La récente séquence que vient de connaître la Grèce
représente un traumatisme considérable, pour la Grèce et Syriza bien sûr, et
aussi à un moindre degré pour toutes les gauches européennes.
Il faut travailler à analyser la situation ainsi créée.
Cela en se gardant de « penser trop vite » et de tirer des leçons
définitives se contentant en fait de répéter des schémas préétablis.
Il convient donc d’organiser cette réflexion collective,
à partir des nombreuses contributions existantes et d'autres à venir. Nous
soumettons celle-ci à la discussion.
Dans le même temps nous pensons que nous devrions être
collectivement vigilants à ne pas nous laisser déborder par certaines
accélérations qui peuvent conduire à la cristallisation de positionnements
politiques non maîtrisés. Ainsi circulent à présent de multiples rumeurs sur le
fait qu'une scission de Syriza serait inévitable, voire souhaitable.
Il nous semble qu'il nous faut veiller à ce que nos échanges ne puissent être perçus comme alimentant à quelque titre que ce soit une telle vision. D'où la petite note ajoutée à notre contribution.
L'acceptation par le gouvernement Tsipras des diktats du
pouvoir européen le 13 juillet, en contradiction avec ses engagements à refuser
les mémorandum précédents, a représenté un événement politique majeur dont on
ne saurait relativiser l'importance. Mais qu'il ne faut pas non plus, à ce stade, absolutiser, pour en tirer des leçons
définitives. C'est la fin d'une séquence, pas celle de toute l'histoire, qui est de confrontation
inédite entre un gouvernement de gauche radicale et la politique ultralibérale,
d'austérité et d'autoritarisme, défendue par l'ensemble des classes dirigeantes
européennes et les institutions de l’Union européenne.
Il est significatif et normal que jusqu'à présent le débat à
propos de la Grèce ait été marqué de traits contradictoires. D'une part, une
tendance à porter des jugements très péremptoires ou
définitifs. D'autre part, et contradictoirement, une certaine prudence fort heureusement demeure lorsqu'il
s'agit de caractériser l'événement : défaite, reddition, ou capitulation,
voire trahison ? Hésitation aussi pour établir l'origine du
problème : la nature de Syriza ? son projet
stratégique fondamental ? un choix initial par rapport à l'euro et à
l'Union européenne ?
l'impréparation d'une sortie ? une défaillance dans la
négociation finale du 13 juillet ?
Encore aujourd'hui chacun tente de
proposer des « premières leçons » à tirer de l'expérience.
Mais certaines risquent fort, si elles étaient validées trop rapidement, de s'avérer
définitives. Il convient de rester prudent, face à des événements auxquels nous
n’étions pas ou très peu préparés, tant sur le plan stratégique que
politique.
Il nous semble qu’il convient sur
plusieurs points de pointer certains raccourcis hâtifs ou de lever certaines
ambiguïtés ou malentendus :
-
Ainsi du verdict de faillite politique du
gouvernement Tsipras, lequel conduirait à
juger achevée l'expérience même et à rechercher une alternative nouvelle à ce
qu'a représenté jusque-là Syriza.
-
Ainsi également le jugement (qui pour une bonne
part se combine au précédent) que c'est
le refus d'assumer la sortie de l'euro qui est cause de la défaite. Lequel
amène pour certains à ériger en impératif politique la sortie de l'euro (voire
de l'Union européenne), comme condition sine qua non de toute politique
de transformation sociale, en Grèce évidemment, et ailleurs aussi...
-
On voit aussi
apparaître des arguments laissant entendre que le refus de sortir de
l’euro (par exemple en janvier 2015, ou
pendant les européennes de 2014) résulterait de la conviction que l’Union
européenne est un espace politique que l’on pourrait réformer par petits pas
successifs. Si cette opinion peut exister, nous ne la partageons pas. Le
proto-Etat européen est gros de contradictions, sur lesquelles il est
nécessaire d’agir. Mais l’objectif stratégique est bien de désobéir, et en fin
de compte de rompre avec les traités, ces institutions et les politiques qu’elles
imposent. Donc d'affirmer un autre projet européen.
-
De même, se fait jour
l’idée que l’euro et l’Union européenne sont intrinsèquement liés, et que
rompre avec l’euro devrait automatiquement conduire à en finir avec l’UE. Ce
risque (ou ce projet) existe, mais les deux réalités doivent être
distinguées. Autant une sortie de l'euro
peut s'imposer, autant toute politique de rupture durable avec
l'ultralibéralisme, ou avec le productivisme et ses effets écologiques dévastateurs,
sera appelée à s'inscrire dans une dimension européenne, en libérant celle-ci
du carcan de ses institutions actuelles.
Quelques données invitant à davantage de prudence
a) La fameuse sortie de l'euro est une perspective qui est
débattue à gauche, mais aussi à droite, et défendue vigoureusement par
l'extrême-droite. Elle a été récusée par Tsipras, elle a failli être imposée
par Schäuble. Donc la sortie de l'euro n'est pas en tant que telle une
réponse évidente ni progressiste. Elle nécessite,
pour acquérir cette dimension progressiste, une série de conditions (voir
ci-dessous).
b) Il existe plusieurs sorties possibles de l'euro, et il conviendrait d’en faire une analyse sérieuse :
-
Un scénario de
« sortie accompagnée » : un retour à une monnaie grecque, aidée
techniquement et financièrement par les autorités de la zone euro, voire
appuyée par une réduction conjointe de la dette... Ce scénario, un moment
évoqué par certains, ne semble pas avoir été sérieusement envisagé.
-
Un scénario de décision grecque de sortie de
l'euro, au nom du refus des mesures d'austérité imposées par ces mêmes
autorités, et accompagnée d'une suspension unilatérale du paiement de la dette.
Dans ce cas le gouvernement grec assumerait face à la société grecque la
responsabilité politique de cette décision et de ses conséquences. C'est ce
scénario qui est le plus souvent évoqué par ceux qui reprochent à Tsipras d'y
avoir renoncé pour rester à tout prix dans l'euro.
-
Le scénario Schäuble : l'expulsion
de la Grèce de l'euro. Dans ce cas de figure ce sont les instances européennes,
et au premier chef le gouvernement allemand, qui porteraient la responsabilité
de la situation ainsi créée.
Il semble bien que le scénario 2 étant écarté par Tsipras,
se sont trouvées en présence lors de la négociation finale deux options : le
maintien de la Grèce dans l'euro, en en payant le prix (fort différent pour les
uns et les autres), l'expulsion de la Grèce de la zone euro. Et un bras de fer
très inégal, puisque dans cette configuration la sortie est refusée par le
faible, et voulue par le fort. Cette situation, à cet instant précis,
relativise l’accusation à l’encontre du pouvoir grec de ne pas avoir disposé
d’un "plan B". Celui-ci, étant conçu comme instrument dans le rapport
de force pour refuser les mesures d’austérité imposées, ne pouvait pas être mis
en œuvre réellement à ce moment, car il présuppose une préparation et une
adhésion du peuple grec dans sa majorité.
La question est donc de savoir si le gouvernement grec aurait dû décider, lui, de la sortie dans ces conditions. On peut répondre positivement. Mais on doit se montrer convaincant pour expliquer :
1) Que cela ne se serait pas traduit par l'effondrement
immédiat non seulement du système bancaire grec, mais de toute l'économie,
créant une situation de faillite.
2) Que les rapports de force au sein de la société grecque
auraient permis au gouvernement d'assumer ce choix sans provoquer un conflit
politique à la dynamique incontrôlable (situation quelque peu différente si
l'agression était venue des instances européennes, faisant jouer le ressort
social et national en faveur du gouvernement).
3) Que préalablement la
préparation d’un tel scénario n’aurait pas pu se faire simultanément à la
« négociation-bras de fer » pour tenter de dégager un compromis
provisoire avec l’UE, alors qu'il nécessiterait un intense débat dans la
société grecque.
c) Il n'y a pas de position sûre pour analyser ces
problèmes.
Si on n'est pas en Grèce, on se trouve placé dans une
extériorité confortable, et toute intervention peut être considérée comme une
ingérence.
Si on est en Grèce, directement impliqué, on peut se laisser dominer par une émotion tout à
fait légitime. On voit bien que l'enchaînement
rapide, et proprement bouleversant des événements - le référendum, la victoire
éclatante du non suivie de la défaite humiliante essuyée à Bruxelles...-,
représente un traumatisme considérable. La manière dont, ici, le non au TCE en 2005 a été bafoué,
n'en donne sans doute qu'une minuscule idée...
Il convient donc d'ajuster le plus précisément possible nécessité
d'analyser les problèmes posés, et responsabilité politique dans les leçons
qu'on propose d'en tirer.
N'oublions pas que la solidarité avec les Grecs, qui
progressivement s'est affirmée, est restée par trop modeste (ce que tout le
monde reconnaît aujourd'hui). Sans doute pour une
part parce que autour de nous (syndicalistes, mouvements sociaux…et beaucoup
d'autres) ne croyaient pas que la politique de Syriza pouvait réussir, au vu de
successions de défaites, de reculs, etc.
Aujourd'hui, une excessive sévérité à l'égard du
gouvernement Tsipras et de Syriza peut conduire à entretenir l'idée qu'une
scission de Syriza est à présent inévitable et à en relativiser les
conséquences, qui seraient absolument désastreuses
pour toute la gauche européenne, à l'heure où il lui faut faire face aux
échéances auxquelles elle est confrontée à court terme (Portugal et État
Espagnol).
Il ne s'agit pas de s'autolimiter dans les analyses
critiques qui sont indispensables, mais de les mener à la lumière de deux
éléments décisifs :
° Ce que sont les rapports de force. Rapports de force entre
classes, à l’échelle mondiale (cf. rôle du FMI et de la Banque mondiale) et
européenne, et au sein de la société grecque. Rapports de force entre
formations sociales : une petite Grèce, dirigée par un gouvernement de
gauche radicale, et la puissante Union européenne dominée par les bourgeoisies
européennes et dirigée par des forces conservatrices et sociales-démocrates
totalement inféodées à l'ultralibéralisme. De tels rapports de force impliquent
qu'il serait totalement illusoire de parier sur une rupture nette par rapport à
ce qui est infligé à la Grèce et l'engagement sur une voie radicalement
différente. Le possible c'est un aménagement des contraintes :
moins d'austérité, moins de dette, pour permettre une remise sur pied du pays.
Pas la révolution : un début de transition... C'est cela que
l'oligarchie européenne était déterminée à empêcher. D’autant,
comme dit plus haut, qu’il est
impossible de mener deux politiques gouvernementales en même temps :
négocier un aménagement, et préparer publiquement un "plan B". Deux
options s'inscrivant dans deux séquences distinctes.
° Si, dans ces conditions, le gouvernement Tsiras a pu
défier les classes dirigeantes européennes et les institutions, ce n'est pas
par son seul talent et sa détermination (réels par ailleurs), mais du fait des contradictions internes
au système européen. Compte tenu des difficultés économiques que connaît le
capitalisme, il existe un doute quant aux possibles risques économiques que
ferait encourir à l’euro et au système bancaire une faillite de la Grèce.
Compte tenu de l'état du monde, et en particulier aux marches de l'Europe
(frontières avec la Russie, situation des Balkans, déstabilisation du
Moyen-Orient, mouvements migratoires à partir du Moyen-Orient...), la Grèce est placée dans une position
clé : son effondrement social et politique aurait nécessairement
des conséquences géopolitiques majeures et imprévisibles. C'est une
réalité que prennent en considération des
gouvernements européens, une partie des droites, et l'Administration américaine
(et que seuls veulent ignorer les plus fanatiques de la rigueur économique
érigée en unique règle de conduite politique).
