Lors de mon discours d’investiture, j’ai pris l’engagement de préserver et de défendre la Constitution, ainsi que celui de respecter les lois, et de tout faire pour le bien du peuple brésilien, de subvenir aux besoins de l’Union et de soutenir l’intégrité et l’indépendance du Brésil.
Durant l’exercice de la Présidence de la République, j’ai respecté fidèlement l’engagement que j’avais pris devant la Nation et devant ceux qui m’avaient élue. Et j’en suis fière. J’ai toujours cru en la démocratie et en l’état de droit, et j’ai toujours vu la Constitution de 1988 comme l’une des grandes conquêtes de notre peuple.
Pendant ce périple pour m’opposer à ma destitution, je me suis rapprochée du peuple, j’ai eu l’occasion d’entendre sa reconnaissance, de voir son attachement. J’ai aussi été confrontée à de dures critiques adressées à l’encontre de mon gouvernement, des erreurs qui ont été commises et des politiques qui n’ont pas été appliquées. J’accepte ces critiques avec humilité.
Précisément parce que, comme tout le monde, j’ai des défauts et je fais des erreurs.
La trahison et la lâcheté n’en font pas partie. Je respecte les engagements que je prends, et je ne trahis ni les principes que je défends ni ceux qui luttent à mes côtés. Dans la lutte contre la dictature, j’ai reçu dans mon corps les marques de la torture. J’ai supporté pendant des années la souffrance de la prison. J’ai vu des camarades violenté(e)s et même assassiné(e)s.
À cette époque-là, j’étais très jeune. J’attendais beaucoup de la vie. J’avais peur de la mort, des séquelles de la torture sur mon corps et dans mon âme. Mais je n’ai pas cédé. J’ai résisté. J’ai résisté à la tempête de terreur qui commençait à me submerger, dans l’obscurité des années amères que traversait le pays. Je n’ai pas retourné ma veste. Malgré le poids de l’injustice qui pesait sur mes épaules, j’ai continué la lutte pour la démocratie.
J’ai consacré toutes ces années de ma vie à lutter pour une société sans haine ni intolérance. J’ai lutté pour une société libérée des préjugés et des discriminations. J’ai lutté pour une société sans misère ni exclus. J’ai lutté pour un Brésil souverain, plus égalitaire et où régnerait la justice.
J’en suis fière. Lutte celui ou celle qui croit.
Ce n’est pas maintenant, à presque soixante-dix ans, déjà mère et grand-mère, que je vais renoncer aux principes qui m’ont toujours guidée.
Dans l’exercice de la Présidence de la République, j’ai honoré l’engagement passé avec mon pays, avec la démocratie, avec l’état de Droit. J’ai été intransigeante avec la défense de l’honnêteté dans la gestion de la chose publique.
C’est pour cela, face à ces accusations dirigées contre moi dans ce procès, que je ne peux m’empêcher de sentir, dans la bouche, à nouveau, le goût amer de l’injustice et de l’arbitraire.
Voilà pourquoi, comme avant, je résiste.
N’espérez pas de moi le silence obséquieux des lâches. Dans le passé, avec les armes, aujourd’hui, avec la rhétorique juridique, certains prétendent à nouveau porter atteinte à la démocratie et à l’état de Droit.
S’il en est qui oublient leur passé et négocient les bienfaits du présent, qu’ils répondent face à leur conscience et face à l’histoire des actes qu’ils commettent. Je regrette ce qu’ils ont été et ce qu’ils sont devenus.
Et résister. Toujours résister. Résister pour réveiller les consciences encore endormies, pour qu’ensemble, nous puissions mettre le pied sur le terrain qui se trouve du bon côté de l’histoire, même si ce sol tremble et menace de nous engloutir à nouveau.
Je ne lutte pas pour mon mandat par vanité ou par amour du pouvoir, comme le font ceux qui n’ont pas de personnalité, de principes ou d’utopies à conquérir. Je lutte pour la démocratie, pour la vérité et pour la justice. Je lutte pour le peuple de mon pays, pour son bien-être.
