.
Face à ces preuves évidentes, la communauté scientifique tire un peu
plus fort sur la sonnette d’alarme mais il semble que les décideurs
politiques, guidés par la logique courtermiste, assument ouvertement de
rester sourd aux multiples mises en garde.
Donald Trump, chantre de l’extractivisme et du déni climatique
Aux Etats-Unis, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre,
l’investiture de Donald Trump menace ouvertement les timides avancées
qu’avaient opéré l’administration Obama en matière de politique
climatique4.
Trump qui avait osé tweeter que le réchauffement climatique était un
concept inventé par les chinois, reprend sans ciller les thèses
climato-négationnistes, faisant fi de toutes preuves scientifiques. Par
ailleurs, il nomme le PDG d’ExxonMobil comme Secrétaire d’Etat5.
Suivant la même logique, il promet de reprendre l’exploitation des gaz
de schistes. Même s’il n’y avait pas grand-chose à attendre de la part
d’Obama, l’arrivée du républicain relance la course aux combustibles
fossiles et remet en cause l’équilibre géopolitique précaire issu de la
COP 21.
En décembre 2015, les 195 pays membres de la Convention-cadre des
Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont signé à Paris
un texte qui prévoit de contenir « l’élévation de la température
moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux
niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter
l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux
préindustriels »6.
Si les objectifs affichés sont ambitieux, les moyens pour les mettre en
œuvre laissent à désirer. Les objectifs ne sont pas contraignants, la
référence aux « responsabilités communes mais différenciés », qui
mettent l’accent sur la responsabilité première des pays industriels en
matière de réchauffement climatique, est moins claire que dans le texte
de la CCNUCC, les causes du réchauffement climatiques – l’exploitation
des combustibles fossiles – ne sont pas abordées, mais surtout, la mise
bout à bout des contributions nationales de gaz à effet de serre
(Intended Nationally Determined Contributions, INDC en anglais) mène,
selon les calculs de l’ONU, vers une augmentation de la température d’au
moins 3°C7.
Aussi édulcorés que peut être l’Accord de Paris8,
Trump a annoncé, pour ensuite nuancer sa position, qu’il voulait en
sortir. Il laisse par la même occasion planer le doute sur la position
de la Chine, deuxième émetteur mondial. La Chine pourrait en effet
profiter de la brèche ouverte par Trump pour, elle aussi, revenir sur
ses engagements. L’absence d’avancées conclues lors de la COP 22 à
Marrakech en novembre 2016 illustre cette situation d’incertitude dans
laquelle sont plongés les négociateurs climatiques.
L’Europe à l’avant-garde ?
En matière de politique climatique, l’Union européenne (UE) se targue
souvent d’être aux avant-postes. Il faut le reconnaitre, l’UE est, en
la matière, plutôt un bon élève. Entre 1990 et 2004, les émissions de
gaz à effet de serre ont reculé de 23 % dans l’UE9.
Mais l’UE est un bon élève seulement si on la compare à ses camarades
de classe et non pas si on la place face au défi climatique.
Les études
convergent pour estimer que 80% des réserves prouvées de combustibles
fossiles doivent rester dans le sol pour espérer atteindre les objectifs
fixés lors de la COP 21, et ainsi éviter les conséquences désastreuses
que pourrait occasionner une augmentation trop importante de la
température du globe10.
Selon l’article 194 du Traité de Lisbonne (TFUE), l’énergie est une compétence partagée entre les Etats membres et l’UE11.
Si ce sont les Etats membres qui fixent leur « mix-énergétique », la
part de chaque source d’énergie dans la quantité totale d’énergie
produite, l’UE fixe elle, des objectifs globaux en matière d’efficacité
énergétique, de part des énergies renouvelables et de niveau d’émission
de gaz à effet de serre12.
Le 30 novembre dernier, la Commission européenne a présenté son nouveau
paquet législatif, sobrement appelé « Une énergie propre pour tous les
Européens »13.
On aurait pu attendre que les eurocrates aient pris la mesure du défi
climatique mais il n’en est rien : ils préfèrent attendre Godot en
regardant fondre la banquise.
Le nouveau paquet ne révise pas à la hausse les objectifs largement
insuffisants pour réellement combattre le réchauffement climatique. Ils
refusent de remettre en cause l’extraction des combustibles fossiles. Il
faut dire que selon les Nations unies le système énergétique représente
un cinquième de l’économie mondiale. Les réserves prouvées figurent au
capital des entreprises et des Etats pétroliers. Refuser d’exploiter ces
réserves, c’est donc renoncer à du capital et donc à des promesses de
profit14.
En ardent défenseur de la course au profit, l’UE ne peut donc contester
cette logique implacable. Mais ce ne sont pas là malheureusement pas
les seuls renoncements de l’UE.
