Une véritable volte-face du gouvernement par rapport à ses engagements de campagne et au résultat du référendum du 5 juillet. |2| Depuis lors, les débats stratégiques vont bon train au sein de la gauche radicale sur les alternatives possibles |3|,
mais un point est sûr : ce troisième mémorandum approfondit et
consolide les deux précédents. Car qui dit accord de prêt avec l’Union
européenne, dit conditions. Tandis que la Grèce n’est plus sous les feux
des projecteurs médiatiques, retour (non exhaustif) sur un an de casse
sociale, d’assujettissement exacerbé et de dislocation du pays.
Fiscalité : la TVA qui monte, qui monte…
C’était l’un des piliers des plans d’ajustement structurel imposés au pays du Sud, c’est l’un des piliers de la cure d’austérité imposée à la Grèce et particulièrement du troisième mémorandum : augmenter les impôts indirects au premier rang desquels la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Dès mi-juillet 2015, comme prérequis pour ouvrir les négociations à un troisième accord, le parlement grec vote le passage de la TVA de 13 % à 23 % pour toute une série de produits et services, dont la restauration, les services funéraires, les billets de spectacles… mais aussi le café, le thé, les épices, l’huile (sauf l’huile d’olive), le sucre. |4| En mai 2016, rebelote. Dans la foulée du vote le 8 mai de la loi de réforme fiscale, la Vouli – le parlement grec- adopte le 22 mai toute une série de mesures noyées dans 7 000 pages de texte législatif. |5| La TVA est relevée d’un point et s’élève désormais à 24 % sur plusieurs produits de base, comme les pâtes, le riz, le café mais aussi le tabac et l’essence. Le 8 mai, le seuil d’exemption d’impôt sur le revenu annuel a également été abaissé de 9 550 euros à 8 636 euros alors que Syriza promettait dans son programme de le réhabiliter à 12 000 euros. |6|
Les agriculteurs sont une des catégories socio-professionnelles particulièrement ciblée fiscalement par ce troisième mémorandum et la loi votée le 8 mai. L’objectif : réduire radicalement la petite paysannerie grecque pour ouvrir un boulevard à l’agrobusiness encore peu implanté en Grèce. Un horizon clairement assumé par le gouvernement, pour qui la finalité serait que deux tiers des agriculteurs « sortent du métier », que des 750 000 agriculteurs sollicitant des subventions dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) n’en restent plus que 275 000. |7| Pour y parvenir, l’artillerie lourde est sortie : annulation des exemptions sur le carburant diesel, élévation de la TVA à 23% sur le matériel et les intrants agricoles, suppression du seuil de non-imposition de 12 000 euros, doublement de la taxation sur le revenu qui atteindra 26% en 2017, paiement de cet impôt de façon anticipée, augmentation des cotisations sociales de 30% de leur revenu. À quoi s’ajoutent l’abandon du projet de renégociation des prêts bancaires et la libéralisation du marché du lait, qui vont avoir un effet désastreux sur les exploitations agricoles grecques, qui sont à 90% de taille petite ou moyenne. Face à l’annonce de toutes ces mesures, les paysans ont résisté par un important mouvement social en 2015 mais qui malheureusement n’a pas fait reculer le gouvernement de Tsipras.
Sécurité sociale : diminution des retraites, saison 6
Le premier acte de la « réforme » des retraites menée par le gouvernement Tsipras s’est déroulé en octobre 2015 et correspondait à la mise en œuvre de mesures clairement spécifiées dans le troisième mémorandum. Là encore, du Nord au Sud, les exigences de la Troïka ne se caractérisent pas par leur originalité, puisqu’on y trouve le désormais fameux report de l’âge légal de départ à la retraite. À partir de 2022, un salarié pourra toucher une retraite à taux plein à 62 ans s’il réunit 40 annuités ou à 67 ans sous réserve d’un minimum de 15 annuités. Les départs en pré-retraite sont largement freinés pour parvenir à leur disparition complète en 2022. Le complément versé aux retraités les plus pauvres (l’EKAS) prendra également fin progressivement jusqu’en 2019. Pour ce qui est des retraites actuelles, elles sont également touchées, via une hausse des cotisations santé. De 4 à 6 % pour les pensions principales et de 0 à 6 % pour les complémentaires, moyennant des ponctions rétroactives.
L’étape suivante de ce démantèlement des retraites (dont le contenu était censé être laissé à l’appréciation du gouvernement grec, selon les modalités du troisième mémorandum) a pris plusieurs mois avant son adoption. Et pour cause ! Consacrant une réduction significative des retraites, cette réforme – fameuse ligne rouge d’antan- s’est heurtée à la colère et à la mobilisation des organisations syndicales et autres résistances. C’est après plusieurs mois ponctués de grèves générales et de blocages, que le parlement hellénique est parvenu à arracher (à une faible majorité) une loi intitulée « système unifié de sécurité sociale, réforme du système des retraites et règlement de l’impôt sur le revenu ». Sous couvert d’une simplification du système, la retraite sera décomposée en trois parties. Tout d’abord, une retraite nationale fixe de 384 euros. Puis, une retraite principale, dont le montant dépend des années de cotisations. La base de calcul ne considérant que les cinq meilleures années en termes de salaires est élargie à l’ensemble des salaires et le taux de remplacement passe de 60% à 40,7%. |8| Enfin, une retraite complémentaire pour ceux et celles qui auront cotisé. |9| Durcir les conditions et les critères du droit à la retraite revient à en baisser les montants, qui plus est dans un contexte de chômage généralisé où il va devenir de plus en plus difficile de réunir le nombre d’annuités requis pour obtenir une retraite digne de ce nom. Sur la pension moyenne grecque, soit 750 euros par mois, la baisse est estimée à 15%. |10| En termes de financement, le gouvernement Syriza souligne que les cotisations vieillesse sont rehaussées de 1 point de pourcentage côté employeur contre 0,5 point côté salariés. Oubliant de mettre en balance ce petit point de pourcentage avec une baisse des cotisations patronales de 3% il y a deux ans…
Cette refonte du régime des retraites grecques ne se cantonne pas à une série de mesures qui vont appauvrir encore un peu plus les retraités, elle modifie fondamentalement le caractère de ce système au profit d’un système de retraite par capitalisation. Si cette réforme version troisième mémorandum marque la sixième baisse des retraites grecques depuis que la tutelle de la Troïka étouffe le pays, et bien que le dessein de modifier la nature même du régime de retraites était déjà à l’agenda des précédents mémoranda, le gouvernement Syriza-Anel a commencé pour la première fois à lui donner corps.
Privatisations : tout doit disparaître !
Dans la droite lignée des gouvernements précédents, la grande braderie grecque se poursuit et s’accentue. Le troisième mémorandum fixe un objectif de 50 milliards d’euros à atteindre via un large programme de privatisation, géré par un nouveau fonds de privatisation qui prendra la place de l’agence TAIPED |11| créée en 2011.
La première privatisation d’envergure menée par le gouvernement Tsipras a été la concession pour une durée de quarante ans des droits d’exploitation et d’extension de quatorze aéroports régionaux, en décembre 2015. Le montant de cette opération est évalué à 8 milliards d’euros |12| sur la durée totale de la concession. Bien que le bénéfice annuel généré par ces aéroports se soit élevé à 150 millions, soit 6 milliards d’euros sur 40 ans, ce réseau aéroportuaire se caractérise par un très fort potentiel économique. Et cela n’a pas échappé à la Troïka. En effet, initialement, la Grèce prévoyait de privatiser l’ensemble de ses aéroports à travers deux lots mélangeant les installations déficitaires et celles bénéficiaires. Mais les institutions européennes ont rejeté ce projet et ont exigé que le paquet à privatiser ne contienne que des bonnes affaires. |13| Et l’effet d’aubaine ne s’arrête pas là…
Les conditions du contrat signé par Fraport, la société allemande qui a obtenu le marché, s’avèrent plus qu’avantageuses : exonération des taxes foncières ou locales et aucune obligation de conserver les prestataires, fournisseurs, commerçants… des aéroports. Les pouvoirs publics grecs s’engagent même à indemniser ces derniers s’ils venaient à ne pas être renouvelés par Fraport ! Idem pour les salariés qui se verraient licenciés. Et ça continue… dans la mesure où la Grèce va même jusqu’à s’engager à prendre en charge les accidents du travail et les éventuelles expertises environnementales à réaliser ! |14| A ce point-là, on ne sait plus si on doit parler de bonne affaire ou de véritable hold-up. Les détails croustillants sur ce dossier de privatisation sont décidément foisonnants, puisque le TAIPED avait désigné Lufthansa Consulting comme conseiller technique de l’appel d’offre. Or, cette entreprise n’est ni plus ni moins actionnaire à la hauteur de 8,45 % de Fraport, qui elle-même appartient majoritairement au land de Hesse et à la ville de Francfort.
A peine un mois après cette privatisation des aéroports, en janvier 2016, Syriza finalisait la vente du port du Pirée. C’est la compagnie chinoise Cosco, qui gérait déjà deux des trois terminaux via un contrat de concession signé en 2008, qui obtient le marché. Ce qui n’a pas en soi été très difficile puisque l’appel d’offre ne s’adressait qu’à elle. Encore une fois les instances publiques grecques demeureront les grandes perdantes de cette transaction. Cosco a en effet déboursé 368,5 millions d’euros pour acheter le port, mais TAIPED estime que le gain total de cette opération s’élève à 1,5 milliards en y ajoutant les futures recettes fiscales et les 350 millions d’investissements promis par la compagnie. Toutefois, ce calcul ne prend pas en compte le fait qu’avec cette vente l’État grec se prive des loyers de la concession qui lui restait à percevoir soit au moins 700 millions. Et quant aux investissements promis, il ne faut pas oublier que le contrat de vente contient une clause qui prohibe toute sanction envers Cosco en cas de non-respect de ses engagements… |15|
Les prochaines privatisations d’envergure seront le port de Thessalonique et les chemins de fers. Pour 2016, la Grèce a budgété 2,33 milliards d’euros de produits issus des privatisations. À titre de comparaison, les privatisations de 2013, 2014 et 2015 ont rapporté respectivement 984, 667 millions et 67 millions d’euros. Ce qui signifie que le gouvernement grec compte vendre en un an des biens publics pour une valeur supérieure à celle de ceux vendus en trois ans. |16|
D’ailleurs le 22 mai, la Grèce passe à la vitesse supérieure en termes de privatisation en votant la création d’une nouvelle société privée en lieu et place du TAIPED : le HCAP S.A (Hellenic Corporation of Assets and Participations S.A.). Ce super-fonds fonctionne comme un véritable holding avec quatre filiales sous sa direction et qu’elle possède juridiquement : l’agence de privatisation TAIPED, le Fond Hellénique de Stabilité Financière (FHSF) et deux autres entités chargées de monétariser les actifs, entreprises et autres propriétés de l’État grec. |17| Alors que le TAIPED gérait 25% des actifs grecs pendant 6 ans, la totalité |18| des actifs grecs est transférée (sans contreparties) au HCAP S.A qui en détient la pleine propriété juridique et ce pour 99 ans ! C’est déjà plus de 71 500 patrimoines publics |19| qui ont été cédés à ce fonds, ce qui représente ni plus ni moins le plus grand transfert de propriété dans un pays d’Europe de l’Ouest. Le conseil de direction de l’HCAP S.A comprend cinq membres, dont deux sont nommés directement par la Troïka (et dont l’un est le président du fonds, comme l’exige ses statuts) et trois par le gouvernement grec… après validation explicite de cette même Troïka.