Beaucoup aujourd’hui me demandent d’où me vient cette énergie pour continuer. Elle vient de ce en quoi je crois. Je peux regarder en arrière et voir tout ce que nous avons déjà accompli. Regarder en avant et voir tout ce que nous devons et pouvons encore faire. Le plus important est que je peux me regarder dans un miroir et y voir un visage qui, même marqué par le temps, appartient à quelqu’un ayant encore la force de défendre ses idées et ses droits.
Je sais que bientôt, encore une fois, je serai jugée. Et c’est parce que j’ai la conscience tranquille sur ce que j’ai fait dans l’exercice de la Présidence de la République que je viens personnellement me présenter devant ceux qui vont me juger. Je viens pour vous regarder directement dans les yeux et vous dire, avec la sérénité de ceux qui n’ont rien à cacher, que je n’ai commis aucun crime de responsabilité. Je n’ai pas commis les crimes pour lesquels je suis injustement et arbitrairement accusée.
Aujourd’hui, le Brésil, le monde et l’histoire nous observent et attendent le résultat de ce procès en destitution.
Dans le passé de l’Amérique latine et du Brésil, à chaque fois que les intérêts des secteurs de l’élite économique et politique se sont retrouvés mis en danger par les urnes, et à chaque fois sans que n’existe de raison juridique légitimant une destitution, des conspirations étaient tramées qui finissaient en coup d’État.
Le Président Getúlio Vargas, qui nous a légué la CLT [1], et la défense du patrimoine national, a subi une implacable persécution : le complot malveillant orchestré par la « République du Galeão » [2], qui l’a conduit au suicide.
Le Président Juscelino Kubitschek, qui a construit cette ville [3], a été la victime de tentatives répétées et ratées de coup d’État, comme lors de l’épisode d’Aragarças.
Le président João Goulart, défenseur de la démocratie, des droits des travailleurs et des Réformes de Base, a surmonté le coup d’État du parlementarisme. Mais il a été déposé par la suite et la dictature militaire a été instaurée en 1964. Pendant 20 ans, nous avons vécu le silence imposé par l’arbitraire et la démocratie a été balayée de notre pays. Des millions de Brésiliens ont lutté et reconquis le droit à des élections directes.
Aujourd’hui, encore une fois, alors que les intérêts de secteurs de l’élite économique et politique sont contrariés et minés par les urnes, nous nous retrouvons devant le risque d’une rupture démocratique. Les modèles politiques dominants dans le monde refusent la violence explicite. Dorénavant, la rupture démocratique se fait au moyen de violence morale et de prétextes constitutionnels, afin que le gouvernement qui assure la transition sans le soutien des urnes conserve un semblant de légitimité.
On invoque la Constitution pour que le monde des apparences recouvre hypocritement le monde des faits.
Les preuves produites laissent clairement et incontestablement entendre que les accusations dirigées contre moi ne sont que des prétextes, dissimulés sous une fragile rhétorique juridique.
Au cours des derniers jours, des faits nouveaux ont mis en lumière un autre aspect de la machination qui caractérise ce procès en destitution. Celui qui a réalisé la présentation devant le Tribunal des comptes de l’Union ayant motivé les accusations discutées dans ce procès a été reconnu suspect par le Président du Suprême Tribunal Fédéral. On sait aussi, par la déposition de l’auditeur responsable de la note technique, qu’il avait aidé à élaborer la présentation qu’il avait lui-même auditée. Le vice de partialité est évident, la machination aussi, dans la construction des thèses qu’ils défendent.
Ce sont des prétextes, juste des prétextes, pour renverser, par un processus de destitution sans crime de responsabilité, un gouvernement légitime choisi par une élection directe, avec la participation de 110 millions de Brésiliens et de Brésilienne. Le gouvernement d’une femme qui a osé gagner deux élections présidentielles consécutives.
Ce sont des prétextes visant à soutenir une attaque de la Constitution. Un coup d’État qui, s’il se réalise, ne sera que l’élection indirecte d’un gouvernement usurpateur.
L’élection indirecte d’un gouvernement qui, même dans sa période intérimaire, ne comporte pas une seule femme ministre, alors même que le peuple, dans les urnes, a choisi une femme pour diriger le pays. Un gouvernement qui ignore les noirs dans son équipe ministérielle et a déjà révélé un profond dédain pour le programme choisi par le peuple en 2014.
J’ai été élue présidente par 54,5 millions de voix pour accomplir un programme dont la synthèse est résumée dans les mots « aucun droit en moins ».
Ce qui est en jeu dans ce processus de destitution, ce n’est pas uniquement mon mandat.
Ce qui est en jeu, c’est le respect des urnes, le caractère souverain du peuple brésilien et de la Constitution.
Ce qui est en jeu, ce sont les conquêtes des 13 dernières années : les avantages acquis par la population, par les plus pauvres et par la classe moyenne ; la protection des enfants ; les jeunes ayant accès aux universités et aux écoles techniques ; la valorisation du salaire minimum ; les médecins assistant la population ; la réalisation du rêve de l’accès à la propriété.
Ce qui est en jeu, c’est l’investissement dans les infrastructures qui garantissent la coexistence avec la sécheresse de la région semi-aride et la conclusion du projet tant attendu d’intégration du fleuve São Francisco. Ce qui est en jeu, c’est aussi la grande découverte du Brésil, le Pré-sal. Ce qui est en jeu, c’est l’insertion souveraine de notre pays sur la scène internationale, orientée par l’éthique et par la recherche d’intérêts communs.
Ce qui est en jeu, c’est l’estime de soi des Brésiliens et des Brésiliennes, qui ont résisté aux attaques des pessimistes quant à la capacité du pays à réaliser, avec succès, la Coupe du Monde de football et les Jeux olympiques et para-olympiques.
Ce qui est en jeu, c’est la conquête de la stabilité, la recherche d’un équilibre budgétaire qui ne néglige pas les programmes sociaux destinés à notre population.
Ce qui est en jeu, c’est le futur du pays, l’opportunité et l’espoir d’aller toujours plus loin.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Dans le présidentialisme prévu par notre Constitution, l’éventuelle perte de majorité parlementaire ne suffit pas pour destituer un président. Il faut apporter la preuve d’un crime de responsabilité. Et il est clair que ce crime n’a pas été commis.
Il n’est pas légitime, comme le souhaitent mes accusateurs, de destituer le chef de l’État et du gouvernement pour « l’ensemble de son œuvre ». Seul le peuple, pendant les élections, détient le pouvoir, par les urnes, de destituer le président pour « l’ensemble de son œuvre ». Et à l’occasion des élections, le programme du gouvernement qui les a remportées n’était pas celui qui est maintenant ébauché et mis en pratique par le gouvernement intérimaire défendu par mes accusateurs.
Ce qu’envisage le gouvernement par intérim, s’il devient effectif, c’est une vraie offensive contre les conquêtes de ces dernières années.
Désindexer le plancher des retraites et des pensions du salaire minimum représentera la destruction du plus grand instrument de distribution des revenus du pays, qui est l’Assurance Sociale. Avec pour résultat davantage de pauvreté, de mortalité infantile et le déclin des petites communes.
La remise en cause des garanties et des droits sociaux prévus dans la CLT et l’interdiction de retrait du FGTS [4]lors de la démission du travailleur sont des menaces qui pèsent sur la population brésilienne si le processus de destitution sans crime de responsabilité arrivait
à son terme.
D’importantes conquêtes, autant pour les femmes que pour les noirs et les populations LGBT, seront compromises par la soumission aux principes ultraconservateurs.
Notre patrimoine, tel que le Pré-sal, les richesses naturelles et minérales, sera menacé par les privatisations.
La menace la plus lourde qui pèse sur ce processus de destitution sans crime de responsabilité est celle qui suspendrait, pour 20 effarantes années, toutes les dépenses de santé, d’éducation, d’assainissement et d’habitation. Cela revient à interdire que pendant 20 ans, davantage d’enfants et de jeunes aient accès à l’école ; que pendant 20 ans, les gens puissent avoir un meilleur accès à la santé ; que pendant 20 ans, les familles puissent rêver de devenir propriétaire.
Monsieur le Président Ricardo Lewandowski, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
La vérité, c’est que le résultat électoral de 2014 fut un rude coup porté aux secteurs de l’élite conservatrice brésilienne.
Depuis la proclamation des résultats électoraux, les partis qui soutenaient le candidat perdant ont tout fait pour empêcher mon investiture et la stabilité de mon gouvernement. Ils ont d’abord affirmé que les élections avaient été truquées, ils ont donc demandé un contrôle des résultats ; ils ont ensuite contesté mes comptes de campagnes ; et après mon investiture, ils ont cherché de façon effrénée tout ce qui pouvait justifier rhétoriquement un processus de destitution.
Comme de coutume chez les élites conservatrices et autoritaires, ils n’ont pas vu, dans la volonté du peuple, l’élément qui légitime le gouvernement. Ils voulaient le pouvoir à n’importe quel prix.
Ils ont tout fait pour me déstabiliser, ainsi que mon gouvernement.
On ne peut comprendre la gravité de la crise traversée par le Brésil depuis 2015 qu’en prenant en compte l’instabilité politique aiguë qui, depuis ma réélection, caractérise l’atmosphère dans laquelle se déroule l’investissement et la production de biens et de services.
Il n’a pas été question de discuter et de rechercher une meilleure proposition pour le pays. Il a plutôt constamment été question, dans cette quête obsessionnelle pour user le gouvernement, d’une politique du « plus c’est pire mieux c’est », quels que soient les résultats négatifs de cette action politique discutable pour toute la population.
L’éventualité d’une destitution est devenue le principal sujet de l’agenda politique et médiatique, deux mois seulement après ma réélection, et malgré les motifs sans fondements qui soutenaient ce mouvement radical.
Dans cette atmosphère de turbulences et d’incertitudes, le risque politique permanent, provoqué par l’activisme d’une partie considérable de l’opposition, a fini par devenir un élément central de la baisse de l’investissement et de l’aggravation de la crise économique.
Il doit aussi être précisé que la quête de l’équilibre fiscal, depuis 2015, a rencontré une forte résistance à la Chambre des députés, présidée à l’époque par le député Eduardo Cunha. Les projets soumis par le gouvernement furent tous, intégralement ou en partie, rejetés. Des projets de loi très coûteux allant à l’encontre du réajustement fiscal furent présentés et quelques-uns furent approuvés.
Les commissions permanentes de la Chambre des députés n’ont commencé à fonctionner en 2016, qu’à partir du 5 mai, soit une semaine avant l’ouverture du processus de destitution à la Commission de Sénat. Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous savez bien que le fonctionnement de ces commissions était absolument indispensable à l’approbation des sujets qui interfèrent sur la scène fiscale afin de pouvoir entamer une sortie de crise.
Ainsi fut créée l’ambiance d’instabilité politique si désirée, propice à l’ouverture d’un procès de destitution sans crime de responsabilité.
Sans ces intrigues-là, le Brésil serait certainement aujourd’hui dans une autre situation politique, économique et fiscale.
Beaucoup ont manigancé et voté contre des propositions qu’ils avaient défendues tout au long de leur vie, sans penser aux conséquences que cela pouvait avoir pour le pays et pour le peuple brésilien. Ils voulaient profiter de la crise économique, parce qu’ils savaient que dès que mon gouvernement réussirait à la surmonter, ils pourraient dire adieu à leurs aspirations d’accès au pouvoir pour encore longtemps.
Mais en vérité, les forces de l’opposition ne sont parvenues à leurs fins que quand une autre puissante force politique s’y est associée. La force politique de ceux qui voulaient à tout prix éviter que ne continue la « débâcle » de certains secteurs de la classe politique brésilienne, motivée par les investigations en cours sur la corruption et le détournement de l’argent public.
Il est notoire que pendant mon gouvernement et celui du Président Lula, tout a été mis en œuvre pour que les investigations puissent suivre leurs cours. Nous avons proposé des lois importantes qui ont doté les organes compétents de toutes les conditions pour mener à bien les investigations et punir les coupables.
J’ai assuré l’autonomie du Ministère public, en nommant Procureur général de la République le premier nom de la liste indiquée par les membres même de l’institution. Je n’ai permis aucune interférence politique dans le rôle de la Police fédérale.
J’ai contrarié, avec cette attitude qui fut la mienne, beaucoup d’intérêts. C’est pour cela que j’ai payé et que je paye encore aujourd’hui un prix personnel très élevé pour l’audace que j’ai eue.
Ils ont organisé ma destitution, en l’absence totale de faits qui puissent la justifier devant notre Constitution.
Ils ont trouvé, en la personne de l’ex-président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, le point de convergence de leur alliance en faveur du coup d’État.
Ils ont organisé et rendu possible la perte de la majorité parlementaire du gouvernement. Un certain nombre de situations ont été créées de toutes pièces, avec le soutien évident de certains secteurs médiatiques, afin d’élaborer le climat politique permettant de déconstruire le résultat électoral de 2014.
Tous savent que ce processus de destitution a été entamé grâce à un « chantage explicite » de l’ex-président de la Chambre, Eduardo Cunha, comme l’a reconnu dans des déclarations à la presse l’un des principaux détracteurs. Ce parlementaire exigeait que j’intercède auprès des députés de mon parti afin qu’ils ne votent pas l’ouverture de son procès de cassation de mandat.
Jamais au cours de ma vie je n’ai accepté les menaces ou les chantages. Si je ne l’ai pas fait auparavant, je ne le ferais pas non plus en la qualité de Présidente de la République. Cependant, il est évident que le fait de ne pas avoir cédé face à ce chantage a motivé l’envoi de la dénonciation de crime de responsabilité et l’ouverture de ce procès, sous les applaudissements des vaincus de 2014 et des personnes mises en cause par les enquêtes.
Si je m’étais rendue complice du déshonneur et de ce qu’il y a de pire dans la politique brésilienne, comme c’est encore aujourd’hui le cas de bien des personnes dépourvues de pudeur, je ne courrais pas le risque d’être condamnée injustement.
Celui ou celle qui se rend complice de l’immoralité ou de l’illégalité n’a pas la respectabilité nécessaire pour gouverner le Brésil. Celui ou celle qui agit afin d’épargner ou de retarder le jugement d’une personne accusée de s’enrichir aux frais de l’État brésilien et du peuple qui paye les impôts devra tôt ou tard payer devant la société et devant l’histoire le prix pour avoir méprisé l’éthique.
Tous savent que je ne me suis pas enrichie dans l’exercice de charges publiques, que je n’ai pas détourné d’argent public à mon propre profit ni celui de mes proches, que je ne possède pas de comptes ou de biens immobiliers à l’étranger. J’ai toujours agi avec un honneur absolu dans les charges publiques que j’ai occupées tout au long de ma vie.
Curieusement, mon jugement, qui porte sur des crimes que je n’ai pas commis, va avoir lieu avant le jugement de l’ex-président de la Chambre, accusé d’avoir commis des actes illicites gravissimes et qui d’avoir manigancé les actes ayant précipité ma destitution.
Ironie de l’histoire ? Non, absolument pas. Il s’agit d’une action délibérée qui compte sur le silence complice du secteur des grands médias brésiliens.
La démocratie est violée et une innocente est punie. C’est la toile de fond du jugement qui sera prononcé par la volonté de ceux qui lancent contre moi des accusations infondées.
Nous sommes à un pas de la consommation d’une grave rupture inconstitutionnelle. Nous sommes à un pas de la concrétisation d’un véritable coup d’État.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
venons-en aux faits de ce procès. De quoi suis-je accusée ? Quelles sont les atteintes à la Constitution que j’ai commises ? Quels sont les crimes répugnants dont je suis responsable ?
La première accusation se réfère à l’édition de trois décrets de crédit supplémentaire sans autorisation législative. Tout au long du procès, nous avons montré que l’édition de ces décrets a suivi toutes les règles légales. Nous avons respecté la prévision de la Constitution, la limite définie dans la LDO (Loi de Directives Budgétaires) et les autorisations
Toutes les prévisions légales ont été respectées en ce qui concerne les trois décrets. Ils ont simplement offert des alternatives à la définition de ces limites, d’emprunt et financières, établies par le décret de contingence et qui n’ont pas été altérées. C’est pourquoi elles n’ont affecté en rien l’objectif fiscal.
De plus, depuis 2014, à l’initiative de l’Exécutif, le Congrès a approuvé l’inclusion dans la LDO du caractère obligatoire de la subordination de l’exécution de n’importe quel crédit ouvert au décret de restriction, édité selon les normes établies par la Loi de Responsabilité Fiscale. Et cela a été précisément respecté.
J’ignore s’il s’agit d’ignorance ou de stratégie, mais les accusations formulées lors de ce procès cherchent à faire endosser à ces décrets nos problèmes fiscaux. Ils ignorent ou dissimulent le fait que les résultats fiscaux négatifs sont la conséquence de la décroissance économique et non sa cause.
Ils dissimulent le fait qu’en 2015, avec l’aggravation de la crise, nous avons subi une chute significative des recettes au long de l’année – 180 milliards de reais de moins que la prévision de la Loi Budgétaire.
Ils ignorent délibérément le fait qu’en 2015, nous avons réalisé la plus grande restriction budgétaire de notre histoire. Ils estiment que, lorsque j’ai envoyé au Congrès National en juillet 2015 la demande d’autorisation afin de réduire les objectifs fiscaux, j’aurais immédiatement dû réaliser une nouvelle restriction. Je ne l’ai pas fait puisque j’ai suivi le programme prévu, qui n’a été remis en question ni par le Tribunal des Comptes de l’Union ni par le Congrès National dans l’analyse des comptes de 2009. En outre, la responsabilité envers la population justifie également notre décision. Si nous avions appliqué, en juillet, les limitations proposées par nos accusateurs, nous aurions réalisé une coupe budgétaire de 96 % du total des ressources disponibles pour les dépenses de l’Union. Cela aurait représenté une coupe radicale dans toutes les enveloppes budgétaires des organes fédéraux. Des ministères auraient été paralysés, des universités auraient fermé leurs portes, le programme « Plus de Médecins » aurait été interrompu, cela aurait porté préjudice aux achats de médicaments, les agences de régulation auraient cessé de fonctionner. En vérité, l’année 2015 se serait terminée, d’un point de vue budgétaire, en juillet.
Je le répète : en publiant ces décrets de crédit supplémentaire, j’ai agi en totale conformité avec la législation en vigueur. Le Congrès National a toujours été respecté. En outre, j’ai adopté ce comportement au cours de mes deux mandats.
C’est seulement après la signature de ces décrets que le Tribunal des Comptes a modifié la position qu’il a toujours eue en la matière. Il est important que la population brésilienne soit informée à ce sujet : les décrets ont été publiés en juillet et août 2015, et c’est seulement en octobre 2015 que le TCU (Tribunal des Comptes de l’Union) a approuvé la nouvelle interprétation.
Le TCU a recommandé l’approbation des comptes de tous les présidents qui ont publié des décrets identiques à ceux que j’ai publiés. Ils n’ont jamais mentionné de problème technique ni soutenu l’interprétation qu’ils commencèrent à soutenir après que j’ai signé ces actes.
Ils veulent me condamner pour avoir signé des décrets qui répondaient aux besoins de divers organes, y compris du Pouvoir Judiciaire lui-même, sur la base de la marche à suivre adoptée depuis l’entrée en vigueur de la Loi de Responsabilité Fiscale, en 2001 ?
Pour avoir signé des décrets qui, dans leur ensemble et comme il a été prouvé dans les faits, n’ont pas provoqué un seul centime de dépense supplémentaire susceptible de porter préjudice aux objectifs fiscaux ?
La seconde dénonciation dirigée contre moi au cours de ce procès est également injuste et fragile. Il est affirmé que le retard supposé de paiement des subventions économiques dues à la Banque du Brésil, dans le cadre de l’application du programme de crédit rural « Plan Récolte », équivaut à une « opération de crédit », ce qui serait interdit par la Loi de Responsabilité Fiscale.
Comme ma défense et de nombreux témoins l’ont déjà relaté, l’exécution du « Plan Récolte » est régie par une loi de 1992, qui attribue au Ministère de l’Economie et des Finances la compétence de sa normalisation, y compris en ce qui concerne les actions de la Banque du Brésil. La Présidente de la République n’interfère en aucune manière dans l’exécution du « Plan Récolte ». Il semble évident, et juste d’un point de vue juridique, que je ne sois pas accusée d’un acte inexistant.
La controverse au sujet de l’existence de l’opération de crédit a surgi au moment d’un changement d’interprétation du TCU, dont la décision définitive a été émise en décembre 2015. Une fois de plus, on m’accuse d’avoir commis un crime avant même la définition de toute thèse à propos d’un tel crime. Une thèse inexistante jusqu’alors et qui, comme toutes les sénatrices et tous les sénateurs l’ont appris durant ces derniers jours, a été montée spécialement pour cette occasion.
Je me souviens de la récente décision du Ministère Public Fédéral, qui a archivé une enquête concernant précisément cette question. Il était affirmé qu’il ne convenait pas de parler d’une offense à la Loi de responsabilité fiscale puisque d’éventuels retards de paiement dans le cadre de contrats de prestation de services entre l’Union et les institutions financières publiques ne constituent pas des opérations de crédit.
J’insiste, mesdames et messieurs les sénateurs : ce n’est ni moi, ni ma défense, qui formulons ces affirmations. Il s’agit du Ministère Public Fédéral, qui s’est refusé à donner des suites au procès, en vertu de l’inexistence du crime.
Au sujet du changement d’interprétation du TCU, je rappelle que j’ai agi de forme préventive, avant même la décision finale. J’ai sollicité auprès du Congrès National l’autorisation de paiement des passifs et défini dans des décrets les délais de paiement pour les subventions dues. En décembre 2015, après la décision définitive du TCU et avec l’autorisation du Congrès, nous avons soldé tous les débits existants.
Il est impossible qu’on ne voit pas ici également l’arbitraire de ce procès et l’injustice de cette accusation.
Ce procès de destitution n’est pas légitime. Je n’ai porté atteinte en absolument aucune manière aux dispositifs de la Constitution que j’ai juré de respecter, en tant que Présidente de la République. Je n’ai pratiqué aucun acte illicite. Il est prouvé que je n’ai absolument pas agi de forme frauduleuse. Les actes commis étaient entièrement tournés vers les intérêts de la Société. Ils n’ont causé aucun tort aux ressources de l’État ni au patrimoine public.
J’affirme de nouveau, comme l’a toujours fait ma défense, que ce procès est marqué, du début à la fin, par un criant détournement de pouvoir.
C’est ce qui explique l’absolue fragilité des accusations dirigées contre moi.
Il a été affirmé que ce procès de destitution serait légitime puisque les procédures et les délais ont été respectés. Cependant, afin qu’il soit fait justice et que la démocratie s’impose, la forme ne suffit pas. Il est nécessaire que le contenu d’une sentence soit également juste. Et dans ce cas, il n’y aura jamais la moindre justice dans ma condamnation.
J’ose dire que ce procès a dévié à de nombreuses reprises, de manière criante, de ce que la Constitution et les juristes appellent la « procédure légale ».
Il n’y a pas de respect de la procédure légale quand l’opinion, acquise à la condamnation, d’une grande partie des juges est divulguée et consignée par la presse majoritaire, avant même l’exercice final du droit de défense.
Il n’y a pas de respect de la procédure légale quand les juges affirment que la condamnation est une simple question de temps, puisqu’ils voteront contre moi dans tous les cas.
Dans ce cas, le droit de défense sera uniquement exercé de manière formelle, mais il ne sera pas apprécié de manière substantielle dans ses arguments ou ses preuves. La forme existera seulement pour conférer une apparence de légitimité à ce qui est illégitime par essence.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
ces derniers mois, on m’a demandé à d’innombrables reprises pourquoi je ne renonçais pas, afin d’écourter ce chapitre si difficile de ma vie.
Jamais je ne le ferai puisque j’ai un engagement inaliénable avec l’État Démocratique de Droit.
Jamais je ne le ferai puisque je ne renonce jamais à la lutte.
Je vous confesse, Vos Excellences, cependant, que la trahison, les agressions verbales et la violence des préjugés m’ont assombrie et même parfois blessée. Mais elles ont toujours été surmontées, et de loin, par la solidarité, le soutien et la capacité de lutte de millions de Brésiliennes et de Brésiliens aux quatre coins du pays. Par des manifestations de rue, des réunions, des séminaires, des livres, des spectacles, des mobilisations sur internet, notre peuple a redoublé de créativité et de volonté pour lutter contre le coup d’État.
Les femmes brésiliennes ont été, au cours de cette période, un soutien fondamental de ma résistance. Elles m’ont couverte de fleurs et m’ont protégée par leur solidarité. Partenaires infatigables d’une bataille au cours de laquelle la misogynie et les préjugés ont sorti leurs griffes, les Brésiliennes ont exprimé, dans ce combat pour la démocratie et pour les droits, leur force et leur capacité à surmonter l’adversité. Courageuses femmes brésiliennes, que j’ai l’honneur et le devoir de représenter, en tant que première femme Présidente du Brésil.
Je parviens à la dernière étape de ce procès, engagée en faveur de la réalisation d’une demande de la majorité des Brésiliens : les convoquer à décider, au travers des urnes, du futur de notre pays. Le dialogue, la participation et le vote direct et libre sont les meilleures armes dont nous disposons pour préserver la démocratie.
Je fais confiance à Mesdames et Messieurs les Sénateurs pour qu’ils rendent justice. J’ai la conscience tranquille. Je n’ai commis aucun crime de responsabilité. Les accusations formulées contre moi sont injustes et inappropriées. Casser définitivement mon mandat équivaut à me condamner à mort politiquement.
C’est le second jugement auquel je suis soumise, au cours duquel la démocratie est assise avec moi sur le banc des accusés. La première fois, j’ai été condamnée par un tribunal d’exception. De cette époque, au-delà des douloureuses marques de la torture, il reste la trace, sur une photo, de ma présence devant mes bourreaux, alors que je les regardais la tête haute pendant qu’ils cachaient leurs visages, de peur d’être reconnus et jugés par l’histoire.
Aujourd’hui, quatre décennies plus tard, il n’y a pas d’emprisonnement illégal, il n’y a pas de torture, mes juges sont arrivés ici par le même vote populaire qui m’a conduite à la Présidence. J’ai pour eux le plus grand respect, mais je continue la tête haute et je regarde mes juges dans les yeux.
Malgré les différences, je souffre de nouveau d’un sentiment d’injustice et j’ai peur qu’une fois de plus, la démocratie soit condamnée avec moi. Et je n’ai aucun doute du fait que, cette fois également, nous serons tous jugés par l’histoire.
Par deux fois, j’ai vu la mort de très près : quand j’ai été torturée pendant des jours, soumise à des sévices qui nous font douter de l’humanité et du sens de la vie lui-même ; et quand une maladie grave et extrêmement douloureuse aurait pu abréger mon existence.
Aujourd’hui, je ne crains que la mort de la démocratie, pour laquelle beaucoup d’entre nous, ici au sein de cette assemblée, se sont battus de toutes leurs forces.
Je le répète : je respecte mes juges.
Je n’alimente aucune rancoeur envers ceux qui voteront en faveur de ma destitution.
Je respecte et je porte une estime toute particulière à ceux qui ont lutté bravement en faveur de mon innocence, à qui je serai éternellement reconnaissante.
Je souhaite maintenant m’adresser aux sénateurs qui, même s’ils s’opposent à moi et mon gouvernement, sont indécis.
Rappelez-vous que, dans un régime présidentialiste et sous l’égide de notre Constitution, une condamnation politique exige obligatoirement l’existence d’un crime de responsabilité, commis de manière frauduleuse et prouvé sans l’ombre d’un doute.
Rappelez-vous du terrible précédent que cette décision peut ouvrir pour d’autres présidents, gouverneurs ou maires. Condamner sans preuve substantielle. Condamner un innocent.
J’en appelle finalement à tous les sénateurs : n’acceptez pas un coup d’État qui, au lieu de résoudre la crise brésilienne, ne fera que l’aggraver.
Je demande que vous fassiez justice à une présidente honnête, qui n’a jamais commis aucun acte illégal, dans sa vie personnelle ou dans le cadre des fonctions publiques qu’elle a exercées. Votez sans ressentiment. Ce que chaque sénateur ressent envers moi ou ce que nous ressentons les uns envers les autres importe moins, en ce moment, que ce que nous ressentons envers le pays et le peuple brésiliens.
Je demande : votez contre la destitution. Votez pour la démocratie.
Merci beaucoup.
Voir en ligne : Pragmatismo politico
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