Le gaz naturel, les traités de libre-échange et le marché carbone comme politique climatique
Conscient du poids de la question climatique dans l’opinion publique,
l’UE fait attention à ne pas être perçue comme inactive. Dernière
trouvaille en date : la promotion du gaz naturel. Celui-ci est réputé
plus « propre » que les autres combustibles fossiles et il est le
« partenaire idéal » des énergies renouvelables. Les renouvelables étant
par nature soumis aux aléas météorologiques, il leur faut, selon les
promoteurs du gaz, l’appui d’une source d’énergie réputée plus stable.
Il est vrai que le gaz naturel émet beaucoup moins de CO2 que le pétrole
ou le charbon. Toutefois l’UE dans ces calculs ne prend pas en compte
les émissions de méthane. Or lors de son cycle de vie15, le gaz naturel émet de grande quantité de méthane, un gaz qui a un pouvoir calorifique 86 supérieur au CO216. Le gaz est donc loin d’être aussi propre qu’annoncé.
En outre, le développement des infrastructures gazières se fait au mépris de toutes considérations environnementales17.
Pire encore, la promotion du gaz se fait au détriment des énergies
renouvelables. Pourquoi installer des éoliennes si un gazoduc vient
d’être construit ? Le lobby gazier va jusqu’à rentrer dans les conseils
d’administration des lobbies des fabricants d’éoliennes et de panneaux
solaires pour qu’ils revoient à la baisse leurs objectifs. Le gaz n’est
pas non plus une source d’énergie aussi stable qu’annoncée. D’une part
cela suppose des relations géopolitiques « pacifiées » ce qui est loin
d’être le cas avec la Russie. D’autre part, les firmes actives dans le
gaz délocalisent très rapidement les sites d’extraction selon les
conflits sociaux locaux18. La Commission européenne mériterait en somme une récompense pour son excellent greenwashing.
Un autre révélateur de
l’hypocrisie de l’UE en matière de politique climatique est la promotion
qu’elle fait des traités de libre-échange. En négociant le TTIP/TAFTA
avec les Etats-Unis et le CETA avec le Canada, l’UE cherche a abaissé
les normes environnementales des deux côtés de l’Atlantique.
Si ces
traités sont signés, les investisseurs auront la possibilité de
poursuivre les Etats devant des tribunaux d’arbitrage privés pour
contester notamment l’interdiction de la fracturation hydraulique -
celle-ci est autorisée aux Etats-Unis mais est encore interdite en
France par exemple. De plus, en « facilitant » les échanges entre les
deux continents, ces traités commerciaux vont faire augmenter le
transport de marchandises, et par conséquent les émissions de gaz à
effet de serre. En ce sens, Naomi Klein souligne dans son livre « Tout
peut changer » l’incompatibilité entre la logique néolibérale
d’extension du commerce international et la nécessité de diminuer les
émissions de gaz à effet de serre. Pour diminuer les émissions, il faut
obligatoirement réduire la part des transports, un des secteurs les plus
polluants, en relocalisant les économies. Le TTIP/TAFTA ainsi que le
CETA ne feraient, à l’inverse, qu’approfondir la mondialisation
néolibérale.
Le réchauffement climatique ne présente pas que des désavantages pour
les marchés financiers et les grands groupes industriels. Se refusant à
une quelconque régulation contraignante, l’UE a mis en place le marché
carbone (Emissions Trading System, ETS en anglais). Ce marché, le plus
important au monde, permet d’échanger des droits de polluer contre des
crédits carbone. Si ces crédits ne sont pas suffisants, les entreprises
concernées peuvent en acheter de nouveau, souvent à un prix dérisoire19.
Au-delà de l’inefficacité du système, celui-ci conduit, comme le décrit
Razmig Keucheyan dans « La nature est un champ de bataille », à une
financiarisation des écosystèmes. Pour obtenir des crédits
supplémentaires, les entreprises peuvent soit acheter des nouveaux
crédits soit financer des projets supposés absorber du carbone, comme
par exemple la gestion « durable » de forêts primaires. Non seulement
ces forêts sont privatisées mais en outre, par ce biais, elles rentrent
dans la sphère financière20.
Non content d’avoir étendu son emprise sur presque tous les pays de la
planète, le capitalisme étend son influence à la biosphère. Pour
reprendre le concept de Lénine, il s’agit en quelque sorte d’un
impérialisme vert.
Changer de logiciel pour changer de manière d’appréhender la Terre et ses occupants
L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche va sans conteste
relancer le secteur extractiviste. Toutefois le président américain ne
décide pas seul de la politique climatique étasunienne, celle-ci dépend
également des villes et des Etats fédérés. La Californie s’est par
exemple engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de 40% à
l’horizon 203021.
En matière de prospection, Obama a, avant de quitter la présidence,
interdit tous forages d’hydrocarbures dans l’océan Atlantique et l’océan
Arctique22.
Il faut également souligner la victoire des mouvements pour la justice
climatique contre le projet de pipeline Keystone XL ou encore la lutte
de Standing Rocks contre le pipeline DAPL. Ces projets de pipeline sont
directement liés à l’exploitation de sables bitumeux au Canada. Sur ce
point, Justin Trudeau, le premier ministre canadien multiplie les
déclarations contradictoires mais il a encore déclaré récemment qu’il
fallait « arrêter progressivement » l’exploitation de ces sables23.
Les divergences de vues entre les deux mandataires peuvent servir de
points d’appui pour les mouvements sociaux et écologistes
nord-américains24 pour entraver les projets climaticides de Donald Trump.
Cependant, pour véritablement limiter l’augmentation de la
température terrestre en deçà des 1,5°C, les demi-mesures ne suffisent
pas. Il s’agit d’opérer un changement complet de logiciel. Pour cela, la
logique capitaliste, fondée sur la recherche du profit et la croissance
infinie, indépendamment des conséquences que cela implique pour la
planète, doit être renversée. La valeur d’usage doit prendre le pas sur
la valeur d’échange, comme le prône Michael Löwy dans son ouvrage sur
l’Ecosocialisme. La production de biens doit être pensée en termes
d’intérêts sociaux et de couts environnementaux, et non en fonction de
la richesse créée. C’est le sens du rapport récemment publié par la
Plateforme emplois-climat qui propose de créer un million d’emploi
climatique en France en développant certain secteurs économique, comme
les transports en commun ou la rénovation des bâtiments, tout en
s’attaquant au pouvoir de la finance et à la fraude fiscal25.
Ces propositions programmatiques sont complémentaires des mouvements
sociaux, que ce soit ceux contre le projet d’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes en France, de pipeline Keystone XL aux Etats-Unis
ou Ende Galënde pour la fermeture des mines de charbon en Allemagne. En
combinant lutte contre un projet concret, dénonciation des logiques plus
globales et implication démocratique ils permettent de populariser et
soutenir des politiques alternatives.
Pierre Marion
1 http://www.lefigaro.fr/sciences/2016/12/19/01008-20161219ARTFIG00265-ver...
2 http://www.lemonde.fr/climat/article/2016/12/29/l-ampleur-du-repli-des-b...
3 En 2016, le « jour du dépassement global » est tombé le 8 août. http://www.footprintnetwork.org/fr/index.php/GFN/page/earth_overshoot_day/
4 Pour aller plus loin : http://www.lcr-lagauche.org/un-climato-negationniste-ca-trump-enormement/
5 http://www.lemonde.fr/elections-americaines/article/2016/12/13/le-patron...
6 http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09f.pdf
7 https://blogs.mediapart.fr/maxime-combes/blog/071116/les-enjeux-de-la-co...
8 L’Accord de Paris est le texte signé par tous les pays membres de la CCNUCC lors de la COP21 en décembre 2015 à Paris.
9 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-15-5868_fr.htm
10 https://350.org/why-we-need-to-keep-80-percent-of-fossil-fuels-in-the-gr...
11 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Aai0024
12
Le cadre pour le « Climat et l'énergie à l’horizon 2030 » fixe trois
grands objectifs pour 2030: réduire les émissions de gaz à effet de
serre d'au moins 40 % (par rapport aux niveaux de 1990); porter la part
des énergies renouvelables à au moins 27 %; améliorer l'efficacité
énergétique d'au moins 27 %.
13 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-4009_fr.htm
14 http://www.lcr-lagauche.org/limpossible-capitalisme-vert-pourquoi/
15 Le cycle de vie du gaz naturel correspond à l’extraction, le transport, la liquéfaction parfois et ensuite la combustion.
16 https://www.foeeurope.org/sites/default/files/shale_gas/2016/foee_briefi...
17
Pour la construction du Southern Gas Corridor, un pipeline qui reliera
l’Azerbaïdjan à l’Italie, la Commission européenne reconnait qu’elle n’a
pas mené les études d’impact environnementales pourtant prévues pour ce
type de méga-projet.
18 https://www.ensemble-fdg.org/content/propos-du-livre-de-christopher-sell...
19
Pour inciter les entreprises à rentrer sur le marché, de nombreux
crédits carbone ont été distribués gratuitement faisant chuter les
cours.
20
Dans son ouvrage « Tout peut changer », Naomi Klein décrit la situation
des indigènes Guarani Kawoa au Brésil qui se voit expulser de leurs
terres pour que celles-ci soit « gérée » par une prétendue ONG qui
pourra ensuite revendre des crédit carbone à des entreprises du Nord.
21 http://www.efeverde.com/noticias/2016-ano-avances-accion-climatica-pesar...
22 http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/12/21/forages-obama-sanctuari...
23 http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1010734/sables-bitumineux-trudeau-el...
24 Notamment les mouvements Divest soutenu par 350.org https://gofossilfree.org/about-fossil-free/
25 https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports/article/rapp...
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