Banques privées : préparer le terrain de jeu des fonds vautours.
Dans la flopée des mesures pré requises votées en août 2015, on trouve deux mesures très significatives pour les banques privées. D’une part, les banques sont devenues au regard de la loi grecque des créanciers privilégiés. Autrement dit en cas de faillite d’une entreprise, leurs créances doivent être recouvertes en priorité avant paiement éventuel des salaires, des indemnités de licenciement ou autres fournisseurs. D’autre part, les procédures du code civil ont été modifiées, pour permettre notamment d’accélérer les expulsions, les liquidations de résidences principales et d’en baisser le coût procédural.
En automne 2015, suite à son évaluation de l’état de santé des banques grecques, la BCE estime que les besoins de financement de celles-ci s’élèvent à 14 milliards d’euros, dont 5,4 milliards seront directement versés en décembre par le Fonds Hellénique de Stabilité Financière (FHSF). Pour rappel, le troisième mémorandum prévoit un fonds de réserve de 10 à 25 milliards destiné à satisfaire les besoins en capitaux des banques grecques.
Ce même mois de décembre 2015, les dispositions de liquidation des crédits pourris des banques inscrites dans l’accord de prêt commencent à être mises en œuvre. Le feu vert est ainsi donné aux banques pour qu’elles revendent leurs non-performing loans, c’est-à-dire les crédits pourris qui ne sont plus remboursés depuis au moins 90 jours. La réforme du code civil grec voté en août 2015 prend alors tout son sens, étant donné qu’elle va permettre aux fonds de spéculation qui vont les racheter d’exiger plus facilement l’expulsion des citoyens grecs endettés et de récupérer l’hypothèque de leurs maisons… Syriza avait tenté de renforcer les garde-fous aux saisies immobilières, mais les créanciers ne l’entendaient pas vraiment de cette oreille. Après quelques désaccords sur les chiffres et donc sur le nombre de personnes surendettées épargnées par les pratiques prédatrices des banques et autres fonds spéculatifs, les deux parties sont parvenues à un terrain d’entente en novembre 2015 : une loi qui prévoit, sous conditions, la saisie des biens dont les propriétaires ne parviennent plus à rembourser leurs prêts. Les conditions en question sont que la valeur de la résidence n’excède pas 170 000 euros et que le revenu annuel du débiteur soit inférieur à 8 180 euros pour une personne seule et 20 639 euros pour un ménage de deux enfants ou plus. Ces critères vont protéger seulement 25 % des hypothèques. |20| À titre de comparaison, la loi antérieure adoptée par le gouvernement Samaras interdisait les saisies des maisons valant moins de 200 000 euros si le revenu annuel du propriétaire ne dépassait pas 35 000 euros et son patrimoine 270 000 euros.
Au même moment fin 2015, et alors même que depuis 2010 les sommes d’argent public injectées dans les banques grecques s’élevaient à 42,7 milliards euros, les autorités publiques grecques ont revendu, à des prix encore une fois très intéressants, des parts qu’elles détenaient dans les banques grecques. Si le FHSF possède toujours des actions au sein du capital des banques grecques, rappelons qu’il n’y exerce pas pour autant un contrôle et que d’ici cinq ans le troisième mémorandum prévoit une privatisation complète du secteur bancaire.
Pour enfoncer le clou et faire sauter toutes les entraves qui pourraient se dresser sur la route des fonds de spéculations et des banques, le 22 mai, une mesure de libéralisation de vente des crédits bancaires a été adoptée par la Vouli.
Souveraineté : vous avez dit colonie ?
Le troisième mémorandum ne se cantonne pas à une liste de mesures d’austérité bien précises, il consacre également, noir sur blanc, un cadre qui régit les relations entre Athènes et les institutions, puisqu’il stipule que : « le gouvernement [grec] doit consulter les institutions et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au parlement ». Les réformes de structures prises par le gouvernement Syriza-Anel révèlent bien la nature des relations qu’entérine l’accord, à savoir la continuation d’une mise sous tutelle néocoloniale.
En automne 2015, la Grèce a mis sur pied un conseil de discipline fiscale composé de sept membres dont trois sont nommés par le ministère des finances grec mais uniquement après aval des institutions et deux directement par la Troïka. Depuis le 22 mai 2016, si la Grèce venait à s’éloigner trop des objectifs budgétaires fixés, ce conseil peut appliquer un « mécanisme de correction » qui permet de réaliser des coupes budgétaires de façon automatique, sans passer par vote parlementaire ou simple décret. Et pour rappel, l’Eurogroupe a imposé un objectif d’excédent budgétaire de 3,5% du PIB à partir de 2018. Autant dire une mission impossible. Il est donc presque certain que ce mécanisme, surnommé koftis en grec (la pince coupante, le sécateur) sera utilisé.
Le package voté le 22 mai 2016 par le parlement hellénique comprend également une réforme du statut du trésor public grec. Déjà autonome dans son action et l’utilisation de son budget depuis le premier mémorandum, il devient désormais une agence complètement indépendante ayant le monopole de l’interprétation de la législation en matière fiscale et dont les décisions ont même valeur de décret ministériel. Vous l’aurez deviné, cette autorité indépendante des revenus publics est elle aussi sous tutelle de la Troïka.
Comme le résume Stathis Kouvélakis, la Troïka contrôle donc les dépenses mais aussi les recettes de la Grèce. Elle se voit également dépourvue de sa politique monétaire qui est à Francfort. Et de conclure que « La Grèce se trouve maintenant placée sous un régime de tutelle, qui existait déjà depuis le début des mémorandums et le règne de la Troïka, mais qui se trouve maintenant verrouillé à un niveau sans précédent. L’Etat grec a été dépouillé de tous ses leviers d’action possibles ». |21|
Le cauchemar a-t-il une fin ?
Toutes ces mesures appliquées par le gouvernement Syriza-Anel depuis un an dans le cadre de l’application du troisième mémorandum s’inscrivent dans le sillon de celles mises en place depuis 2010, mais elles en poussent la logique à un niveau inédit, que ce soit en matière de privatisations, réforme des retraites ou mainmise des institutions financières sur le pays. De plus, alors que le protocole d’accord n’y faisait pas mention, la Grèce sous-traite dorénavant la politique migratoire assassine de l’Europe avec la conclusion et l’application de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie depuis mars 2016.
Le ministère des affaires étrangères grec a également exprimé son désaccord avec la politique européenne d’étiqueter différemment les produits provenant des territoires occupés palestiniens. Une position pro-israélienne confortée par la désignation de Jérusalem comme la capitale d’Israël par Tsipras ou encore la poursuite de l’accord de coopération militaire avec Tel Aviv dès août 2015.
À quand la lumière au bout du tunnel pour les Grecs ? Pas demain vraisemblablement.
Dans les mois à venir la Troïka et le gouvernement grec vont s’atteler à des nouveaux dossiers et notamment une réforme du droit du travail. Déjà largement attaqué par cinq années mémorandaires, on aurait pu croire qu’il ne restait plus grand chose aux Grecs en termes de droit du travail… Mais cela n’a pas d’importance pour les institutions européennes, qui en veulent toujours plus. Après avoir fait voté l’ouverture des magasins le dimanche à l’été 2015, les procédures des licenciements collectifs, la restriction du droit de grève (ou plutôt de ce qu’il en reste !), la protection des syndicalistes et le financement public des syndicats sera au menu de la prochaine revue du quartet à Athènes.
Comment clôturer cette sinistre rétrospective sans évoquer la dette… qui justifie la mise en œuvre de toutes ces mesures. Dégager des excédents budgétaires |22| pour honorer les échéances de remboursements est devenu ainsi le nouveau crédo du gouvernement grec, tentant de légitimer son allégeance aux créanciers grâce à la perspective d’un allègement de cette dette. Une perspective qui pourtant ne fait que s’éloigner toujours un peu plus. Le 24 mai dernier l’Eurogroupe s’est engagé à ouvrir des discussions sur une restructuration de la de dette grecque en 2018 si le 3e mémorandum était bien appliqué et si cela était nécessaire. Aucune garantie donc. D’autant que même si cette discussion venait à avoir lieu son cadre est déjà largement circonscrit puisqu’il ne sera pas question d’un réel allègement du montant de la dette grecque. Et qu’une réduction aussi minime soit-elle, sera encore et toujours conditionnée à la poursuite de mesures néolibérales destructrices.
Sources générales :
Notes
|1| Le protocole d’accord a été conclu avec le Mécanisme européen de stabilité (MES) après approbation de l’Eurogroupe. Le Fond monétaire international devrait participer également à ce programme de financement.
|2| 61% des votants ont répondu « non » aux mesures proposées par l’Union européenne.
|3| C’est notamment une des raisons d’être de l’initiative Plan B en Europe. Pour plus d’informations, voir : http://www.cadtm.org/Un-Plan-B-pour... ; http://www.cadtm.org/Un-plan-B-pour...
|4| Elisa Perrigueur, « En Grèce, la hausse de la TVA exaspère les commerçants, « fatigués », Le Monde, juillet 2015. Accessible à : http://www.lemonde.fr/crise-de-l-eu...
|5| Alexia Kefalas, « De nouvelles hausses de la TVA mettent la Grèce au régime sec », Le Figaro, Mai 2016. Accessible à : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/...
|6| À titre de comparaison, ce seuil d’exonération est de 9 700 euros pour la France et de 7 380 euros pour la Belgique.
|7| Léonidas Vatikiotis, intervention « Mémorandums « de gauche » : dégâts, résistances et alternatives », Bruxelles, 29 février 2016
|8| Dimitris Stratoulis, « Des coups mortels portés au système des retraites », résumé par Stathis Kouvélakis, CADTM, août 2016. Accessible à : http://www.cadtm.org/Grece-La-mort-...
|9| Romaric Godin, « Grèce : le gouvernement présente sa réforme des retraites », La Tribune, janvier 2016. Accessible à : http://www.latribune.fr/economie/un...
|10| Romaric Godin, op.cit.
|11| Appelée également Hellenic Republic Assets Development Fund (HRADF) en anglais
|12| Ces 8 milliard d’euros comprennent le 1,23 milliards d’euros payé à l’État grec lors de la conclusion du contrat, auquel s’ajoutent les droits de concessions et des impôts payés annuellement. Voir Niels Kadritzke, « Grande braderie en Grèce », Monde Diplomatique, juillet 2016
|13| Niels Kadritzke, op. cit.
|14| Niels Kadritzke, op. cit.
|15| Niels Kadritzke, op. cit.
|16| Léonidas Vatikiotis, op. cit.
|17| Commission européenne, Compliance Report. The Thrid Economic Adjustement Programme for Greece. First Review, June 2016, page 11
|18| Avec quelques infimes exceptions, telles que les sites archéologiques.
|19| Massimo Prandi, op.cit.
|20| Eva Betavatzi, « L’évolution du discours sur la dette grecque », CADTM, mars 2016. Accessible à : http://www.cadtm.org/L-evolution-du...
|21| Stathis Kouvélakis, intervention « Après la capitulation de Syriza quelles stratégies pour la Gauche en Europe ? », Paris, 4 juin 2016
|22| Un excédent budgétaire c’est quand, service de la dette exclu, un État parvient à avoir plus de recettes que de dépenses.
