lundi 21 mars 2016

Etat espagnol. Le point de la situation...., par Philippe Viguié


L’état espagnol connaît une crise majeure de la Transition de 1978 négociée suite à la mort de Franco. Cette crise affecte trois des piliers de cette transition : le statut des autonomies, la royauté, le bipartisme (PP – PSOE). Les traits les plus marquants de cette crise sont les volontés d’indépendance en Catalogne, l’apparition puissante de nouveaux partis comme Podemos et de Ciudadanos, de confluences majoritaires comme à Madrid ou Barcelone, d’une corruption généralisée avec comme symbole la démission de Juan Carlos et l’Infante (fille du roi) devant les tribunaux.


Face à une cure d’austérité sévère appliqué dans un premier temps par le gouvernement Zapatero du PSOE, puis de celui du PP de Rajoy, le réveil d’un mouvement social puissant ayant pris comme forme les Indignés, le 15M, les Marches de la Dignité ou encore les Marées a bouleversé le paysage politique. 

Une nouvelle génération politique est apparue, concrétisée par un rajeunissement réel des responsables des partis dans une tranche d’âge 25 – 40 ans. Dans ce bouleversement politique, l’austérité subie joue un rôle décisif mais il ne faudrait pas oublier un niveau de corruption généralisée, en particulier parmi les responsables et élus du PP. 

Les élections générales 

Les élections générales sont à l’image de cette nouvelle situation. Le PP et le PSOE sont les grands perdants, Podemos et Ciudadanos deviennent incontournables. IU est l’autre perdant de ces élections, son espace politique étant pris par Podemos. 

Ciudadanos, au départ un parti catalan pour l’unité de l’Espagne et contre la corruption, s’est développé rapidement au niveau de l’ensemble de l’état. Aujourd’hui avec 40 députés, il cherche à jouer les faiseurs de rois entre le PP et le PSOE. Plus jeune que le PP, il espère prendre la place de ce vieux parti issu de la transition, toujours marqué par le franquisme et aujourd’hui la corruption à tous les niveaux.


Podemos a réussi à faire un score quasi égal à celui de PSOE, passant les 20% et gagnant 69 députés (dont 27 sont issus de coalitions plus larges en Catalogne, Galice et Pays Catalans). C’est à l’évidence un gros succès même si la version optimiste de prise rapide du pouvoir de la direction Iglesias de Podemos n’est pas au rendez-vous. 

La fin du bipartisme est bien réelle ! Ni le PP, ni le PSOE ne peuvent gouverner seuls ! Vers de nouvelles élections ? Nous pouvons penser que c’est l’hypothèse la plus probable. Le PP n’a pas réussi à constituer un gouvernement. Le PSOE a choisi un cadre d’alliance avec Ciudadanos mais n’a pas réussi à trouver un vote majoritaire permettant de constituer un gouvernement, PP, PSOE, IU, nationalistes votant contre. L’alliance PSOE – Ciudadanos n’est pas une surprise totale, souvenons nous que c’est grâce à Ciudadanos que Susana Diaz a été élue au Parlement Andalou.

Podemos et Ciudadanos ont un point commun : leur volonté de prendre la place des vieux partis PSOE et PP. Podemos, à juste titre, a refusé la proposition d’un accord avec Ciudadanos, parti de droite. Podemos a fait une série de propositions pour un gouvernement paritaire PSOE – Podemos incluant une série de mesures contre l’austérité, la corruption, le « droit à décider »… 

Le PSOE, incarnant la peur de la bourgeoisie espagnole, a refusé toute discussion sérieuse. De plus, sa défense de l’unité de l’Espagne lui fait fermement refuser toute possibilité d’un référendum en Catalogne. Le PP n’a pas trouvé de majorité gouvernementale, l’alliance PSOE – Ciudadanos non plus. Nous voyons mal comment les choses pourraient bouger. 

Le PSOE a décidé de confirmer son accord avec Ciudadanos et de rencontrer à nouveau les partis avec lui. Cette décision bloque tout accord avec Podemos et avec les partis nationalistes. Pourtant, pour avoir une majorité au Parlement il leur faut au minimum l’abstention de ces partis. Le PP de son côté a peu de possibilité malgré sa première place à 28%. Aujourd’hui des pressions existent pour que Rajoy se retire et que le PP présente un nouveau candidat-e mais sans cadre d’alliance cela ne peut aller bien loin. 

Le PSOE a refusé à plusieurs reprises toute idée de grande coalition avec le PP, sachant de plus que vu le résultat de l’élection c’est le PP qui aurait la présidence du gouvernement ! Il cherche aujourd’hui à se montrer « responsable », capable d’écarter le PP du pouvoir. Il cherche aussi à désigner Podemos comme « sectaire » vu son refus d’un accord incluant Ciudadanos. 

Il est évident qu’entre PSOE et Podemos la bataille publique pour savoir qui a fait échouer une alternative au PP est ouverte. Podemos ne peut aller seul au gouvernement vu ses résultats électoraux. Son tournant sur le « droit à décider » lui a permis des succès importants en Catalogne , en Galice et à Valence et nous pouvons le penser aussi au Pays Basque (même si là Podemos se présentait seul). Il argumente pour un gouvernement large comme cela c’est fait à Valence, Barcelone….. mais le PSOE n’en veut pas. 

Avec un peu plus de 3% et 2 députés (même s’il y a 3 députés de plus gagnés dans le cadre des coalitions), Izquierda Unida a maintenant peu de poids. Cette organisation est rentrée dans une crise profonde où la question de la survie d’IU est bien réelle. Plusieurs projets s’affrontent entre celles et ceux qui veulent se rapprocher de Podemos et celles et ceux qui sont davantage dans l’affirmation d’IU. 