Il faut se garder de simplifier
les analyses, en évoquant une « Union européenne » fantasmatique qui
se comporterait en un acteur impérial sûr de ses objectifs et de ses moyens, ou
de comprendre les relations de l’Allemagne aux pays de l’Est et du Sud comme un
colonialisme visant à les piller et à les dépecer. La réalité du capitalisme
européen et de la construction européenne est d'une tout autre complexité. Le danger de trop grandes simplifications est en
effet de conduire à des conclusions politiques exagérées et peu responsables. Il conviendrait de préciser
les analyses sur les avancées de l’Union européenne comme proto-Etat adéquat à
la mondialisation, en quoi il se dissocierait des États qui le composent
et le construisent depuis l’Acte unique, et s'interroger sur le problème de
savoir en quoi la résistance à la mondialisation capitaliste serait beaucoup
plus efficiente à l’échelle des États séparés (en Allemagne, Grande Bretagne,
France, Italie…) que dans le cadre d’une politique articulant en même temps la
lutte dans les États et dans
l’Union...
Des « leçons », mais provisoires et limitées
a) L’expérience Syriza n'est pas achevée.
Syriza avait fixé des objectifs modestes : le programme
de Thessalonique portait des réformes visant à desserrer l'étau ultralibéral,
celles-ci sous la pression des institutions de l'UE ont été progressivement
laminées, puis empêchées. Il ne s'agissait donc pas de l'engagement sur une
voie de rupture radicale, anticapitaliste. La politique concrète à mener dans
ces conditions précises est une chose, qui ne saurait être contradictoire, bien
au contraire, avec la refondation d'une perspective anticapitaliste et d'un
projet émancipateur. Compte tenu de ce qu'est
l'économie de la Grèce et de ce que sont les rapports de force en Europe, une
telle perspective n’était pas à l’ordre du jour (et affirmée en tant que
telle, elle aurait certainement empêché que
Syriza parvienne au pouvoir).
En Grèce même, la mobilisation populaire, si vigoureuse au
long des années passées, marquait des
traits d’épuisement, et la victoire électorale de Syriza (qui n'a correspondu
qu'à une majorité électorale relative) est apparue comme une nouvelle chance de
changer le cours des choses, mais dans un pays épuisé par l'austérité, humilié
dans son honneur national. Cette majorité demandait à être consolidée, ce qui
s'est concrétisé (dans l'opinion publique et lors du référendum).
Cela malgré la difficulté où le gouvernement s'est trouvé pour appliquer sa
politique y compris dans ses objectifs les plus modestes, et alors qu'il se
trouvait englué dans des négociations à répétition au moyen desquelles l'Union
européenne lui a interdit de desserrer l'étau de l'austérité et de la dette.
Le paradoxe est qu'à la modestie au plan économique a
correspondu un enjeu politique considérable. Ce qui
est une caractéristique de tous les combats d’aujourd’hui, du fait que le
capitalisme libéral refuse le moindre écart politique au regard de ce qu'il
estime être l'orthodoxie néolibérale. Syriza joue son engagement
fondateur. Pour les bourgeoisies européennes, il faut empêcher à tout prix
qu'un gouvernement de gauche radicale fasse la démonstration qu'il est possible
de modifier ne serait-ce qu'à la marge
la politique dominante en Europe. Ce pourquoi certains des dirigeants
européens ont montré qu'ils sont prêts à aller jusqu’à la destruction d'un pays
membre de l'Union.
Le bilan de cette confrontation ne peut être ni relativisé ni vu de manière
unilatérale : plus le gouvernement grec s'est montré
« raisonnable », plus le
pouvoir européen s'est aux yeux de l'opinion publique européenne révélé
déraisonnable : indifférent à l'image qu'il a donné de lui au cours de ces
interminables pourparlers, sous-estimant les risques géopolitiques de ses
décisions, jusqu’à provoquer des débuts de divisions entre gouvernements
pourtant d'accord sur les grandes options économiques, imposant avec une
brutalité et une arrogance disproportionnées des mesures dont tout le monde
voit qu’elles vont aggraver la situation.
Tsipras évoque une victoire à la Pyrrhus, on pourra
considérer qu'il s'agit pour lui de relativiser la défaite subie, mais il y a
là un grain de vérité. Christian Salmon, dans Mediapart, dit la chose en d'autres termes : « Jamais
l'Union, sans doute imparfaite, n'était apparue comme une organisation aux
mains des banques et des marchés financiers. Un voile se déchirait. Le
vainqueur n’est plus tout à fait sûr de sa victoire. Il a obtenu gain de cause.
Mais il a perdu sa légitimité démocratique. Et si le vaincu n'a pas réussi à
faire valoir ses droits, dans son combat, il a démystifié son opposant, que
l'essayiste allemand Hans Magnus Enzensberger a qualifié de « doux
monstre de Bruxelles » dans un essai récent. » Il conviendrait donc d’examiner,
en lien notamment avec les prochaines échéances portugaise et espagnole,
comment il est possible d’accroître les contradictions entre gouvernements.
b) La contradiction de cette politique imposée à la Grèce,
qui va aggraver la situation de celle-ci et peut-être
affaiblir l'Union européenne, est appelée à se développer. Selon des rythmes
sans doute lents du côté de l'Union européenne, mais rapides du côté grec. Du
coup, un facteur décisif est celui de la capacité de résistance de Syriza aux
tensions qu'il subit. Voici un gouvernement qui dit appliquer une politique
parce qu'il y est contraint, mais qu'il combat et qui ne peut conduire qu'à
l'aggravation de la situation. Situation qui à l'évidence n'est pas tenable
durablement. Il est légitime que le débat ait lieu sur ce qu'ont été les
erreurs commises, sur les alternatives qu'il aurait fallu prévoir et qu'il faut dégager. Autre
chose serait qu'un jugement, non pas seulement d'erreur, mais de renoncement,
voire de trahison, soit porté, ce qui ne pourrait qu'exacerber les tensions
internes et conduire Syriza à la scission, voire à l’implosion. Ce à quoi
travaillent depuis le début les forces ennemies à l’échelle européenne.
Un jugement d'échec définitif de l'expérience Syriza aurait
des conséquences à l'échelle européenne, car Syriza a témoigné d'éléments
positifs pour toutes les gauches européennes : la possibilité d’une
victoire électorale, la capacité à engager une épreuve de forces avec les
classes dirigeantes européennes, celle-ci débouchant à cette heure sur une
défaite, mais payée par une sérieuse perte de légitimité du pouvoir européen,
et appelée à connaître d'autres confrontations. Si Syriza doit tenir, c'est au
niveau européen que le rapport de forces doit être modifié. Car la rupture avec
l’austérité et l'engagement d'une autre politique se pose à ce niveau. Ce qui
signifie que les réponses en termes de rupture avec l'Union européenne
elle-même (au-delà de la question de l’euro) ne peuvent conduire qu'à des
impasses. Dans cette logique, en effet, ce sont les forces nationalistes qui se
montreront les mieux armées et les plus dynamiques.
Les forces progressistes européennes viennent avec Syriza de subir un sérieux échec.
Mais il ne s'agit pas d'une rupture complète qui obligerait à tout
reconsidérer, l'histoire continue et les contradictions accumulées vont se
développer.
Les rapports de force n'opposent pas tel pays à l'ensemble
de l'Union, les confrontations sont transversales et combinées entre toutes les
composantes (classes sociales, nations, institutions...)
L'Union européenne dans ses diverses dimensions (zone euro,
espace Schengen, politique internationale...) ne peut perdurer par simple
inertie : les inégalités en son sein et les tensions politiques
croissantes ne peuvent être résorbées uniquement par
un mode de gouvernance anti-démocratique et de plus en plus autoritaire.
Le magistère allemand n'est sans doute pas en mesure de contenir à lui seul ces contradictions, qu'au contraire il aggrave.
Toutes ces questions ne se posent pas dans les cercles où
l'oligarchie voudrait les confiner. Elles sont exposées à la vue de tous dans
la vitrine grecque.
Pourquoi ce petit pays a-t-il tous ces mois durant capté
l'attention du monde ? L'Histoire a voulu que là se noue de manière
spectaculaire les devenirs possibles des peuples européens. C'est toujours le cas aujourd'hui : à l'heure où dans
toute l'Europe s'exacerbent les tensions nationalistes, xénophobes et racistes,
la perspective d'une rupture avec l'ultralibéralisme est urgente et vitale.