Fiscalité : la TVA qui monte, qui monte…
C’était l’un des piliers des plans d’ajustement structurel imposés au pays du Sud, c’est l’un des piliers de la cure d’austérité imposée à la Grèce et particulièrement du troisième mémorandum : augmenter les impôts indirects au premier rang desquels la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Dès mi-juillet 2015, comme prérequis pour ouvrir les négociations à un troisième accord, le parlement grec vote le passage de la TVA de 13 % à 23 % pour toute une série de produits et services, dont la restauration, les services funéraires, les billets de spectacles… mais aussi le café, le thé, les épices, l’huile (sauf l’huile d’olive), le sucre. |4| En mai 2016, rebelote. Dans la foulée du vote le 8 mai de la loi de réforme fiscale, la Vouli – le parlement grec- adopte le 22 mai toute une série de mesures noyées dans 7 000 pages de texte législatif. |5| La TVA est relevée d’un point et s’élève désormais à 24 % sur plusieurs produits de base, comme les pâtes, le riz, le café mais aussi le tabac et l’essence. Le 8 mai, le seuil d’exemption d’impôt sur le revenu annuel a également été abaissé de 9 550 euros à 8 636 euros alors que Syriza promettait dans son programme de le réhabiliter à 12 000 euros. |6|
Les agriculteurs sont une des catégories socio-professionnelles particulièrement ciblée fiscalement par ce troisième mémorandum et la loi votée le 8 mai. L’objectif : réduire radicalement la petite paysannerie grecque pour ouvrir un boulevard à l’agrobusiness encore peu implanté en Grèce. Un horizon clairement assumé par le gouvernement, pour qui la finalité serait que deux tiers des agriculteurs « sortent du métier », que des 750 000 agriculteurs sollicitant des subventions dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) n’en restent plus que 275 000. |7| Pour y parvenir, l’artillerie lourde est sortie : annulation des exemptions sur le carburant diesel, élévation de la TVA à 23% sur le matériel et les intrants agricoles, suppression du seuil de non-imposition de 12 000 euros, doublement de la taxation sur le revenu qui atteindra 26% en 2017, paiement de cet impôt de façon anticipée, augmentation des cotisations sociales de 30% de leur revenu. À quoi s’ajoutent l’abandon du projet de renégociation des prêts bancaires et la libéralisation du marché du lait, qui vont avoir un effet désastreux sur les exploitations agricoles grecques, qui sont à 90% de taille petite ou moyenne. Face à l’annonce de toutes ces mesures, les paysans ont résisté par un important mouvement social en 2015 mais qui malheureusement n’a pas fait reculer le gouvernement de Tsipras.
Sécurité sociale : diminution des retraites, saison 6
Le premier acte de la « réforme » des retraites menée par le gouvernement Tsipras s’est déroulé en octobre 2015 et correspondait à la mise en œuvre de mesures clairement spécifiées dans le troisième mémorandum. Là encore, du Nord au Sud, les exigences de la Troïka ne se caractérisent pas par leur originalité, puisqu’on y trouve le désormais fameux report de l’âge légal de départ à la retraite. À partir de 2022, un salarié pourra toucher une retraite à taux plein à 62 ans s’il réunit 40 annuités ou à 67 ans sous réserve d’un minimum de 15 annuités. Les départs en pré-retraite sont largement freinés pour parvenir à leur disparition complète en 2022. Le complément versé aux retraités les plus pauvres (l’EKAS) prendra également fin progressivement jusqu’en 2019. Pour ce qui est des retraites actuelles, elles sont également touchées, via une hausse des cotisations santé. De 4 à 6 % pour les pensions principales et de 0 à 6 % pour les complémentaires, moyennant des ponctions rétroactives.
L’étape suivante de ce démantèlement des retraites (dont le contenu était censé être laissé à l’appréciation du gouvernement grec, selon les modalités du troisième mémorandum) a pris plusieurs mois avant son adoption. Et pour cause ! Consacrant une réduction significative des retraites, cette réforme – fameuse ligne rouge d’antan- s’est heurtée à la colère et à la mobilisation des organisations syndicales et autres résistances. C’est après plusieurs mois ponctués de grèves générales et de blocages, que le parlement hellénique est parvenu à arracher (à une faible majorité) une loi intitulée « système unifié de sécurité sociale, réforme du système des retraites et règlement de l’impôt sur le revenu ». Sous couvert d’une simplification du système, la retraite sera décomposée en trois parties. Tout d’abord, une retraite nationale fixe de 384 euros. Puis, une retraite principale, dont le montant dépend des années de cotisations. La base de calcul ne considérant que les cinq meilleures années en termes de salaires est élargie à l’ensemble des salaires et le taux de remplacement passe de 60% à 40,7%. |8| Enfin, une retraite complémentaire pour ceux et celles qui auront cotisé. |9| Durcir les conditions et les critères du droit à la retraite revient à en baisser les montants, qui plus est dans un contexte de chômage généralisé où il va devenir de plus en plus difficile de réunir le nombre d’annuités requis pour obtenir une retraite digne de ce nom. Sur la pension moyenne grecque, soit 750 euros par mois, la baisse est estimée à 15%. |10| En termes de financement, le gouvernement Syriza souligne que les cotisations vieillesse sont rehaussées de 1 point de pourcentage côté employeur contre 0,5 point côté salariés. Oubliant de mettre en balance ce petit point de pourcentage avec une baisse des cotisations patronales de 3% il y a deux ans…
Cette refonte du régime des retraites grecques ne se cantonne pas à une série de mesures qui vont appauvrir encore un peu plus les retraités, elle modifie fondamentalement le caractère de ce système au profit d’un système de retraite par capitalisation. Si cette réforme version troisième mémorandum marque la sixième baisse des retraites grecques depuis que la tutelle de la Troïka étouffe le pays, et bien que le dessein de modifier la nature même du régime de retraites était déjà à l’agenda des précédents mémoranda, le gouvernement Syriza-Anel a commencé pour la première fois à lui donner corps.
Privatisations : tout doit disparaître !
Dans la droite lignée des gouvernements précédents, la grande braderie grecque se poursuit et s’accentue. Le troisième mémorandum fixe un objectif de 50 milliards d’euros à atteindre via un large programme de privatisation, géré par un nouveau fonds de privatisation qui prendra la place de l’agence TAIPED |11| créée en 2011.
La première privatisation d’envergure menée par le gouvernement Tsipras a été la concession pour une durée de quarante ans des droits d’exploitation et d’extension de quatorze aéroports régionaux, en décembre 2015. Le montant de cette opération est évalué à 8 milliards d’euros |12| sur la durée totale de la concession. Bien que le bénéfice annuel généré par ces aéroports se soit élevé à 150 millions, soit 6 milliards d’euros sur 40 ans, ce réseau aéroportuaire se caractérise par un très fort potentiel économique. Et cela n’a pas échappé à la Troïka. En effet, initialement, la Grèce prévoyait de privatiser l’ensemble de ses aéroports à travers deux lots mélangeant les installations déficitaires et celles bénéficiaires. Mais les institutions européennes ont rejeté ce projet et ont exigé que le paquet à privatiser ne contienne que des bonnes affaires. |13| Et l’effet d’aubaine ne s’arrête pas là…
Les conditions du contrat signé par Fraport, la société allemande qui a obtenu le marché, s’avèrent plus qu’avantageuses : exonération des taxes foncières ou locales et aucune obligation de conserver les prestataires, fournisseurs, commerçants… des aéroports. Les pouvoirs publics grecs s’engagent même à indemniser ces derniers s’ils venaient à ne pas être renouvelés par Fraport ! Idem pour les salariés qui se verraient licenciés. Et ça continue… dans la mesure où la Grèce va même jusqu’à s’engager à prendre en charge les accidents du travail et les éventuelles expertises environnementales à réaliser ! |14| A ce point-là, on ne sait plus si on doit parler de bonne affaire ou de véritable hold-up. Les détails croustillants sur ce dossier de privatisation sont décidément foisonnants, puisque le TAIPED avait désigné Lufthansa Consulting comme conseiller technique de l’appel d’offre. Or, cette entreprise n’est ni plus ni moins actionnaire à la hauteur de 8,45 % de Fraport, qui elle-même appartient majoritairement au land de Hesse et à la ville de Francfort.
A peine un mois après cette privatisation des aéroports, en janvier 2016, Syriza finalisait la vente du port du Pirée. C’est la compagnie chinoise Cosco, qui gérait déjà deux des trois terminaux via un contrat de concession signé en 2008, qui obtient le marché. Ce qui n’a pas en soi été très difficile puisque l’appel d’offre ne s’adressait qu’à elle. Encore une fois les instances publiques grecques demeureront les grandes perdantes de cette transaction. Cosco a en effet déboursé 368,5 millions d’euros pour acheter le port, mais TAIPED estime que le gain total de cette opération s’élève à 1,5 milliards en y ajoutant les futures recettes fiscales et les 350 millions d’investissements promis par la compagnie. Toutefois, ce calcul ne prend pas en compte le fait qu’avec cette vente l’État grec se prive des loyers de la concession qui lui restait à percevoir soit au moins 700 millions. Et quant aux investissements promis, il ne faut pas oublier que le contrat de vente contient une clause qui prohibe toute sanction envers Cosco en cas de non-respect de ses engagements… |15|
Les prochaines privatisations d’envergure seront le port de Thessalonique et les chemins de fers. Pour 2016, la Grèce a budgété 2,33 milliards d’euros de produits issus des privatisations. À titre de comparaison, les privatisations de 2013, 2014 et 2015 ont rapporté respectivement 984, 667 millions et 67 millions d’euros. Ce qui signifie que le gouvernement grec compte vendre en un an des biens publics pour une valeur supérieure à celle de ceux vendus en trois ans. |16|
D’ailleurs le 22 mai, la Grèce passe à la vitesse supérieure en termes de privatisation en votant la création d’une nouvelle société privée en lieu et place du TAIPED : le HCAP S.A (Hellenic Corporation of Assets and Participations S.A.). Ce super-fonds fonctionne comme un véritable holding avec quatre filiales sous sa direction et qu’elle possède juridiquement : l’agence de privatisation TAIPED, le Fond Hellénique de Stabilité Financière (FHSF) et deux autres entités chargées de monétariser les actifs, entreprises et autres propriétés de l’État grec. |17| Alors que le TAIPED gérait 25% des actifs grecs pendant 6 ans, la totalité |18| des actifs grecs est transférée (sans contreparties) au HCAP S.A qui en détient la pleine propriété juridique et ce pour 99 ans ! C’est déjà plus de 71 500 patrimoines publics |19| qui ont été cédés à ce fonds, ce qui représente ni plus ni moins le plus grand transfert de propriété dans un pays d’Europe de l’Ouest. Le conseil de direction de l’HCAP S.A comprend cinq membres, dont deux sont nommés directement par la Troïka (et dont l’un est le président du fonds, comme l’exige ses statuts) et trois par le gouvernement grec… après validation explicite de cette même Troïka.
Banques privées : préparer le terrain de jeu des fonds vautours.
Dans la flopée des mesures pré requises votées en août 2015, on trouve deux mesures très significatives pour les banques privées. D’une part, les banques sont devenues au regard de la loi grecque des créanciers privilégiés. Autrement dit en cas de faillite d’une entreprise, leurs créances doivent être recouvertes en priorité avant paiement éventuel des salaires, des indemnités de licenciement ou autres fournisseurs. D’autre part, les procédures du code civil ont été modifiées, pour permettre notamment d’accélérer les expulsions, les liquidations de résidences principales et d’en baisser le coût procédural.
En automne 2015, suite à son évaluation de l’état de santé des banques grecques, la BCE estime que les besoins de financement de celles-ci s’élèvent à 14 milliards d’euros, dont 5,4 milliards seront directement versés en décembre par le Fonds Hellénique de Stabilité Financière (FHSF). Pour rappel, le troisième mémorandum prévoit un fonds de réserve de 10 à 25 milliards destiné à satisfaire les besoins en capitaux des banques grecques.
Ce même mois de décembre 2015, les dispositions de liquidation des crédits pourris des banques inscrites dans l’accord de prêt commencent à être mises en œuvre. Le feu vert est ainsi donné aux banques pour qu’elles revendent leurs non-performing loans, c’est-à-dire les crédits pourris qui ne sont plus remboursés depuis au moins 90 jours. La réforme du code civil grec voté en août 2015 prend alors tout son sens, étant donné qu’elle va permettre aux fonds de spéculation qui vont les racheter d’exiger plus facilement l’expulsion des citoyens grecs endettés et de récupérer l’hypothèque de leurs maisons… Syriza avait tenté de renforcer les garde-fous aux saisies immobilières, mais les créanciers ne l’entendaient pas vraiment de cette oreille. Après quelques désaccords sur les chiffres et donc sur le nombre de personnes surendettées épargnées par les pratiques prédatrices des banques et autres fonds spéculatifs, les deux parties sont parvenues à un terrain d’entente en novembre 2015 : une loi qui prévoit, sous conditions, la saisie des biens dont les propriétaires ne parviennent plus à rembourser leurs prêts. Les conditions en question sont que la valeur de la résidence n’excède pas 170 000 euros et que le revenu annuel du débiteur soit inférieur à 8 180 euros pour une personne seule et 20 639 euros pour un ménage de deux enfants ou plus. Ces critères vont protéger seulement 25 % des hypothèques. |20| À titre de comparaison, la loi antérieure adoptée par le gouvernement Samaras interdisait les saisies des maisons valant moins de 200 000 euros si le revenu annuel du propriétaire ne dépassait pas 35 000 euros et son patrimoine 270 000 euros.
Au même moment fin 2015, et alors même que depuis 2010 les sommes d’argent public injectées dans les banques grecques s’élevaient à 42,7 milliards euros, les autorités publiques grecques ont revendu, à des prix encore une fois très intéressants, des parts qu’elles détenaient dans les banques grecques. Si le FHSF possède toujours des actions au sein du capital des banques grecques, rappelons qu’il n’y exerce pas pour autant un contrôle et que d’ici cinq ans le troisième mémorandum prévoit une privatisation complète du secteur bancaire.
Pour enfoncer le clou et faire sauter toutes les entraves qui pourraient se dresser sur la route des fonds de spéculations et des banques, le 22 mai, une mesure de libéralisation de vente des crédits bancaires a été adoptée par la Vouli.
Souveraineté : vous avez dit colonie ?
Le troisième mémorandum ne se cantonne pas à une liste de mesures d’austérité bien précises, il consacre également, noir sur blanc, un cadre qui régit les relations entre Athènes et les institutions, puisqu’il stipule que : « le gouvernement [grec] doit consulter les institutions et convenir avec elles de tout projet législatif dans les domaines concernés dans un délai approprié avant de le soumettre à la consultation publique ou au parlement ». Les réformes de structures prises par le gouvernement Syriza-Anel révèlent bien la nature des relations qu’entérine l’accord, à savoir la continuation d’une mise sous tutelle néocoloniale.
En automne 2015, la Grèce a mis sur pied un conseil de discipline fiscale composé de sept membres dont trois sont nommés par le ministère des finances grec mais uniquement après aval des institutions et deux directement par la Troïka. Depuis le 22 mai 2016, si la Grèce venait à s’éloigner trop des objectifs budgétaires fixés, ce conseil peut appliquer un « mécanisme de correction » qui permet de réaliser des coupes budgétaires de façon automatique, sans passer par vote parlementaire ou simple décret. Et pour rappel, l’Eurogroupe a imposé un objectif d’excédent budgétaire de 3,5% du PIB à partir de 2018. Autant dire une mission impossible. Il est donc presque certain que ce mécanisme, surnommé koftis en grec (la pince coupante, le sécateur) sera utilisé.
Le package voté le 22 mai 2016 par le parlement hellénique comprend également une réforme du statut du trésor public grec. Déjà autonome dans son action et l’utilisation de son budget depuis le premier mémorandum, il devient désormais une agence complètement indépendante ayant le monopole de l’interprétation de la législation en matière fiscale et dont les décisions ont même valeur de décret ministériel. Vous l’aurez deviné, cette autorité indépendante des revenus publics est elle aussi sous tutelle de la Troïka.
Comme le résume Stathis Kouvélakis, la Troïka contrôle donc les dépenses mais aussi les recettes de la Grèce. Elle se voit également dépourvue de sa politique monétaire qui est à Francfort. Et de conclure que « La Grèce se trouve maintenant placée sous un régime de tutelle, qui existait déjà depuis le début des mémorandums et le règne de la Troïka, mais qui se trouve maintenant verrouillé à un niveau sans précédent. L’Etat grec a été dépouillé de tous ses leviers d’action possibles ». |21|
Le cauchemar a-t-il une fin ?
Toutes ces mesures appliquées par le gouvernement Syriza-Anel depuis un an dans le cadre de l’application du troisième mémorandum s’inscrivent dans le sillon de celles mises en place depuis 2010, mais elles en poussent la logique à un niveau inédit, que ce soit en matière de privatisations, réforme des retraites ou mainmise des institutions financières sur le pays. De plus, alors que le protocole d’accord n’y faisait pas mention, la Grèce sous-traite dorénavant la politique migratoire assassine de l’Europe avec la conclusion et l’application de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie depuis mars 2016.
Le ministère des affaires étrangères grec a également exprimé son désaccord avec la politique européenne d’étiqueter différemment les produits provenant des territoires occupés palestiniens. Une position pro-israélienne confortée par la désignation de Jérusalem comme la capitale d’Israël par Tsipras ou encore la poursuite de l’accord de coopération militaire avec Tel Aviv dès août 2015.
À quand la lumière au bout du tunnel pour les Grecs ? Pas demain vraisemblablement.
Dans les mois à venir la Troïka et le gouvernement grec vont s’atteler à des nouveaux dossiers et notamment une réforme du droit du travail. Déjà largement attaqué par cinq années mémorandaires, on aurait pu croire qu’il ne restait plus grand chose aux Grecs en termes de droit du travail… Mais cela n’a pas d’importance pour les institutions européennes, qui en veulent toujours plus. Après avoir fait voté l’ouverture des magasins le dimanche à l’été 2015, les procédures des licenciements collectifs, la restriction du droit de grève (ou plutôt de ce qu’il en reste !), la protection des syndicalistes et le financement public des syndicats sera au menu de la prochaine revue du quartet à Athènes.
Comment clôturer cette sinistre rétrospective sans évoquer la dette… qui justifie la mise en œuvre de toutes ces mesures. Dégager des excédents budgétaires |22| pour honorer les échéances de remboursements est devenu ainsi le nouveau crédo du gouvernement grec, tentant de légitimer son allégeance aux créanciers grâce à la perspective d’un allègement de cette dette. Une perspective qui pourtant ne fait que s’éloigner toujours un peu plus. Le 24 mai dernier l’Eurogroupe s’est engagé à ouvrir des discussions sur une restructuration de la de dette grecque en 2018 si le 3e mémorandum était bien appliqué et si cela était nécessaire. Aucune garantie donc. D’autant que même si cette discussion venait à avoir lieu son cadre est déjà largement circonscrit puisqu’il ne sera pas question d’un réel allègement du montant de la dette grecque. Et qu’une réduction aussi minime soit-elle, sera encore et toujours conditionnée à la poursuite de mesures néolibérales destructrices.
Sources générales :
- Léonidas Vatikiotis, intervention « Mémorandums « de gauche » : dégâts, résistances et alternatives », Bruxelles, 29 février 2016
- Stathis Kouvélakis, intervention « Après la capitulation de Syriza quelles stratégies pour la Gauche en Europe ? », Paris, 4 juin 2016
- Le Monde.fr, AFP, AP et Reuters, « La Grèce adopte de nouvelles mesures de rigueur pour assurer la suite de son aide », Le Monde, mai 2016. Accessible à : http://www.lemonde.fr/crise-de-l-eu...
Notes
|1| Le protocole d’accord a été conclu avec le Mécanisme européen de stabilité (MES) après approbation de l’Eurogroupe. Le Fond monétaire international devrait participer également à ce programme de financement.
|2| 61% des votants ont répondu « non » aux mesures proposées par l’Union européenne.
|3| C’est notamment une des raisons d’être de l’initiative Plan B en Europe. Pour plus d’informations, voir : http://www.cadtm.org/Un-Plan-B-pour... ; http://www.cadtm.org/Un-plan-B-pour...
|4| Elisa Perrigueur, « En Grèce, la hausse de la TVA exaspère les commerçants, « fatigués », Le Monde, juillet 2015. Accessible à : http://www.lemonde.fr/crise-de-l-eu...
|5| Alexia Kefalas, « De nouvelles hausses de la TVA mettent la Grèce au régime sec », Le Figaro, Mai 2016. Accessible à : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/...
|6| À titre de comparaison, ce seuil d’exonération est de 9 700 euros pour la France et de 7 380 euros pour la Belgique.
|7| Léonidas Vatikiotis, intervention « Mémorandums « de gauche » : dégâts, résistances et alternatives », Bruxelles, 29 février 2016
|8| Dimitris Stratoulis, « Des coups mortels portés au système des retraites », résumé par Stathis Kouvélakis, CADTM, août 2016. Accessible à : http://www.cadtm.org/Grece-La-mort-...
|9| Romaric Godin, « Grèce : le gouvernement présente sa réforme des retraites », La Tribune, janvier 2016. Accessible à : http://www.latribune.fr/economie/un...
|10| Romaric Godin, op.cit.
|11| Appelée également Hellenic Republic Assets Development Fund (HRADF) en anglais
|12| Ces 8 milliard d’euros comprennent le 1,23 milliards d’euros payé à l’État grec lors de la conclusion du contrat, auquel s’ajoutent les droits de concessions et des impôts payés annuellement. Voir Niels Kadritzke, « Grande braderie en Grèce », Monde Diplomatique, juillet 2016
|13| Niels Kadritzke, op. cit.
|14| Niels Kadritzke, op. cit.
|15| Niels Kadritzke, op. cit.
|16| Léonidas Vatikiotis, op. cit.
|17| Commission européenne, Compliance Report. The Thrid Economic Adjustement Programme for Greece. First Review, June 2016, page 11
|18| Avec quelques infimes exceptions, telles que les sites archéologiques.
|19| Massimo Prandi, op.cit.
|20| Eva Betavatzi, « L’évolution du discours sur la dette grecque », CADTM, mars 2016. Accessible à : http://www.cadtm.org/L-evolution-du...
|21| Stathis Kouvélakis, intervention « Après la capitulation de Syriza quelles stratégies pour la Gauche en Europe ? », Paris, 4 juin 2016
|22| Un excédent budgétaire c’est quand, service de la dette exclu, un État parvient à avoir plus de recettes que de dépenses.
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