Quelle immense stupidité que de vouloir empirer une situation née d’un rapport esclavagiste en une pure maltraitance et réduction de l’être humain à une masse docile dénuée de toute protection ! Alors que l’histoire des luttes ouvrières ont permis que le rapport salarial puisse évoluer selon des conditions supportables et garantes de sécurité pour ceux et celles qui en sont les victimes, le gouvernement français s’acharne aujourd’hui à imiter un modèle dont l’échec semble être pour les autorités chiliennes leur plus grande source de joie.
La réforme du code du travail,
proposé par le gouvernement Hollande et ses confrères, détruit la
dignité du travailleur-se pour la soumettre aux exigences de
l’entreprise dont l’objectif essentiel est le profit,
c’est-à-dire la fructification d’un capital par nature
dominateur et impérialiste. Par la réduction des indemnités
prud’homales ou l’augmentation du temps de travail au nom de la
survie de l’entreprise, cette dernière est sanctifiée comme
l’institution maîtresse d’une société hors de laquelle la vie
est pur loisir ou divertissement.
Le travail, comme
abrutissement répété d’une tâche assignée, devient fin en soi
et aller à son encontre, exercer un droit de grève ou déclarer un
droit à la paresse, comme l’a très bien revendiqué Paul Lafarge,
est un non-sens, voire une guerre déclarée à l’ordre vital du
corps social. En devenant à la fois l’unité sacrée de la
productivité d’un pays, le travailleur en est aussi son ennemi
puisqu’il dispose d’une capacité de révolte dont la seule
possibilité d’exercice fait trembler, de manière la plus infime
qui soit, les tendances boursières.
En France, il s’agit de le
faire taire, ainsi que ceux et celles qui seront prochainement dans
la même condition ; nous, jeunes. Ces derniers prenant
conscience de l’impact direct que la réforme du code du travail va
avoir sur leurs futures conditions de travail, il-les se sont
mobilisé-es aux côtés des travailleur-ses pour constituer un
mouvement social dont l’amplitude est à faire blêmir la force de
lobby du patronat.
Dans un contexte de
scandales de collusion — notamment au sein des chaînes de
supermarché et des marques de papier toilette — entre les grandes
familles du Chili, qui contrôlent la majorité des grandes
entreprises du pays, et une réforme de l’éducation qui accorde la
gratuité de l’enseignement supérieur aux 50% les plus vulnérables
de l’ensemble des étudiant-es1,
sans toutefois remettre en cause le modèle néolibéral de
l’éducation, qui a privatisé une majorité de l’enseignement et
donne la possibilité aux établissements de se constituer comme
entité à but lucratif, c’est-à-dire en entreprises, vendant une
offre éducative dont la qualité a été mise en doute par de
nombreuses études sociologiques2,
le Chili connaît une certaine effervescence quant à la possibilité
d’un changement structurel.
Le système d’exploitation des lieux
d’apprentissage où l’élève fait figure de ressource monétaire
a déclenché la revolución de los pingüinos
en 2006 au cours de laquelle de nombreux étudiant-es des collèges
et lycées sont descendu-es dans la rue afin d’exiger une éducation
gratuite, de qualité et équitable. Ce mouvement a connu son apogée
en 2011 lorsque les étudiant-es, cette fois-ci des collèges et
universités, ont occupé pendant plus de six mois leur établissement
en organisant de nombreuses assemblées et en s’appuyant sur une
forte mobilisation à la racine d’un mouvement politique d’ampleur.
Malgré ces deux
années emblématiques du mouvement étudiant chilien, le
gouvernement de coalition de la Concertación,
qui regroupe majoritairement la démocratie chrétienne et le parti
socialiste, ainsi que sa nouvelle variante qu’est la Nueva
Mayoría au pouvoir, intégrant en plus le parti
communiste, et la droite au pouvoir sous le gouvernement de Sebastián
Piñera — 688e fortune mondiale3
— de 2010 à 2014, ont maintenu un statu quo depuis la fin
de la dictature en 1989, ne réformant que superficiellement ce que
Pinochet et son juriste Jaime Gúzman se sont efforcés d’inscrire
dans le marbre. Cette continuation structurelle avec la dictature,
par peur d’une réplique brutale de la droite, toujours
propriétaire des immenses richesses du pays, n’a pas connu de
rupture idéologique avant l’intervention des étudiant-es, qui ont
eu l’audace de rejeter sans concession le modèle néolibérale
hérité de la dictature, plutôt que d’en proposer
d’infinitésimales réformes au nom d’une prétendue sauvegarde
de la stabilité politique.
