vendredi 27 février 2015

La Grèce est notre laboratoire, par Claude Gabriel


Dans la mesure où les négociations avec l’Europe et les institutions financières sont objectivement d’une grande complexité technique, il est toujours possible, vu de l’extérieur, de porter des jugements plus ou moins intempestifs après un trop-plein d’illusions et d’enthousiasme. Evidemment le devoir absolu de solidarité avec Syriza n’interdit ni critique ni débat. Mais ce que nous lisons ressemble parfois trop à de simples points de vue en surplomb. Pour mieux traiter de tout cela, il me semble nécessaire de rattacher nos jugements du moment à ce que nous apprend ou nous confirme ce début d'expérience et défi grec. 

Le point de départ est constitué par l’immense défaite sociale et politique qu’a constitué la mise en place des institutions et du marché européens. Nous ne sommes pas simplement confrontés à des « politiques libérales ». Nous faisons désormais face à une structuration systémique du capital qui démarre au niveau des formes d’accumulation, se poursuit par une monnaie unique comme arme de contrainte sociale, se prolonge par des mécanismes de libre échange mettant en concurrence interne tous les facteurs de compétitivité par les prix et se termine par des institutions « transnationales » libérées de facto de la pression politique populaire.

Cette trappe s’est mise en place avec l’Acte unique européen de 1986 et nous devons considérer que tous ceux qui ont alors soutenu ce processus, nonobstant leurs votes ultérieurs sur d’autres étapes, portent une responsabilité majeure dans cette défaite. Car c’est sur cette base de relance de « l’idée européenne » que vinrent ensuite les Traités de Maastricht, d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne qui consolidèrent ce processus. Il fallait être contre toutes ces étapes, une par une, et ne pas tomber dans le piège du « village européen ». Mais maintenant c’est fait ! 

Vingt-neuf ans se sont écoulés depuis la première pierre de l’édifice, un moyen essentiel pour le capital pour sortir de sa crise, pour rétablir les taux de profit, clore les dites « trente glorieuses » et trouver un nouvel espace potentiel de croissance, de synergies, de concentration et d’oligopoles. Je répète : cette défaite politique et sociale est immense, ancienne et cumulative au gré des traités passés. 

Notre réflexion programmatique doit mettre au centre cette question de l'étau "européen" si nous voulons avoir la moindre crédibilité. Tel est le cadre qui s’impose à la Grèce et à nous tous. Il s’impose dès l'organisation des grandes entreprises au niveau continental jusqu’à l’omnipotence de pays comme l’Allemagne au sein du dispositif financier et monétaire. 

jeudi 26 février 2015

Grèce : réponse aux sophistes, par Stathis Kouvélakis


Deux sophismes, ou plutôt deux sophismes et demi, circulent ces derniers temps de la part de celles et ceux qui refusent de voir la réalité en face et de prendre la mesure du recul auquel Syriza a été contraint, ainsi que de ces conséquences possibles. Et je dis bien "contraint", car enfermé dans une stratégie erronée; je ne dis pas "trahison" ou "reniement", qui sont des termes moralisants et fort peu utiles pour comprendre les processus politiques. 

Premier sophisme: Syriza n'avait "pas de mandat de sortir de l'euro".S'il était sur cette position, il n'aurait pas gagné les élections. Dit sous cette forme le raisonnement est absurde. Certes, mais il n'avait pas de "mandat de sortir de l'euro". Mais il n'avait certainement pas de mandat d'abandonner l'essentiel de son programme pour rester dans l'euro! Et il n'y a aucun doute que s'il s'était présenté aux électeurs en disant "voilà mon programme, mais si on voit que son application n'est pas compatible avec le maintien dans l'euro alors oubliοns-le" il n'aurait obtenu le moindre succès électoral. Et pour cause: le maintient dans l'euro A TOUT PRIX est exactement l'argument de base des partis pro-Mémorandum qui ont gouverné la Grèce pendant toutes ces années. Et Syriza, s'il n'avait jamais clarifié sa position sur l'euro avait toujours refusé la logique de "l'euro à tout prix"

Rappelons sur ce point que, contrairement à ce que pensent la plupart des commentateurs les textes programmatiques de Syriza n'excluent ni la sortie de l'euro en tant que conséquence imposée par le refus des Européens ni le défaut de paiement sur la dette, mais il est vrai que ces derniers temps ces textes avaient été quelque mis mis au placard. 

mardi 24 février 2015

Teresa Rodriguez l’autre visage de Podemos - Un reportage du journal Le Monde.fr

On comprend mieux la profonde gravité qui habite Teresa Rodriguez lorsqu’on la voit se faire apostropher par une passante, au détour d’une venelle colorée de Séville, ce vendredi 13 février au petit matin. 


