vendredi 15 août 2014

Gaza: "la destruction la plus dévastatrice depuis 1948", par Haidar Eid


Les factions de résistance palestiniennes et la société civile de Gaza demandent qu’Israël respecte le droit international et lève le siège et le blocus de sept années appuyés par l’Égypte, parmi leurs conditions pour un cessez-le-feu durable. Professeur, chercheur et militant en faveur du boycott, Haidar Eid, basé à Gaza, dit que même si Israël et l’Égypte lèvent le siège et permettent aux matériaux de construction d’entrer dans Gaza sans restrictions par les sept points de passage, dix années pourraient être nécessaires pour restaurer Gaza à son état d’avant le début des attaques du mois dernier. 

Depuis l’assaut d’Israël le 7 juillet, les Nations Unies ont estimé que 16800 maisons appartenant à 16735 familles ont été entièrement détruites ou sérieusement endommagées, soit environ 100 410 personnes sans foyer auquel retourner. The Electronic Intifada a interviewé Eid mercredi soir (temps de la Palestine). Il venait de revenir d’une journée de visites à Khuzaa près de Khan Younis dans le sud de la bande de Gaza, là où il a été récemment révélé que des soldats israéliens ont sommairement exécuté des civils en fuite portant des drapeaux blancs et ont tiré sur des infirmiers et des sauveteurs. 


“Vous pouviez aussi voir de la résistance ” “Le niveau de dévastation est quelque chose … que je ne peux pas vraiment décrire”, a raconté Eid. “Les maisons détruites, les maisons démolies. Il y a encore des animaux morts là-bas, que les gens ne pouvaient même pas déplacer. Des centaines. Des centaines de moutons, des centaines de vaches. Et l’odeur — l’odeur de tous les corps morts, les cadavres sous les décombres. Et les histoires que les gens vous racontent — vous pouviez lire la peine et l’horreur dans les yeux des gens, mais vous pouviez voir aussi de la résistance”. 

Les gens de Khuzaa que Eid a rencontrés lui ont dit qu’ils soutenaient la résistance des combattants palestiniens contre l’armée d’occupation israélienne. “Les gens se plaignaient et vous parlaient ce que les soldats israéliens faisaient”, a dit Eid. “Mais en même temps, ils disaient : nous soutenons la résistance. Et nous pensons que la résistance doit se poursuivre, parce que nous ne pouvons pas continuer à vivre ainsi. Nous ne pouvons pas continuer à vivre comme des animaux. Nous voulons la fin de ce siège, mais la fin du siège doit aussi conduire à notre propre liberté”. 
On peut lire la transcription (traduite en français) ci-dessous. 

Transcription (et traduction) de l’interview avec Haidar Eid 

Haidar Eid: Je m’appelle Haidar Eid. Je suis maître de conférences en études culturelles et en littérature post-coloniale et post-moderne à l’université al-Aqsa à Gaza. Je suis aussi un membre du PACBI, la Campagne palestinienne pour le boycott culturel et académique d’Israël et un co-fondateur à Gaza du Groupe pour un seul État démocratique. 

Nora Barrows-Friedman: Haidar, vous revenez tout juste de Khuzaa à l’est de Gaza. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous y êtes allé, et ce que vous avez vu aujourd’hui? 

HE: Eh bien, j’y suis allé parce que je voulais voir de première main le niveau de destruction et d’horreur que les forces d’occupation israéliennes ont laissé là-bas. En fait, hier, j’étais à Shujaiya [à l'est de la ville de Gaza], et je n’avais pas eu l’opportunité d’aller à Shujaiya ou Khuzaa avant à cause du bombardement constant et des frappes aériennes sur la frontière orientale ou les endroits proches de la frontière orientale de Gaza. C’est-à-dire Khuzaa, l’est de Khan Younis, l’est de Rafah, Shujaiya et la frontière nord qui est Beit Hanoun. Et je vais demain à Beit Hanoun. 

Je pense que le premier sentiment qu’on a — la première chose que j’ai dit à mon ami en conduisant, avant de quitter la voiture, j’ai dit, je ne sais pas pourquoi, je peux m’identifier avec les Juifs d’Auschwitz maintenant, plus qu’à aucun autre moment. et je peux m’identifier avec ceux qui ont eu à survivre à l’holocauste. Je n’ai pas d’explication sur la raison pour laquelle j’ai ressenti et dit cela, mais maintenant je sens que j’ai un plus grand lien à ces gens. Et j’ai aussi commencé à parler à mon ami, et aux gens de Khuzaa qui arrivaient et je leur ai serré la main et ils ont commencé à me raconter leurs histoires et je leur ai dit que j’avais passé aussi du temps en Afrique du Sud, je suis allé à Soweto, je suis allé dans certaines des townships autour de Johannesburg, Lenasia, Cape Town, etc. Et je me rappelle les histoires que m’ont racontées ces Sud-Africains qui avaient connu le massacre de Sharpeville en 1960— et en avaient vécu l’horreur — et ceux qui avaient connu l’horreur du massacre de Soweto en 1977, et les expériences que des gens m’avaient racontées, par exemple — quelques camarades qui avaient survécu à l’horreur des années 1960 dans le sud de l’Amérique, même. Le mouvement des droits civils aux États-Unis, etc. Ce que je veux dire c’est que la dimension humaine était là, tout le temps. Et les victimes. Et aucun peuple ne peut monopoliser cette peine. 

Le niveau de dévastation est quelque chose, Nora, que je ne peux pas vraiment décrire. Les histoires qu’on m’a racontées, les choses que j’ai vues. Les maisons détruites, les maisons démolies. Il y a encore des animaux morts là-bas, que les gens ne pouvaient même pas déplacer. Des centaines. Des centaines de moutons, des centaines de vaches. Et l’odeur — l’odeur de tous les corps morts, les cadavres sous les décombres. Et les histoires que les gens vous racontent — vous pouviez lire la peine et l’horreur dans les yeux des gens, mais vous pouviez voir aussi de la résistance. Et oui, les gens se plaignaient et vous parlaient ce que les soldats israéliens faisaient, mais en même temps, ils disaient : nous soutenons la résistance. Et nous pensons que la résistance doit se poursuivre, parce que nous ne pouvons pas continuer à vivre ainsi. Nous ne pouvons pas continuer à vivre comme des animaux. Nous voulons la fin de ce siège, mais la fin du siège doit aussi conduire à notre propre liberté. Je viens juste de revenir, donc j’ai tous ces sentiments mélangés. Vous êtes la première personne à qui je parle de ces sentiments. 

NBF: Les enfants de Gaza qui ont six ans ont maintenant vécu trois invasions et trois campagnes de bombardement séparées. Comme père, comme enseignant, comme éducateur, comme chercheur, comment évaluez-vous – quand le cessez-le-feu se maintient, quand le siège est levé, même quand l’occupation s’arrête, quelle est la prochaine étape pour la Palestine ? 

HE: C’est une question brillante, Nora. Je veux commencer par essayer de reformuler ce qu’un de mes amis avait à me dire. C’est un expert en reconstruction. Ce moment a été le massacre le plus dévastateur de l’histoire de la Palestine que je comprends. Et il a dit que dans un sens, cela a été la destruction la plus dévastatrice depuis 1948. Vous devez vous souvenir — Gaza a été soumis aux bombardements, aux invasions, à un siège permanent, et l’horreur est définitivement au-delà des mots, Nora. Je ressens vraiment que je ne peux pas rendre justice à l’horreur que les gens ont eu à subir pendant les 35 derniers jours, et qui pourrait recommencer d’ailleurs après minuit ce soir. Les fournitures médicales sont épuisées, complètement terminées. 

Le nombre de morts dépasse 2000, dont 400 sont des enfants, 210 des femmes, 75 des vieillards. Et le nombre des blessés dépasse 10000, dont environ 3000 enfants, 1800 femmes, 400 vieillards, etc. Les hôpitaux ne fonctionnent pas correctement, nous avons des problèmes avec les ambulances, le personnel médical est toujours, et a toujours été depuis 2006, sous attaque pendant son service, parce que les médecins et les infirmiers sont tués à l’heure même où je vous parle maintenant, je sais cela. Donc c’est cela la situation à Gaza maintenant. 

Mon ami m’a dit que parce qu’Israël avait cette fois décidé d’attaquer non seulement des êtres humains et de commettre des massacres sans précédent, mais aussi de cibler l’infrastructure de la bande de Gaza, il a dit que cela nous prendrait —si nous commençons à reconstruire et à rebâtir, et si Israël se décide à ouvrir les six points de passage séparant Gaza d’Israël et permettre de les ouvrir 24 h sur 24, 7 jours sur 7, et si l’Égypte ouvrait le point de passage de Rafah, 24h sur 24, 7 jours sur 7, et autorisait les flux de personnes et de biens — cela nous prendrait entre cinq et dix ans pour remettre Gaza dans l’état d’avant la guerre. Donc c’est la réponse à votre question. La réponse est que l’horreur est au-delà de ce que les gens ordinaires peuvent imaginer. Et c’est pourquoi nous attendons de la communauté internationale qu’elle fasse quelque chose. 

Cette horreur ne peut pas continuer. Nous avons fait notre devoir, nous avons résisté, et nous continuerons. Nous continuerons à résister à l’apartheid israélien. Le monde entier a soutenu les Noirs et la population autochtone en Afrique du Sud dans les années 1960 et 1970 et 1980 du siècle dernier, jusqu’à ce que le système d’apartheid soit contraint — et j’utilise consciemment ce mot “contraint”— de libérer Nelson Mandela. Si cela avait été laissé aux Blancs d’Afrique du Sud, nous n’aurions jamais vu la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Et c’est pourquoi la communauté internationale devait se dresser du bon côté de l’histoire et soutenir les Noirs d’Afrique du Sud. Sinon, Nelson Mandela serait mort à Robben Island. Mais Mandela a été libéré parce que le peuple d’Afrique du Sud a résisté à l’hideux et inhumain système d’apartheid d’Afrique du Sud, avec l’aide d’une campagne soutenue de boycott, désinvestissement et sanctions. 

Et c’est exactement ce sur quoi nous comptons, exactement ce que nous soutenons. La résistance sur le terrain s’est extrêmement bien faite, d’ailleurs. Vous parlez d’un peuple qui a été assiégé depuis janvier 2006. Nous n’avons pas été autorisés à importer du lait pour nos enfants, Nora. Nous n’avons pas été autorisés à avoir du Tylénol, de l’aspirine, pour les maux de tête. Ne parlons pas des maladies plus sérieuses — du cancer, des problèmes cardiaques, des dialyses rénales, etc. 

Mais malgré cela, la résistance sur le terrain s’est très bien faite. Et Israël a admis qu’ils ne peuvent même pas réoccuper la bande de Gaza. Après trente jours, tout ce qu’ils pouvaient réoccuper, c’était seulement 300 m et ils ne pouvaient pas y rester à cause de la résistance acharnée du peuple palestinien. 

Et quand je dis “résistance”, laissez-moi être clair là-dessus. Les médias grand public parlent d’un “conflit entre Israël et le Hamas”. Il n’y a pas de conflit à Gaza. il y a une agression israélienne. Il y a des massacres israéliens commis contre des civils de la bande de Gaza. Jusqu’à présent, Nora, 2000 personnes ont été tuées, 95% d’entre eux sont des civils et je vous ai donné les chiffres. 

Quand je parle de résistance, je parle de la branche armée du Front populaire marxiste pour la libération de la Palestine, du Front démocratique pour la libération de la Palestine, du Jihad islamique, de Hamas, et même des Brigades des martyrs d’al-Aqsa, qui est la branche armée de Fatah. Et je pense qu’avec cette résistance acharnée, notre message à la communauté internationale et à Israël est clair : cela ne peut plus durer. Nous préférons mourir debout comme les palmiers, ou Israël doit respecter le droit international. Elle doit retirer ses forces d’occupation de la bande de Gaza et de Cisjordanie, c’est-à-dire des pays arabes qu’elle a occupés en 1967 ; ceci est en accord avec la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Israël doit implémenter la résolution 194 des Nations Unies qui demande le droit de retour de sept millions de réfugiés palestiniens. Et je pense que la raison réelle pour laquelle Israël a attaqué Gaza, Nora, est que les deux-tiers des Palestiniens de Gaza sont des réfugiés qui ont droit à ce retour. 

Et numéro 3, nous voulons la fin de la politique d’apartheid israélienne dans les territoires occupées en 1948. Le monde entier a dit “non” à l’apartheid d’Afrique du Sud, et le monde entier doit maintenant dire “non” à l’apartheid israélien en Palestine. Lorsque l’apartheid s’écroulera et se désagrègera en Palestine, Gaza aura un avenir. Mais pas seulement Gaza — c’est Gaza, la Cisjordanie, et même la Palestine de 1948. 

Nora Barrow-Friedmann est journaliste et rédactrice à The Electronic Intifada ; elle a travaillé pour Al-Jazeera English, Inter Press Service, Truthout.org, Left Turn magazine et d’autres médias internationaux. De 2003 à 2010, elle était productrice et co-hôtesse de Flashpoints, un magazine d’investigation primé de KPFA/Pacifica Radio, à Berkeley en Californie. Nora écrit régulièrement sur la Palestine depuis 2004. 

Traduction: Catherine G. pour l’Agence Média Palestine

http://www.agencemediapalestine.fr/blog/2014/08/14/un-professeur-de-gaza-decrit-la-destruction-la-plus-devastatrice-depuis-1948/

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