Ce mardi 22 mars 2016 de nombreux
étudiant-es ont décidé de se joindre à la grève générale
convoquée par la Confédération Unitaire des Travailleurs
(Confederación Unitaria de los Trabajadores,
CUT), dont la présidente, Bárbara Figueroa, est une militante du
parti communiste depuis ses 15 ans ; situation qui pose
certaines difficultés au vu de la présence de ce même parti au
sein de la coalition gouvernementale.
La manifestation de
ce mardi, qui a réuni à Santiago environ 75 000 personnes, fut
organisée à l’appel de la CUT qui exige une meilleure
reconnaissance du rôle syndical dans l’entreprise par la réforme
du travail entrée au Congrès le 29 décembre 2014, et toujours en
processus de discussion. La centrale syndicale a également souhaité
élargir ses revendications pour y inclure celles de la fin du
système privé d’administrations des fonds de pension (AFP), qui
gère de manière spéculative les capitalisations individuelles des
travailleurs qui essaient souvent vainement d’épargner pour leur
retraite, et d’une nouvelle constitution ; ces derniers étant
tous deux d’autres héritages pesants de la dictature4.
La discussion à propos de la réforme du travail est relativement
complexe, d’autant plus qu’elle a pour objet un texte en
continuel changement que chaque acteur politique souhaite modifier
selon ses intérêts après plus d’un an de négociations au
Congrès. Loin d’être une réelle régression dans le droit du
travail, comme c’est le cas en France, le Chili fait plutôt face à
une réforme qui ne fait que peu évoluer la situation déjà mal en
point. Voici quelques points du texte législatif toujours en
négociation et encore susceptibles d’être modifiés.
Les débats ont
surtout porté sur le rôle des syndicats au sein de l’entreprise.
L’ancien code du travail autorisait le remplacement des ouvriers en
grève par d’autres travailleur-ses disposés à prendre leur
place. Cette mesure est prohibée avec la réforme, mais l’employeur
reste toutefois libre de réaliser ce qui est appelé des
remplacements internes, c’est-à-dire d’utiliser des employé-es
non-grévistes pour les faire travailler aux d’horaires qui ne sont
pas les leurs et ce pour le bon fonctionnement de l’entreprise. Ce
point de la loi est très discuté au sein de la coalition
gouvernementale, notamment entre les députés communistes, opposés
à la mesure, et les députés de la démocratie chrétienne qui ont
supposément fait pression sur la Présidente Michelle Bachelet afin
d’introduire cette modification d’article5.
La négociation
collective est, de plus, toujours réduite à une négociation au
sein de l’entreprise même et ne peut être élevée à un niveau
supérieur que sur décision de l’employeur. Par ailleurs, les
salariés ne disposent du droit de grève qu’en cas de tenue d’une
négociation collective préalable. Les travailleurs du secteur
public sont encore privés du droit de négociation, ce qui en fait
les grands exclus de cette loi, comme l’a explicitement dit la
Présidente du syndicat qui les représente6.
Ce qui a été négocié jusqu’à présent au sein d’une
entreprise privée peut être revu à la baisse si l’employeur
déclare de « mauvaises conditions économiques ».
Le
texte comprend une autre mesure digne d’une proposition macronienne
appelée « pacte de flexibilité ». Celle-ci stipule que
si les 50% + 1 des salariés non-syndiqués donnent leur accord, ce
pacte pourra s’appliquer unilatéralement à tous les
travailleur-ses de l’entreprise, sans nécessaire approbation de
l’inspection du travail. Ce pacte porte sur tous les droits inclus
dans le Code du travail et signifie donc que cette mesure est capable
de déroger à la législation en vigueur et de mettre en place des
normes peu précautionneuses de la santé et de la protection des
salariés. Le droit de grève est encore considéré comme une
procédure de la négociation collective et, en aucun cas, un outil
de protestation des travailleur-ses. Certes, certains points
présentent une certaine avancée comme l’interdiction de
recrutement de travailleur-ses extérieurs à l’entreprise afin de
remplacer les grévistes.
Néanmoins, les « services minimums »
de l’entreprise doivent être garantis, ce qui signifie que le
droit de grève peut être suspendu, après autorisation de
l’inspection du travail, s’il est jugé que l’arrêt du travail
peut mettre en péril « les biens et installations de
l’entreprise ». De plus, les bénéfices obtenus au cours de
la négociation collective ne peuvent être étendus aux autres
salarié-es qu’avec l’accord du syndicat et de l’employeur,
remplaçant ainsi une mesure qui ne nécessitait que l’accord du
patron afin d’appliquer le résultat des négociations à tous les
employés, ce qui avait pour effet un découragement à la
syndicalisation7.
Si la loi ne marque donc pas une récession absolue du droit du
travail, son avancée est mineure, d’autant plus si l’on
considère l’état actuel du code du travail chilien. Ce qui
s’annonçait comme une réforme en rupture avec les restes fumants
de la dictature continue à attiser des braises dont les fumées sont
les mobilisations de plus en plus importantes qui investissent la
rue.
La jonction entre les étudiant-es et les travailleur-ses se
fait au travers d’un refus sans concession de ce que Pinochet et
ses juristes ont livré comme testament à leur pays. Si en France le
regard va vers le futur et ses ternes espérances, au Chili, la
situation exige un travail de mémoire sur ce qui fut et continue
bien malheureusement à être par l’intermédiaire d’une classe
politique inamovible, figée par la peur de briser le statu quo
d’une société construite par la dictature.
Dans les deux
situations, l’union entre travailleur-ses et étudiant-es ne peut
être que positive, même si chaque pays va dans un sens contraire à
l’autre ; le gouvernement français souhaitant imiter la
législation chilienne, quand la population du Chili veut rompre avec
un modèle qui leur a prouvé son inhumanité et inefficacité.
Pablo, militant d'Ensemble!
1“¿Quiénes
podrán acceder a la gratuidad en educación superior en 2016?”,
Universa
Chile,
<http://www.universia.cl/quienes-podran-acceder-gratuidad-educacion-superior-2016/reforma-educacion-superior/at/1129775>
[consulté le 22/03/16].
2Pour
plus d’informations, voir notamment BELLEI, Cristian, El gran
experimento. Mercado y privatización de
la educación chilena, LOM Ediciones,
2015,
<http://www.lom.cl/08351693-1ee3-4023-9dfd-e4d22d86403f/El-gran-experimento-Mercado-y-privatizaci%C3%B3n-de-la-educaci%C3%B3n-chilena.aspx>.
3<http://www.forbes.com/profile/sebastian-pinera/>
[consulté le 22/03/16].
4“La
CUT sale a la calle a manifestarse contra reforma laboral”, El
Mostrador, 22/03/2016,
<http://www.elmostrador.cl/noticias/pais/2016/03/22/la-cut-sale-a-la-calle-a-manifestarse-contra-reforma-laboral/>
[consulté le 22/03/16].
5“Reforma
laboral: Bachelet cede ante senadores DC y acepta reemplazo interno
en huelga”, El Mostrador,
02/03/16,
<http://www.elmostrador.cl/noticias/pais/2016/03/02/reforma-laboral-bachelet-cede-ante-senadores-dc-y-acepta-reemplazo-interno-en-huelga/>
[consulté le 22/03/16].
6“Vicepresidenta
ANEF y Reforma Laboral: “Se olvidaron de nosotros””, Radio
Uchile, 15/03/16,
<http://radio.uchile.cl/2016/03/15/vicepresidente-de-la-anef-y-reforma-laboral-el-gobierno-se-olvido-de-nosotros>
[consulté le 23/03/16].
7BREGA,
Carla, DONIEZ, Valentina, “Proyecto de
Reforma Laboral, Síntesis de los principales puntos en discusión”,
Ideas para el Buen Vivir,
Fundación Sol,
N°5, Septiembre de 2015, p. 8-9-10, rapport consultable à cette
adresse
<http://www.fundacionsol.cl/wp-content/uploads/2015/09/IBV5-Final1.pdf>.
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