"« C’est bien toi, Teresa ? demande la femme, l’air de ne pas en revenir. J’ai déjà voté pour Podemos aux européennes et je voterai pour toi aux élections en Andalousie. Il n’y a que Podemos qui puisse nous sauver et changer ce pays. »

Le regard sombre et soucieux de la jeune politicienne de 34 ans, un bref instant, s’éclaire. Elle étreint la passante en lui promettant de faire "« tout [s]on possible »" pour ne pas décevoir les attentes, puis reprend son chemin, solennelle. "« Podemos a une responsabilité énorme »", souffle-t-elle. 

Inconnue jusqu’aux élections européennes de mai 2014, Teresa Rodriguez est devenue l’un des visages de Podemos (« Nous pouvons ») lorsque le parti antiaustérité a remporté, quatre mois après son lancement, en janvier, cinq sièges d’eurodéputé – dont le sien – et 1,2 million de voix, bouleversant l’échiquier politique en Espagne. 

Moins d’un an plus tard, c’est elle qui emmène la formation à son premier rendez-vous national : les élections régionales anticipées en Andalousie, le 22 mars, pour lesquelles elle brigue la présidence de la Junte – le gouvernement de la communauté autonome – face à la présidente socialiste sortante (PSOE), Susana Diaz. Rendre à l'Andalousie « sa dignité » Native de Rota, une ville de la province de Cadix, et "« militante depuis toujours »", la jeune femme aux cheveux noir de jais et à l’allure bohème avance avec le sentiment d’être poussée par les espoirs de huit millions d’Andalous – la région la plus peuplée d’Espagne.

Allocution d’Alexis Tsipras à la suite de l’Eurogroupe


La Grèce a obtenu hier dans le cadre de ses négociations un succès considérable en Europe. Au cours d’une négociation dure et difficile, – et peut-être première véritable négociation – nous avons fixé des objectifs, nous avons tenu un discours cohérent, nous avons fait preuve de détermination mais aussi de flexibilité, pour atteindre enfin notre objectif principal. 

Je souhaite tout d’abord remercier de tout mon cœur chacun d’entre vous, Grecques et Grecs, pour votre grand soutien au gouvernement. Ce [soutien] était l’aide la plus décisive, la plus puissante arme de négociation. Avec cet appui inégalable, nous avons remporté hier une bataille, mais pas la guerre. Les difficultés, les vraies difficultés, et non seulement celles qui s’attachent à la négociation et aux relations avec nos partenaires, se trouvent devant nous. 

Il y a une vingtaine de jours, nous avons reçu un pays au bord du gouffre, avec des caisses vides et une pénurie de liquidités. Avec en outre, le piège d’un calendrier serré tendu par certains milieux, qui planifiaient une parenthèse anti-mémorandaire en méprisant l’impact de leurs plans sur l’économie réelle déjà en difficulté, et sur notre pays exsangue par les mémorandums. 

Hier, nous avons annulé leurs plans. Nous avons évité l’asphyxie économique de la Grèce planifiée pour le 28 février par les forces conservatrices et myopes de l’intérieur et de l’extérieur du pays. Nous avons maintenu la Grèce débout et digne. 

Grèce, Manolis Glezos : " entre l’oppresseur et l’oppressé, il ne peut être question de compromis"


Depuis Bruxelles, Manolis Glezos foudroie le gouvernement à propos des manœuvres durant les négociations avec les créanciers et du changement de discours de SYRIZA. Il rappelle qu’ "entre l’oppresseur et l’oppressé, il ne peut être question de compromis, tout comme cela est impossible entre l’occupé et l’occupant. La seule solution c’est la liberté". 

Par un article qu’il signe depuis Bruxelles où il se trouve, le député européen SYRIZA, Manolis Glezos, critique de manière particulièrement acerbe les manœuvres gouvernementales. 

"Changer le nom de la troïka en « institutions », celui du mémorandum en « accord » et celui des créanciers en « partenaires », ne change en rien la situation antérieure", écrit le cadre historique de la Gauche qui apparaît déçu des derniers développements entre la Grèce et ses créanciers. 

"Plus d’un mois est passé et la promesse n’est toujours pas transformée en acte. Dommage et encore dommage. Pour ma part, je demande au Peuple Grec de me pardonner pour avoir contribué à cette illusion", écrit-il en invitant les amis de SYRIZA à participer dans les plus brefs délais à un dialogue sur le parcours du parti et les manœuvres en cause. 

L’article de Manolis Glezos a été publié aujourd’hui sur le site du Mouvement ‘Citoyens Actifs’ : Changer le nom de la troïka en « institutions », celui du mémorandum en « accord » et celui des créanciers en « partenaires », ne change en rien la situation antérieure. 

dimanche 22 février 2015

Grèce : une séquence cruciale, par Stathis Kouvelakis


Pour reprendre un cliché usé jusqu'à la corde, « nous vivons un moment critique ». Un peu plus en réalité, nous sommes au bord d'une séquence cruciale. Toute la démarche de Syriza sera jugée à l'aune de sa réaction à ce chantage sans précédent et aux ultimatums qu'il reçoit des si mal nommés « partenaires » européens. Et les nouvelles du front ne sont pas agréables. 

Il est certainement très difficile d'avoir une vision claire sur la situation actuelle des négociations , « négociations » étant un oxymore, étant donné la criante asymétrie dans le rapport de force et le fait qu'une des parties a une arme (la Banque Centrale Européenne) pointée sur sa tâte. 

Ce qui est certain, quoi qu'il en soit, c'est que le gouvernement grec a reculé sur des points cruciaux, en particulier sur certains de ses engagements envers le peuple qui l'a placé aux affaires. 

Avant d'examiner le contenu de la demande d'extension de l'Accord Maître d' Assistance Financière (MFAFA) soumise mercredi par le gouvernement grec à Bruxelles, il convient de regarder de près le « document Moscovici » révélé par le gouvernement grec au cours de la réunion de l'Eurogroupe de lundi 16 février, et qu'il se déclarait prêt à signer. Ce document exclut toute action unilatérale, définit comme cible des excédents budgétaires non définis et reconnaît la totalité de la dette. Il indique que tout ajustement futur concernant la restructuration de la dette devra être en phase avec les décisions de l'Eurogroupe de novembre 2012. 

mardi 3 février 2015

« Nous n’avons pas peur du peuple, nous sommes de leur côté », l'édito de Rouge et Vert


Avec un peu plus de 36% des voix, soit une progression de près de 10% par rapport à juin 2012, SYRIZA a gagné de haute lutte les législatives du 25 janvier dernier, permettant à Alexis Tsipras de devenir, à 41 ans, le plus jeune Premier Ministre qu’ait connu la Grèce. 

L’échec de la coalition Nouvelle Démocratie/PASOK, précédemment au pouvoir, est « avant tout une victoire politique des forces de la résistance sociale.C’est-à-dire les forces de la classe ouvrière et des masses populaires qui, en Grèce, se sont battues depuis le déclenchement de la crise et le début des mémorandums (2010) contre les accords passés par la classe dirigeante grecque avec la troïka (BCE, UE, FMI) et contre les créanciers qui ont imposé une politique d’austérité brutale… Durant cette période, ceux et celles qui luttaient depuis « en bas » ont constitué un ensemble de revendications, de souhaits et d’espoirs qui possède encore un caractère actif. La vigueur de ce cadre revendicatif réside dans l’exigence d’une politique anti-austerité qui, malgré les coups portés par les médias dominants, s’est exprimée en confiant et en déposant leurs espoirs dans et à la gauche. Cela constitue le fondement de la victoire politique de SYRIZA, qui a pris des dimensions massives ». (1) 

Si le choix immédiat de la direction de SYRIZA de nouer une alliance gouvernementale avec ANEL Grecs Indépendants, la coalition souverainiste de Kammenos, pourtant en fort repli électoral avec 4,7% contre 7,5% en juin 2012, répondait à la nécessité de rassembler une majorité parlementaire, il apparaît cependant comme politiquement à risque. 

dimanche 1 février 2015

Burkina, essai de bilan d’étape… , par Christian Darceaux


90 jours après la fuite de Compaoré, aidé par ses complices du gouvernement français, où en est-on au Burkina ? Essai de bilan d’étape : La situation post insurrectionnelle est complexe. Le gouvernement et le Conseil National de Transition (CNT), ont été mis en place. Toutes les assemblées territoriales ont été dissoutes. La plupart étaient dirigées par des équipes du CDP, le parti de Blaise Compaoré. Des délégations spéciales s’installent peu à peu, composées de fonctionnaires des différents services (santé, agriculture…), de « personnalités de la société civile »…. 

La mobilisation n’est pas retombée ou pas complètement, c’est un aspect très positif. Ainsi, par exemple, deux ministres ont été contraints à la démission. L’un, celui de la Culture, trois jours seulement après sa prise de fonction. Il avait été un des procureurs dans l’affaire Norbert Zongo, qui avait décrété un non lieu. L’indignation populaire a obtenu son départ. L’autre, celui des Transports et des Infrastructures, après une plus longue mobilisation, des agents de son ministère notamment. Il a un passé peu clair, il a été emprisonné aux Etats-Unis pour des soupçons de malversations, il est accusé de pratiques non transparentes dans l’attribution des premiers marchés. Exit donc !! 

Des directeurs d’organismes divers, souvent soupçonnés de corruption, de prévarication ont été poussés vers la sortie par les travailleurs, les usagers. Un néologisme est apparu que certains essaient de combattre : la « ruecratie ».