Il reste un autre projet porté principalement par Ciudadanos. Pour eux, leur accord avec le PSOE n’implique pas un gouvernement dirigé par le PSOE. Ils proposent la candidature d’un indépendant / technocrate. Ainsi ils font pression sur le PP, tout en demandant le départ de Rajoy, pour qu’il rentre dans une « grande coalition ». Ce scénario n’est pas le plus probable mais nous ne pouvons l’écarter, ce scénario pouvant avoir un écho chez la troïka. 

Le temps est maintenant compté, sans élément nouveau il y aura de nouvelles élections en juin 2016. Nouvelles élections, qui au vu des sondages actuels, peuvent ne pas changer beaucoup les données, les scores des partis bougeant à la marge. Mais en deux mois, il peut se passer bien des choses et entre autre le bilan du blocage actuel pour la constitution d’un gouvernement ou mieux encore un mouvement social puissant 

Une situation d’instabilité est ouverte. 

Instabilité ne veut pas dire rien... Le débat va se continuer et des clarifications vont se faire en raison de la question de quel gouvernement pour quelle politique mais aussi parce que la politique continue dans le pays. Si nous pensons probable de nouvelles élections, le bilan de la séquence va être indispensable et un enjeu pour chacun des partis. 

Pour ce qui nous intéresse, soit une « grande coalition PP-PSOE-Ciudadanos» se met en place, alors l’espace, les responsabilités de Podemos, de la gauche radicale deviennent énormes et d’une certaine façon historiques. Soit il y a de nouvelles élections en Juin, alors il faut tout faire pour élargir la base sociale de la gauche radicale à l’image des confluences catalanes ou galiciennes. 

En Catalogne, les forces favorables à l’indépendance vont continuer leur chemin et avancent dans leur projet. Comme il n’y a pas de majorité dans l’Etat espagnol pour un référendum, un droit démocratique qui ne préjuge pas de la position des uns ou des autres, la Generalitat poursuit ses initiatives. Cette polarisation ne peut que trouver un écho dans la population catalane vu le refus de toute proposition cherchant à répondre aux demandes actuelles. 

La réunion sur le Plan B à Madrid a montré un mouvement social vivace, capable de mobiliser et de prendre des initiatives. Ce mouvement va maintenant se construire dans les différentes villes et régions. La date décidée de mobilisation européenne contre l’austérité le 28 mai sera un test 

Le réseau des villes « rebelles », Barcelone, Madrid, Valence, Cadiz, …, villes gagnées par des coalitions de la gauche radicale, se rencontrent pour agir ensemble. Les 21 et 22 avril, date de leur rencontre à Barcelone, seront à l’évidence un moment important pour concrétiser les politiques de rupture. Imaginez un instant les villes équivalentes en France dirigées par des coalitions radicales ! 

Le débat sur la construction de forces politiques capables de peser et de gagner est loin d’être clos. L’initiative d’Ada Colau, dont le poids politique est toujours plus important, de transformer la coalition catalane présentée aux élections en parti politique nouveau est une initiative des plus intéressantes. Souvenons nous que cette coalition est arrivée en tête en Catalogne et regroupe 13 députés (sur les 27 de coalitions dans Podemos). 

N’oublions pas non plus les élections aux parlements autonomes à l’automne. Il faudra suivre particulièrement le Pays Basque et la Galice. En Euskadi, la sortie de prison d’Otegi redynamise le courant Bildu. Il sera la tête de liste et nous pouvons penser que cette candidature va peser. 

Y aura-t-il un cadre d’accord avec Podemos comme en Galice ou Catalogne ? Ce n’est pas évident. Otegi a déjà indiqué qu’il fallait « ouvrir, après la catalogne, un nouveau front » ce qui va au delà « du droit à décider » défendu par Podemos. De plus une alliance avec Bildu, vu l’histoire de la gauche abertzale et ses relations avec ETA, prend un sens particulier dans le reste de l’état espagnol. 

En Galice, En Marea est arrivée devant le PSOE lors des élections générales et le PP a perdu sa majorité absolue. En Marea lors des municipales a gagné de nombreuses villes et en particulier St Jacques de Compostelle et La Corogne. Podemos ayant décidé de ne pas faire les Municipales a intégré cette confluence pour les Générales. La possibilité d’une nouvelle majorité alternative menée par En Marea est une possibilité tout à fait réelle. Enfin…un peu d'optimisme ! 

Nos camarades de la gauche radicale se posent des questions fondamentales que nous aimerions bien nous poser. Comment diriger Barcelone ou Madrid (et de nombreuses villes de plus de 100 000 habitant-es) dans une logique de rupture et démocratique ? 

Comment articuler la gestion de la ville et le lien avec les batailles globales contre l’austérité, pour la transformation sociale ? 

Comment, quand on fait 20% et que l’on a 69 députés, se pose la question du gouvernement et des alliances ? Il ne s’agit plus dans ces cas d’une formule de propagande au bas d’un tract, il s’agit de répondre à la hauteur des enjeux et des responsabilités acquises. 

Nous avons beaucoup à apprendre surtout sur les formes de « confluence » (nous dirions d’alliances convergentes), de construction de coalitions, de « parti-mouvement » et en particulier, savoir quels enseignements nous tirons d’un parti comme Podemos. Les mois qui viennent vont continuer à porter des enjeux décisifs, nous devons rester attentifs et prêts à développer la plus grande solidarité. 

Francis Viguié. Le 11 mars 2016.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire