La Slovénie, membre
de l'euroland, a connu une grave crise économique en 2013[i].
Elle voit aujourd'hui, dit-on, ses indicateurs économiques sortir du
rouge - éloignant en tout cas le spectre de la Troïka : chômage en baisse,
légère reprise de la croissance, emprunts à taux faibles sur les marchés
financiers. Mais comme ailleurs, les chiffres cachent la réalité des attaques
sociales qui visent à satisfaire aux critères néo-libéraux en vigueur. S'y ajoutent
des scandales de corruption à répétition, touchant tous les partis
institutionnels. Telles sont les racines d'une profonde grogne sociale
produisant une instabilité
gouvernementale majeure sur arrière-plan du discrédit profond des partis. Mais
les grands mouvements sociaux qui ont enflammé le pays fin 2012 et début 2013,
sont retombés, sans parvenir à trouver leur expression politique. C'est à cet
enjeu qu'a voulu tenter de répondre la formation d'une coalition - Gauche Unie
- pour les élections européennes – non
sans difficultés majeures.
Après une phase de
croissance plutôt stable et une transformation capitaliste moins agressive qu'ailleurs, la Slovénie avait basculé en 2009 dans une
récession majeure (-8%) puis dans une crise bancaire et économique la plaçant
au bord de la cessation de paiement. En novembre 2011, un référendum concluant
une longue campagne syndicale contre la réforme des retraites, avait provoqué
la chute du gouvernement de droite de Janez
Janša . Lors des élections législatives anticipées de décembre 2011, le nouveau parti
« Slovénie positive » (centre-gauche) créé par le populaire maire de
Ljubljana, Zoran Janković, était arrivé en tête. Mais il n'avait pas réussi à former un gouvernement.
Il préféra alors se faire réélire maire en mars 2012 en renonçant à son siège
de deputé. Une coalition éclectique à dominante de droite (à laquelle s’est
intégré le Parti des retraités DeSUS) s’était alors établie, incluant le parti
(SDS) de Janez Janša qui devint Premier ministre début 2012.
Les manifestations
de masse de l'hiver 2012-2013 – partant de la zone industrielle sinistrée de
Maribor - avaient enflammé tout le pays.
Dans ce contexrte, les révélations de fraudes fiscales et autres scandales provoquèrent
la chute du gouvernement Janša (pendant qu'elles éclaboussaient aussi le maire
de Ljubljana). La présidente du parti « Slovénie positive » (SP) est
alors devenue la première femme Première ministre de Slovénie – confrontée aux
pressions du FMI dans un pays en crise.
D'une crise gouvernementale à une autre.
Alenka Bratušek, 44
ans, fit succéder à l'austérité imposée
par son prédécesseur de droite, la même austérité, supposée plus à gauche –
avec une difficulté croissante à maintenir stable sa coalition gouvernementale.
Un vaste programme de compression des dépenses et de privatisation des
entreprises publiques a été lancé pour réduire le déficit public et sortir le
pays de sa crise bancaire. Mais il
déboucha sur les démissions, fin
novembre 2013, du ministre de l’Économie Stanko Stepišnik et du ministre de la
Santé publique. Les conflits se sont multipliés entre les principaux
partenaires de la coalition gouvernementale, Slovénie positive et le Parti des
retraités (Desus).
En décembre 2013, la
Slovénie est parvenue à recapitaliser ses trois plus grandes banques, minées
par de mauvaises créances, ce qui lui a permis d’éviter d’avoir recours à un
plan d’aide européen – tout en s'engageant
vers un vaste plan de privatisations des banques. Mais début avril 2014,
trois motions de défiance ont été déposées contre des ministres du
gouvernement. Tout en ayant été rejetées, elles ont profondément divisé la
coalition gouvernementale. Il en fut de même pour le projet, annoncé par le
gouvernement, de hausse de la TVA pour couvrir les déficits : il a du être
enterré face à la fronde d'une partie de la coalition. Autre réforme emblématique, l’instauration
d’une taxe immobilière, qui devait rapporter 200 millions d’euros par an, a été
retoquée par la Cour Constitutionnelle. Sont restées donc les politiques “classiques” de compression des
dépenses – qui se heurtent à la grogne sociale.
Mais pour éviter le
scénario de 2011 (le blocage de la réforme des retraites suite à la
mobilisation et au référendum
populaires) les référendums ont
été désormais interdits. Et le parlement a intégré à la constitution du pays la
“règle d'or” contre les déficits fiscaux. Cela vise à bloquer les protestations
sociales, alors qu'un des changements les plus importants de ce gouvernement de
“centre-gauche” aura été été la
privatisation de 15 entreprises d’État. Ces mesures ont été saluées par
l’agence de notation financière Fitch, qui s’est néanmoins inquiétée des
éventuelles conséquences de la crise politique sur la poursuite des réformes.
En effet, dans ce
climat de turbulences sociales et
gouvernementales, l'ancien maire de Ljubljana, Zoran Janković a décidé de reprendre les commandes du
parti Slovénie positive dominant le
gouvernement, lors de son récent
congrès. Il a, ce faisant, provoqué la démission de la Première ministre Alenka
Bratušek, le lundi 5 mai 2014. Les autres partis de la coalition avaient déjà
annoncé qu’il quitteraient la majorité en cas de victoire de Zoran
Janković.
Des élections
générales anticipées seront donc convoquées dès le mois de juin prochain.
Corruption de
“droite” et corruption “de gauche”
Cette décision
pourrait jouer en faveur du parti de droite de Janez Janša, bien que celui-ci
ait été récemment condamné à deux ans de prison ferme pour corruption. Il
est déterminé à mettre en question le
verdict ; et ses avocats ont promis une bataille judiciaire prolongée. Il tente
en effet de retourner sa condamnation
contre ses adversaires politiques en la dénonçant comme une stratégie de l’opposition pour discréditer
son travail et celui de son parti avant de nouvelles élections : le verdict
serait le produit d'un complot ourdi par l’ancienne « nomenclature du
parti communiste slovène » avec l’aide de juges “politisés”.
De la Bulgarie à la Slovénie, en passant par
l'Ukraine la corruption fait “système”, sous toutes étiquettes. Mais les
Indignés “de droite” ciblent les “continuateurs” de l'ancien régime (et les
privatisations qui leur ont bénéficié, et non pas les privatisations et la
corruption en général). La gauche, quant à elle, est organiquement associée à
l'ancien régime – bien moins discrédité en Slovénie qu'ailleurs, pendant tout
un temps, désormais largement révolu. Le clientélisme et son lot de corruption
a sévi, en Slovénie comme ailleurs, derrière les appropriations d'Etat de la
propriété sociale, comme derrière les privatisations qui leur ont été
combinées.
Janez
Janša, président du Parti démocratique slovène (SDS), figure historique de
l’indépendance du pays, pourrait donc à nouveau surfer sur la dénonciation des
« forces obscures de la continuité », liées à l’ancien régime
communiste et à ses services secrets. Avec quel impact ? Difficile de le
prévoir dans le contexte slovène qui demeure spécifique quant à la perception
populaire – de masse – du passé.
De
la reconquête des” communs” aux élections.
Une
telle campagne se confronte à une “yougonostalgie” particulièrement forte
depuis la crise de 2009 du “capitalisme réellement existant, tel qu'il s'est
étendu dans toute l'Europe de l'Est et, sous des formes plus violentes, dans les Balkans. Une
nouvelle génération de jeunes, a accumulé de premières expériences
d'auto-organisation d'une part dans des luttes étudiantes (celles de Croatie
notamment s'ouvrant en “plenums citoyens” de débats sur les enjeux sociaux), et
dans des structures de formation diverses, incorporant tous les apports des
luttes émancipatrices du présent et du passé (université parallèle de Ljubljana
– Workers' & Punk University, transformée récemment en Centre d'Etude
sociale, avec des cadres similaires dans divers pays des Balkans). Les Plenums
citoyens Bosniens[ii],
depuis février 2014, y sont évidemment une référence, et un lieu de rencontre
essentiels.
Les
explosions sociales récurrentes depuis quelques années ont montré leur
force - une capacité à faire chuter de nombreux
gouvernements nationaux ou locaux, de la Bulgarie à la Roumanie, de la Slovénie
à la Bosnie-Herzégovine ; mais aussi leurs limites et difficultés : d'une part
le caractère précaire des mobilisations de masse, leur discontinuité soulevant
le besoin d'une forme d'organisation plus pérenne, qu'on l'appelle ou pas
“parti”. D'autre part, l'extraordinanre hétérogénéité idéologique marquée aussi
par la confusion des “étiquettes” et l'absence
ou la difficulté d'émergence de projets progressistes anti-capitalistes
crédibles, notamment en Europe.
Le
piège d'un faux dilemme dominant dans les Balkans pendant de longues années a
commencé à être dépassé : on était sommé de choisir entre des nationalismes
exclusifs et chauvins, dont des formes d'anti-impérialisme se combinaient à des
idéologies réactionnaires ; ou bien l' ”européanisme” tourné vers la défense
apologétique de l'Union européenne et de ses politiques. Brisant ce faux
dilemme, ont commencé à s'établir des dialogues et liens balkaniques, tournés
vers une approche critique de l'UE[iii]. La
tâche de réinterprétation du projet socialiste est entreprise en croisant les
analyses et regards – non pas comme un “retour” nostalgique à un régime
passé dont la crise demande une
explication combinant facteurs intérieurs endogènes et facteurs internationaux
; mais comme l'invention d'une démocratie adéquate aux “Biens communs” -
reconquête de droits fondamentaux et de “communs” naturels ou produits, contre
toutes les “dépossessions” capitalistes.
C'est
dans ce contexte qu'est née l'Initiative pour un Socialisme démocratique
en Slovénie, début mai 2013 : il n'était pas un parti, mais un projet allant
dans cette direction, à la croisée de l'accumulation de l'expérience et des
formations de l'Université parallèle et auto-gérée (Workers& Punk
University), et des explosions sociales de l'hiver 2012-2013. L'impact de
Syriza en Grèce, réalité à la fois balkanique et européenne, a marqué son
évolution. La Fondation Rosa Luxembourg (liée à Die Linke) a facilité une
réflexion qui s'est tournée vers le Parti de la Gauche européenne comme
concrétisation du rejet de l'UE sans tomber dans le repli national. C'est ainsi
qu'a été lancée la coalition “Gauche Unie”
(Združena Levica) – et la transformation de l'Initiative pour un
Socialisme Démocratique (IDS), en parti. Celui-ci se superpose quasi
exclusivement, au démarrage, avec les animateurs de l'ancienne Université
parallèle devenue centre d'études sociales. Il est une coalition électorale
pour les Européennes du 25 mai, associant à l'IDS – qui en marque fortement
l'idéologie - à deux autres petits
partis aux membres plus agés, de la gauche alternative slovène, le “parti du
développement soutenable” (TRS) et le “Parti démocratique du travail” (DSD)[iv].
Ce
n'est qu'une échéance – pas la plus facile, et bien trop rapide pour que ces
nouvelles formations aient le temps de s'ancrer dans la réalité slovène. Les
lendemains de cette coalition électorale dépendront évidemment des résultats
(que les sondages n'annoncent pas très bons) et des pratiques de fonctionnement
entre les trois composantes. Mais de faibles résultats électoraux ne sont pas
contradictoires avec l'accumulation positive de premières expériences porteuses
d'autres possibles. La coalition si elle se transforme – ou l'IDS faisant son propre chemin - devra se confronter aux difficultés que pose
l'implantation d'un parti dans la durée et toute la société. Cela soulèvera
aussi la question des rapports aux syndicalistes slovènes. De nouvelles
générations aux emplois précaires marquent la société slovène comme tant
d'autres et la crise de “représentation” politique des travailleurs dans leur
diversité, est une difficulté bien partagée...
Catherine Samary
[i] Lire ESSF n°28998 Quelle crise en
Slovénie ?
[iii] Lire ESSF, n°26852, Le premier Forum
social des Balkans : ’d’autres Balkans sont possibles ! » et
octobre 2012 Le
Forum social des Balkans, une chance pour l’Autre Europe n°26850
[iv] Voir ci-après, en encart,
l'interview du porte-parole de cette coalition, et jeune dirigeant de l'IDS ;
ou http://www.european-left.org/fr/positions/statements/la-gauche-europeenne-presente-la-naissance-de-la-gauche-unie-en-slovenie#sthash.detmW7jI.dpuf
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