Voilà où est arrivée la Grèce avec le fardeau migratoire… Après la
période estivale, septembre revient sur le devant de la scène avec une
multitude de problèmes : l'été n'a fait qu'aggraver la situation. Etat
des lieux depuis Lesbos.
NB de la rédaction de Mediapart :
Agnès Matrahji, qui signe ici son premier billet dans le Club de
Mediapart, habite l'île grecque de Lesbos. Elle était l'invitée de notre soirée exceptionnelle
consacré aux réfugiés, organisée au Théâtre de la Ville à Paris en mai
dernier. Son témoignage avait également été recueilli à l'occasion d'un
reportage en images à Lesbos en février dernier, que l'on peut visionner
ici.
Il n’y a pas d’été pour ceux qui attendent dans des camps en
Grèce depuis plusieurs mois que leur demande d’asile soit acceptée pour
un pays meilleur que celui qu’ils ont quitté. Il n’y a pas de trêve à
l’angoisse de l’attente, de la faim, du sommeil sous une tente. Les
esprits et les nerfs sont surchauffés sous le soleil de plomb des lieux
de détention où ils s’entassent. Lieux de détention, de rétention ?
Pour
cette Europe frileuse de respecter ses engagements et qui laisse à la
Grèce la gestion du fardeau migratoire. Début septembre, on dénombre
60 000 migrants sur le sol grec, dont 20% se trouve sur les îles de
Samos, Chios, Lesbos. Sérieusement, peut-on les déporter en Turquie
comme le propose les accords européens ?
La
situation actuelle à Lesbos est explosive. Les camps de Moria, conçu
pour 800 personnes, avec plus de 4 500 migrants et de Kara Tépé
acceuillant 1 000 migrants ont atteint leurs limites. Il faut savoir que
60 % y sont des femmes et des enfants. Dimanche 4 septembre, 156
personnes sont arrivées dans des embarcations de fortune sur l’île.
Lundi 5 septembre, 136. Les chiffres sont quotidiens. Les possibilités
d’hébergement sont épuisées et les conditions de vie difficiles.
Difficile de fournir de l’eau, de l’alimentation, des premiers soins.
La moyenne d’attente de l’étude d’un dossier et de sa résolution est
d’environ quatre à six mois. Les migrants se savent piégés en Grèce.
Leurs espoirs se transforment en colère. Les épisodes de rixes sont
désormais courants. Chaque jour, à la moindre étincelle, se déclarent
des incidents sérieux.
Les craintes sont grandes
pour le directeur du Centre de Moria, Monsieur Kourtis. Dernièrement, il
a recherché en vain un ophtalmologue à l’hôpital pour un jeune syrien.
Les rendez-vous s’éternisant à l’année prochaine, il a déniché un
spécialiste qui a diagnostiqué que le jeune homme était en train de
perdre la vue. Suite à un bombardement dans son pays, chimique, sans
aucun doute. Ce drame personnel a explosé en colère violente de tout un
groupe de jeunes syriens dans le camp de Moria. Ils ont tout supporté
dans leur pays, mais là en Europe, c’en est trop. Des jeunes mineurs
s’en sont pris les uns aux autres dans leur malheur d’être enfermés. Ils
sont 116 dans un périmètre de sécurité, c’est-à-dire avec des grilles
et des portes cadenassées. Il y a 3 jeunes filles également. Pas de
place pour les mettre ailleurs. Alors les Afghans sont pris pour cible
par les jeunes syriens et eux-mêmes prennent les jeunes du Bangladesh
pour responsables de leur situation. La promiscuité des diverses
nationalités active les querelles. La police a laissé faire ce soir-là
parce qu’elle était en sous nombre. La situation est sous contrôle
lorsqu’il y a l’armée.
Pas
de personnel de nuit dans le camp, ni le dimanche. Les employés ne
peuvent pas travailler à ces moments-là en raison des restrictions
budgétaires imposées par l’Europe. L’argent fait défaut pour payer les
salaires mensuels de 430 euros. A ce tarif, allez-vous risquer de
prendre des coups en tentant d’interrompre une émeute ? Une quinzaine de
blessés ont été soignés à l’hôpital, hémorragies, pansements, huit
jeunes migrants ont pris la fuite en pleine nuit, passant par les portes
des containers détruites comme les fenêtres. Ils ont été retrouvés le
lendemain par la police. Le directeur du camp confisque désormais tout
briquet et même papier afin que personne ne remette le feu.
Personnellement, il lui est arrivé plusieurs fois d’arrêter un début de
feu dans le camp. Son plus grand problème restant les appels à l’aide
qui restent lettres mortes auprès des autorités locales et
gouvernementales. Il se tourne alors vers les agences humanitaires sur
place, engoncées dans leur protocole et leurs missions spécifiques,
nécessitant trop de temps pour référer des difficultés à leurs
hiérarchies siégeant à Genève ou New-York. Pendant ce temps, les
problèmes s’enflamment.
Il est fait appel à l’association locale Syniparxi
(Coexistence) pour gérer l’urgence, comme le dit Monsieur Kourtis les
membres de l’association sont les « pompiers » de la situation. Depuis
deux mois, l’association offre des excursions hebdomadaires aux mineurs
enfermés, véritables soupapes à l’échauffement de l’été et des esprits.
Le directeur du camp a aussi besoin de payer un plombier, de réparer les
lieux, il fait appel à l’association pas à son ministère de tutelle.
Cela fait des mois que cela se passe ainsi.
Des besoins urgents sont
couverts ainsi rapidement par l’association et ses membres qui
organisent également des fêtes, musicale pour la journée de la paix le
jeudi 1 septembre ou religieuse pour la fin du Ramadan. Il est encore
fait appel à l’association pour trouver en urgence un logement à ces
jeunes filles qui ne peuvent rester dans le camp au milieu des jeunes
mineurs. Il faudrait d’ailleurs des possibilités d’hébergement pour les
autres qui vont arriver… Le directeur du camp de Moria le déclare, dans
les prochains jours, les migrants ne pourront passer la nuit que dans
des sacs de couchage, à l’extérieur du camp.
Autre
problème de taille sur l’île de Lesbos, la réaction de certains
habitants. Le lundi 22 août, dans le nord-est de l’île, l’ancien maire
de Molivos interdit à un bus d’excursion avec des migrants de laisser
ceux-ci descendre dans les rues de la petite ville touristique. Il fait
très chaud, des touristes apportent des bouteilles d’eau aux passagers
du bus, dont une femme et un jeune homme blessés. Les heurts se
poursuivent avec quelques habitants et l’arrivée de la police. Les
migrants n’auront pas foulé le sol et repartiront dans les camps. Les
hurlements de « qu’ils retournent d’où ils viennent » fusent de quelques
membres d’Aube Dorée…
L’immense problème des flux
migratoires qui affecte la Grèce transforme le territoire des îles en
des camps de lutte. Lutte entre ceux qui sont enfermés, lutte de ceux
qui n’en peuvent plus d’essayer de gérer un problème qui les dépasse.
Lutte de se sentir démunis, de se sentir abandonnés par l’Europe. Mais
immensément fiers de parvenir à rester humains, les Grecs ont réussi là
où les autres Européens auraient échoué. Sans moyens mais en restant
humains.
Fin de l’été, voilà où en est arrivée la
Grèce pliant sous le fardeau migratoire. Dévastée par les difficultés de
tout ordre, la rage a refait son apparition dans ce pays appartenant à
l’Europe. La rage et toutes les autres rages ensemble.
https://blogs.mediapart.fr/agnes-matra/blog/090916/prenez-garde-gentlemen-europeens-l-automne-grec
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire