dimanche 28 août 2016

La place de l’église orthodoxe en Grèce, entretien avec Angélique Kourounis


Libre Pensée : Angélique quelle est la place de l’Eglise orthodoxe en Grèce ?

Angélique Kourounis : La place de l’Eglise est une place dominante, proéminente, énorme, qui de surcroit ne correspond pas au taux de croyants, mais qui correspond totalement aux traditionalistes. 

On va prendre un exemple : le blasphème. Il est absolument interdit de blasphémer et si la loi était appliquée en Grèce, ce qui est rarement le cas, toute personne qui blasphème irait en prison pour plusieurs mois. Or, les grecs blasphèmes du matin au soir de la façon la plus injurieuse qui soit. Ces mêmes grecques là se disent croyants, mais ne vont jamais à l’église, pratiquent encore moins les préceptes de la chrétienté, par contre le vendredi saint et à Pâques, ils sont tous à l’église.


Cette Eglise correspond à une tradition très profondément ancrée parce que profondément calquée sur l’identité des Grecs. Cela renvoie à la question « Est-ce qu’un grec peut ne pas être orthodoxe ? », « Est-ce que l’on est un vrai grec si l’on est un grec catholique, un grec juif, un grec musulman ? », « Est-ce que l’on n’est pas un citoyen de seconde catégorie ? ». C’est un vrai problème qui se pose. Cela est la première des choses.

Elle a un rôle très dominant parce que l’ouverture du Parlement, l’ouverture des écoles à la rentrée, se font avec la bénédiction du Pope, parce que pour toute ouverture de magasin qui se respecte, qui veut avoir une clientèle, il va falloir que le Pope arrive avec son bouquet de basilic et son eau bénite. Parce que dans tous les stades importants de la vie l’Eglise est là : le baptême, la mort.

L’Eglise est présente dans le débat public. A la grande différence des catholiques, elle ne donne pas de directives sur comment s’envoyer en l’air, ce qu’il faut ou pas faire. Par exemple quand a eu lieu le grand rapprochement avec le Pape Paul VI et Athénagoras, au moment où l’Eglise catholique a voulu aborder les problèmes plus intimes des fidèles, Athénagoras a dit « Non, nous on s’arrête devant la chambre à coucher de nos disciples ». C’est donc une vraie différence. Ce qui ne les empêche pas de prendre position sur l’homosexualité, le mariage libre ou l’avortement. La différence, c’est que l’Eglise grecque est autocéphale. Ce que pense l’archevêque Ambrios, qui est un fasciste notoire proche de l’Aube dorée, n’est pas du tout la même chose que ce que pense l’évêque SIatistis Pavlos qui a publiquement dit « un mec avec une chemise noire qui vient communier, je ne le communie pas ! ». Il y a des bons et des mauvais côtés.

Ceci étant on peut observer que depuis 1980, il y a un recul de cette emprise qui correspond aussi à un recul des Grecs par rapport à la religion. Par exemple, on a eu l’introduction du mariage civil, mais qui n’est pas obligatoire. Pendant un moment, il y avait des curés fous furieux qui disaient « Tu te maries à la mairie ? Tu ne pourras pas te marier à l’église après et tu ne pourras pas être enterré religieusement ! ». Ce qui relevait d’une certaine logique, mais qui était contre la volonté de l’individu. Ils ont dû faire marche arrière. Maintenant tu peux te marier à la mairie et être enterré religieusement, si tu le veux.

Ils se sont prononcés contre l’incinération des morts. C’est un débat qui est toujours à l’ordre du jour, la loi est passée, mais pas encore appliquée. Il y a eu une opposition extrêmement virulente sur l’extension du « PACS » aux couples homosexuels, mais là aussi ils font marche arrière. Ce qui n’a pas empêché un archevêque de dire que l’homosexualité était une maladie etc…

Je dirai qu’ils ont toujours la parole, qu’ils dominent toujours le débat, mais ils n’ont plus le dernier mot. Cela, c’est une chose, c’est pour la galerie. Maintenant dans les faits un homme politique ne peut pas faire carrière, s’il se met l’Eglise à dos. Une des premières visites à l’étranger d’Alexis Tsipras a été au mont Athos qui est pour le moins une république théocratique semi-autonome, où les femmes sont interdites et qui est financée par nos impôts. L’interdiction pour les femmes d’aller sur le mont Athos n’a pas été remise en cause par Syriza, ni par le Pasok et encore moins par les conservateurs. L’euro-députée de l’époque, Maria Calamano, qui avait posé la question publiquement au parlement a vu dans les mois qui ont suivi sa carrière se terminer. C’est très clair !

On ne peut pas dire que l’Eglise fait office d’intouchable, parce que l’on a eu un curé qui a été en prison pour une affaire financière. Cela a été un véritable tremblement de terre : enfin un prêtre allait en prison pour des malversations financières. Il est vrai que dans le monde de la gauche, et uniquement de la gauche, il y a des attentes pour une Séparation des Eglises et de l’Etat. Sur ce sujet Syriza la met en sourdine.

Libre Pensée : Tu dis « Il y a une certaine gauche qui demande la Séparation des Eglises et de l’Etat ». C’est quelque chose qui est dans les débats, sans être en avant-poste. Quels sont les enjeux pour l’Eglise, pour l’Etat s’il y avait séparation et quelles sont les forces politiques en dehors de Syriza qui avanceraient cet argument de séparation ?

A.K : Il faut un peu remonter dans l’histoire. Quand l’Etat a accepté de salarier les Popes, l’accord a été la prise en charge des salaires des Popes en échange de dons de terrains et autres. Côté Eglise, l’accord a été respecté puisqu’elle a donné de grandes propriétés et de grands terrains. Pour schématiser on peut dire qu’environ la moitié d’Athènes provient de propriétés de l’Eglise.

L’Eglise dit « vous voulez la séparation de l’Eglise et de l’Etat, très bien, mais vous nous dédommagez, car vous avez eu les terrains ». Comme l’Etat est ce qu’il est en Grèce, c’est-à-dire inexistant, l’Eglise a une énorme œuvre caritative. Ce qu’elle dit, c’est que si elle n’a plus les moyens d’assurer cette œuvre se sera à l’Etat de le faire et on parle de centaines d’institutions pour personnes âgées, pour enfants autistes, pour aveugles etc... Il s’agit, ni plus ni moins, que d’un marchandage.

L’autre problème qui se greffe là-dessus, sur l’Eglise et l’Etat, c’est que l’on ne sait pas vraiment quelles sont les propriétés ni de l’Etat ni de l’Eglise parce que l’on a pas de cadastre, parce que l’Eglise grecque est autocéphale et que chaque évêché à ses propres possessions et que l’on n’est pas censé le savoir. D’autre part, pendant la Guerre d’indépendance et pendant les 400 ans d’occupation ottomane, beaucoup de grecs, pour que leurs propriétés n’aillent pas chez les turcs, les donnaient à l’Eglise. Tout cela est donc très flou comme tous ce qui est officiel en Grèce.

Pour procéder à une véritable Séparation de l’Eglise et de l’Etat, il y a le côté symbolique et politique et puis il y a le côté financier. Je suis à-peu-près persuadée que le premier côté sera plus simple que le second. Cela, c’est vraiment un gros problème. Maintenant comme les Popes sont considérés comme des fonctionnaires il faut savoir qu’ils ont subi eux aussi une baisse de leurs salaires et de leurs retraites et qu’ils sont aussi soumis au même impôt.

Libre Pensée : Est-ce qu’ils ont manifesté à ce sujet ?

A.K : Oui bien sûr, j’ai vu plusieurs Popes qui ont manifesté pendant les grèves et j’en ai vu plusieurs aussi qui ont manifesté en faveur de Aube Dorée, j’en ai vu qui ont manifesté contre Aube Dorée. Ce sont des citoyens qui font partie du quotidien. Le vrai problème avec l’Eglise ce n’est pas ce que l’on sait, c’est ce que l’on ne sait pas. Par exemple : je me marie. Il n’y a pas de tarif officiel. Si tu veux avoir les lumières allumées, si tu veux avoir des bougies allumées, si tu veux avoir l’Eglise balayée, tu dois payer à chaque fois ! Tu seras un peu radin si tu ne donnes pas quelque chose au Pope et celui-ci ira demander aussi à tes témoins. Il y a le pire et le meilleur.

Le pire : L’évêque Ambrios qui estime que nos jeunes chemises noires d’Aube Dorée sont l’avenir de la Grèce. Et aussi verbatim, l’évêque SIatistis Pavlos qui dit que les principes d’Aube Dorée sont incompatibles avec la religion, refuse de communier les membres d’Aube Dorée et interdit à ses Popes de le faire. Le problème est que le Pope fait ce qu’il veut, il n’a pas de compte à rendre à son archevêque

Le bon côté : le pope Giorgos sur l’ile de Kalimnos, qui avec son unité de choc, une dizaine de femmes, qui donne et dit que si l’orthodoxie ne devient pas orthopraxie, ce n’est pas la peine de venir dans mon église. Il travaille avec les gardes côtes et lorsqu’on lui dit que des migrants arrivent, il mobilise son équipe et cuisine pour distribuer des repas chauds. Comme il a noté que sa soutane les gêne, il reste dans son camion et se sont les femmes qui distribuent les repas.

Avec la Séparation de l’Eglise et de l’Etat pour ce qui est du meilleur on ne va pas le perdre, mais pour ce qui est du pire, je ne sais pas. S’il n’y a plus de contrôle, il y en a déjà peu, de ce qui se passe dans l’Eglise, c’est grave.

Libre Pensée : Sur le fond la question est la place de l’Etat. Quand il y a Séparation de l’Eglise et de l’Etat, il y a la question de la force et de la place de l’Etat.

A.K : Le problème est qu’il n’y a pas d’Etat en Grèce et donc l’Eglise prend sa place. Il n’est pas normal que, parce que l’Etat n’a pas d’argent, il s’en remette à l’Eglise pour tous ce qui est du domaine du caritatif. L’Eglise distribue 70 000 repas par jour ! L’Eglise a ouvert des dispensaires ouverts à tous, grecs et étrangers. C’est cela qui est extrêmement grave à mon sens.

Pourquoi est-ce que les grecs sont propriétaires, à 97%, de leur bien ? Il y a une explication historique liée à l’occupation ottomane, mais surtout cette propriété, c’était le bas de laine au cas où quelque chose allait mal. Car en cas de problème, l’Etat n’est pas là, même s’il y a eu beaucoup d’amélioration. On est très loin du compte. Vivant entre la France et la Grèce je peux comparer : les aides apportées par exemple aux personnes âgées en cas de maladie, dans le cadre du maintien à domicile etc. relèvent de l’utopie en Grèce !

Le terrain que l’on possède va donc être vendu si l’on n’a plus rien ou pour payer les études des enfants. L’école est gratuite en Grèce, mais elle est tellement de mauvaise qualité que pour faire des études, les parents doivent payer des cours particuliers à leurs enfants (400 euros par mois pour un cours de langue). Pour passer des examens l’école de suffit pas. Le système scolaire est lié à un système de corruption ce qui fait qu’un même enseignant incompétent à l’école publique, va à l’école privée le soir et sera compétant !

Libre Pensée : Parle-nous de l’imposition.

A.K : Ce que je veux dire sur l’imposition, c’est que les prêtres sont imposés, l’Eglise est imposée. Les prêtres étant salariés, ils ont toujours été imposés. Ce qui est nouveau, c’est que les institutions de l’Eglise doivent payer une nouvelle taxe imposée par la Troïka. Il existe 8 impôts immobiliers en Grèce. Je n’ai jamais dit que les Grecs ne devaient pas payer d’impôts, mais on ne peut pas demander à un pays de faire en trois ans ce qui n’a pas été fait en trente. On ne peut pas en même temps augmenter les impôts de 52 % et baisser les salaires de 40% ! Le résultat, c’est 30% de Grecs qui n’ont plus accès aux soins.

Les Popes payent leurs impôts au même titre que les autres, car l’impôt est retenu à la source pour 1/3 des grecs. A salaire égal, les Grecs payent deux fois plus d’impôts que les Français ! Tout ce qui relève du commerce, des lieux de vie, des lieux de repos appartenant à l’Eglise est maintenant soumis à l’impôt. Seuls les lieux de culte sont exonérés au même titre que les stades de foot !

Libre Pensée : Dernière question. Nous disons en tant que libres penseurs que nous sommes dans le cadre de l’Europe vaticane. Quelle est la relation entre l’Eglise orthodoxe et l’Union européenne d’une part, l’Eglise orthodoxe et le Vatican d’autre part et que pensent les politiques de l’Union européenne d’une manière générale ?

A.K : L’Eglise orthodoxe et l’UE c’est un vaste débat. Les orthodoxes se sentaient un peu isolés dans cette Europe très catholique et très protestante et ils ont été très contents de l’arrivée des roumains et des bulgares. Le père spirituel des orthodoxes est Monseigneur Bartholomé dont l’archevêché est à Constantinople. Il a très vite compris que sa survie en tant que père spirituel passait par l’UE et a donc un bureau au parlement européen. Mais l’Eglise orthodoxe grecque voulait aussi avoir son bureau au Parlement et il y a donc eu un problème de confrontation et d’intérêt.

D’autre part tous ne se passe pas pour le mieux entre Bartholomé et Alexis le chef des russes. Les orthodoxes se méfient viscéralement des catholiques. Cela date des croisades. La phrase « Plutôt le turban que la mitre » est toujours valable. Il y a une sorte de mémoire collective, que l’on retrouve également dans les livres scolaires d’histoire, qui veut que les catholiques sont des méchants qui ne veulent que « bouffer » de l’orthodoxe. Heureusement des gens intelligents pensent qu’il faut un rapprochement œcuménique sur lequel Bartholomé a beaucoup travaillé. Il est très écouté car modéré.

Mais il y a un schisme en Grèce entre ceux de l’Ancien calendrier et ceux du Nouveau calendrier. Ceux de l’Ancien calendrier célèbrent les fêtes avec une semaine de retard par rapport à ceux du Nouveau calendrier. Ceux de l’Ancien calendrier sont violemment, fascistement opposés à tous rapprochement avec le Vatican. Ils ont un monastère au Mont Athos et sont surnommés les « talibans de l’orthodoxie ». On peut y lire sur la façade : « l’orthodoxie ou la mort ». Des décisions judiciaires leur ont demandé de partir, pour que d’autres moines plus modérés puissent venir, mais ils ont refusé et l’on a vu dans le monde entier cette photo d’un moine jetant un cocktail Molotov sur la police. Ces moines ne peuvent pas sortir de leur monastère et vivent en autarcie complète, car ils n’ont aucune livraison de nourriture ni de médicaments

Il y a un processus de rapprochement qui est fortement encouragé par tous les gouvernements. Je ne sais pas ce que cela pourra donner, car dire que le corps du christianisme a besoin de ses deux poumons, catholique et orthodoxe, c’est une belle image, une belle formule, mais à terme cela veut dire que l’un va disparaitre. Je ne vois pas les orthodoxes abandonner leur Corum, leurs velléités, leur différence. Les orthodoxes très religieux vous diront que les catholiques ont créés les Uniates qui sont le cheval de Troie des catholiques dans l’Orthodoxie. Pour beaucoup l’Europe est quand même un corps étranger si [ont] peu[t] dire. L’Europe est étrangère à l’Orthodoxie.

Libre Pensée : Est-ce qu’ils la considèrent comme religieuse ou trop catholique ?

A.K : Définitivement trop catholique ! Les Grecs ont l’impression, en tant qu’orthodoxes, d’être mal compris par les européens, que l’on veut prendre leurs richesses, leur culture. Il y a une mauvaise compréhension.

Libre Pensée : Est-ce que l’on ne peut pas considérer que chez les Grecs il y avait un syndrome d’une république inachevée ou d’une unité inachevée ? Ils ont obtenu leur unité à coup de révoltes et à coup de sang au 19e Siècle, mais j’ai l’impression qu’en Grèce il y a quelque chose d’inachevé.

A.K : C’est un discours dangereux, car tous les fascistes de service vous dirons que la Guerre d’indépendance n’est pas achevée, parce que le sud de l’Albanie où vivait une communauté orthodoxe n’est pas libérée. Je ne sais pas si on peut parler de république inachevée, car il y a tellement de choses qui ne sont pas achevées en Grèce ! Les comptes de la guerre civile ne sont pas fermés et on le voit maintenant avec l’Aube Dorée. Le processus logique de l’histoire n’a pas été au bout, il a été arrêté par les différentes dictatures qui se sont mises en place et ensuite une Europe imposée.

Propos recueillis par David Gozlan

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