Sans une modification positive des rapports de forces globaux entre classes, ce
sont les extrêmes droites qui se renforceront et se présenteront comme une
alternative.
La Grèce reste au cœur de cet enjeu. D'où nos grandes
responsabilités à son égard, celles d'Ensemble !, du Front de gauche et de
toutes les forces progressistes.
12.08.2015
Jean-Claude Mamet, Roland Mérieux, Francis Sitel
Post-scriptum :
Par rapport aux débats qui traversent ou
déchirent Syriza, commenter présente le risque de s'ingérer...
Pourtant, tout ce qui est dit sur les enjeux
grecs exerce de facto une pression
sur ces débats. Hier, le thème de la sortie de l'euro a pour une bonne part
cannibalisé la réflexion à mener. Aujourd’hui, on peut craindre que celui de
l'inévitable scission de Syriza s’installe dans le paysage, sans que soient
mesurées les conséquences désastreuses de ce qui peut se présenter comme un
simple pronostic.
Prophétie auto-réalisatrice d'une nouvelle
défaite, inéluctable sinon souhaitable... Car, ou bien cette scission donne
naissance à une nouvelle force extérieure à Syriza qui pourrait bien rester marginale au plan électoral
et politique, et c'est un échec pour la gauche de Syriza, et un affaiblissement
de Syriza dans son ensemble. Ou bien la scission dessine une implosion de
Syriza (ce à quoi travaillent de longue date et efficacement les forces
ennemies à l’échelle européenne), et c'est une catastrophe totale pour la
gauche grecque. Et dans les deux cas des effets dévastateurs pour les gauches
européennes...
Donc assumons de discuter du problème.
Syriza paraît confronté à une contradiction
forte qu'on peut analyser dans les termes suivants :
° Tsipras en tant que chef de gouvernement et
de Syriza ne peut accepter qu'une opposition interne au gouvernement et au
groupe parlementaire se donne pour objectif de provoquer un désaveu de
l’engagement qu'il a pris en acceptant le nouveau mémorandum.
° La gauche de Syriza ne peut assumer
d'approuver ce mémorandum qu'elle condamne, donc ne saurait se plier à une
discipline de vote qui lui serait imposée, ni même à une censure de son droit
de critique des choix gouvernementaux.
Au regard de cette contradiction on voit où
sont les points de rupture :
° Côté Tsipras, ce serait de normaliser le
parti, en opérant des exclusions et en imposant une mutation de Syriza (la «
mémorandisation de Syriza » évoquée par certains).
° Pour la gauche, ce serait de dire ouvertement
que le choix de Tsipras ne relève pas d'une erreur mais d’une trahison, et que
Syriza ne représente plus les intérêts populaires.
Ces points de rupture atteints, une scission
s’imposerait.
En est-on là ? Quelles preuves en apporter ?
Dans les discours tenus jusqu'à présent à
l'extérieur de la Grèce et de Syriza a pesé l'idée, présentée comme une évidence, que face au choix de
Tsipras, catastrophique politiquement et socialement, il existait une
alternative disponible : la sortie de l'euro. C'était alimenter l'idée que
Tsipras, en refusant de le faire, avait capitulé, voire trahi... Alors que peut
être défendue l'idée que le refus d'une sortie de l’euro est une erreur grave,
car celle-ci serait possible à un moindre coût pour la Grèce. Dans ce cas, il
s’agirait d’accepter le débat avec ceux qui pensent que le coût en eut été
exorbitant, et ainsi de préserver Syriza, tout en menant le débat public sur
les dites erreurs du gouvernement. Et en défendant aussi que le parti devrait avoir
une liberté de parole et d’action indépendamment du gouvernement.
Aujourd'hui, loin d’entretenir l'idée que la
scission de Syriza va s'imposer, ne conviendrait-il pas de défendre celle que,
sauf nouveaux sauts qualitatifs dans le développement de la contradiction, et
avérés, cette scission doit être conjurée ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire