lundi 1 septembre 2014

Israël a perdu la guerre à Gaza mais le combat pour la justice continue, par Ali Abunimah


Il y a une raison claire de célébrer l’accord de cessez-le-feu conclu aujourd’hui entre Israël et la résistance palestinienne : 51 jours et nuits de destruction et de massacres incessants de la part d’Israël se sont achevés à Gaza. Avec l’annonce qu’Israël avait accepté de réouvrir les frontières de Gaza, Hamas a proclamé la victoire et les Palestiniens, en particulier à Gaza, sont en train de la célébrer. Chez beaucoup d’Israéliens, pendant ce temps, il y a un sentiment d’amertume et de défaite. 

Ce que Netanyahu et ses collègues ont amené sur Israël, dans un conflit entre l’armée la plus forte de la région et une organisation de 10 000 personnes, n’est pas seulement une défaite. C’est une débâcle”, écrit Amir Oren d’Haaretz, admettant ainsi de façon étonnante la dimension du revers subi par Israël. 

Quelques observateurs traitent les derniers événements avec une précaution compréhensible. “Je ne me sens pas d’humeur à me réjouir, je suis seulement content qu’il n’y ait plus de morts parmi les gens, les enfants”, m’a écrit l’écrivain de Gaza Omar Ghraieb. À part les plus de 2100 morts, “tant de gens ont été blessés, des maisons bombardées, des tours rasées, la vie déformée”, a ajouté Ghraieb. “Je préférerais juste voir de près ce qui attend Gaza”. Israël a effectivement une longue histoire de violations d’à peu près tous les accords jamais signés avec les Palestiniens, depuis les accords d’Oslo en 1993 jusqu’aux précédents cessez-le-feu à Gaza. Israël avait accepté de réouvrir les passages dans son accord de cessez-le-feu de novembre 2012 avec la résistance palestinienne, mais a renié [ses engagements]. Cette fois-ci, Israël sait que les enjeux sont bien plus élevés s’il les viole encore. 


Les termes du cessez-le-feu 

Les termes rapportés pour le cessez-le-feu “incluent l’ouverture de tous les passages à Gaza, permettant la reconstruction des infrastructures endommagées, permettant l’entrée des matériaux nécessaires pour la reconstruction et autorisant la pêche à une distance de six à douze miles nautiques du rivage”. 

Ouvrir les passages —fermés ou sévèrement restreints à cause du siège israélien de près de huit ans — est une demande clé de la résistance, soutenue par toute la société civile palestinienne. Après un mois, disent les rapports, des discussions reprendront à propos des demandes palestiniennes additionnelles : la réouverture de l’aéroport et du port maritime de Gaza. 

Certains détails ne sont pas encore clairs : qui surveillera les passages et garantira qu’Israël respecte l’accord de les ouvrir ? Quel rôle sera joué par les forces loyales au leader de l’Autorité palestinienne de facto alliée d’Israël, Mahmoud Abbas? Il sera aussi essentiel pour la société civile de Gaza d’être vigilante et de s’assurer que la reconstruction n’est pas contrôlée par les forces corrompues de l’AP d’Abbas qui ont profité de l’occupation israélienne en Cisjordanie. 

Israël a perdu 

Comme je l’ai noté auparavant, si la “victoire” est mesurée par le nombre de civils qu’une armée tue ou blesse, ou le nombre de maisons, d’hôpitaux, de mosquées ou d’écoles qu’elle détruit, Israël est encore une fois le clair vainqueur. Avec ce critère, les États-Unis ont spectaculairement “gagné” ses guerres au Vietnam et en Iraq. Mais en termes du bilan politique et stratégique qui déterminera les relations futures entre Israël et les Palestiniens, Israël a subi une perte claire sur le champ de bataille et internationalement. À un niveau basique, Israël a fait aux Palestiniens des concessions qu’il ne voulait même pas discuter lors de l’escalade et du bombardement. Il y a un mois, je disais qu’Israël était en train de perdre à Gaza comme au Liban en 2006. 

Cette évaluation reste valide. C’est une évaluation qu’on peut maintenant trouver dans les médias grand public israéliens. Le correspondant diplomatique de Haaretz, Barak David, dénonçait le fait que Netanyahu “a vu sa chance de fuir Gaza et il l’a prise”. “La proposition égyptienne de cessez-le-feu qu’Israël a acceptée mardi n’aboutit pas à un seul résultat [positif pour Israël]“, écrit Ravid, et représente en fait une “régression” par rapport à la position israélienne avant la guerre. Ravid explique : “Cette régression est résumée dans les 69 morts israéliennes, les 2000 morts palestiniennes, dont la majorité sont des civils innocents, les milliers de projectiles sur les communautés du sud, les centaines de missiles sur le centre du pays, les communautés désertées, la perte de confiance dans l’IDF [l'armée israélienne] et dans le gouvernement chez les résidents du sud, les dommages économiques s’élevant à des milliards et les dommages touchant à la diplomatie et aux relations publiques qu’il est impossible de quantifier”. 

Une résistance acharnée a répondu à l’invasion israélienne limitée de Gaza, tôt dans l’attaque. Des douzaines de soldats israéliens ont été tués dans des batailles contre des combattants palestiniens bien préparés et courageux. Les lourdes pertes ont convaincu les dirigeants militaires israéliens que la réoccupation totale de Gaza provoquerait des pertes supplémentaires qu’Israël ne pourrait supporter. 

Et après lâché l’équivalent d’une bombe atomique sur Gaza, Israël a été incapable d’empêcher les groupes de résistance palestiniens de tirer des missiles sur des cibles israéliennes. Puisque l’invasion terrestre israélienne n’a pénétré que de quelques centaines de mètres dans Gaza, il est raisonnable de supposer qu’une partie significative, sinon la plus grande, des ressources de la résistance demeurent intactes et prêtes à l’emploi si Israël envahissait encore Gaza. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense Moshe Ya’alon l’ont compris et ont signé un accord de cessez-le-feu sans le soumettre au vote d’un cabinet extrémiste et profondément divisé. 

La ministre de la Justice Tzipi Livni, qui était ministre des Affaires étrangères pendant l’invasion israélienne de Gaza en 2008-2009, a approuvé le cessez-le-feu mais a mis en garde contre le fait de permettre à Hamas d’obtenir de trop nombreux succès politiques. Les chefs de conseils des colonies méridionales israéliennes, qui étaient à portée de la plupart des roquettes de la résistance, ont aussi dénoncé l’accord de cessez-le-feu. “Toute concession à Hamas est une capitulation au terrorisme,” a dit le maire d’Ashkelon, Itamar Shimoni, selon Haaretz. “Les résidents du sud voulaient une résolution de cette campagne, mais cela n’arrivera probablement pas”, a ajouté Shimoni. Il voulait dire qu’ils souhaitaient que la guerre continue jusqu’à la victoire [d'Israël] — la fin des tirs de roquette depuis Gaza. Mais même les analystes israéliens les plus bellicistes et les plus obstinés savaient qu’une telle victoire est un mirage. 

Plus tôt cette semaine, le chroniqueur de Ynet, Ron Ben-Yishai, proche de l’establishment israélien de l’armée et des services de renseignements, se lamentait de ce que “Ce qui était supposé être une opération ou une campagne militaire est devenu une guerre d’attrition”. Une telle “guerre d’attrition est à la fin pire pour Israël que pour Hamas”, dit Ben-Yishai, “bien qu’Hamas subisse le feu et souffre de dommages sérieux, à des taux beaucoup, beaucoup plus élevés qu’Israël”. La raison, affirme-t-il, est qu’”Hamas joue des forces du faible, et que tant qu’il peut lancer des roquettes et des tirs de mortier, il se cache derrière la façade d’une force combattante qui ne se rend pas”. “Il n’a pas non plus besoin de beaucoup pour infliger des dommages, des pertes et des peines à Israël”, dit Ben-Yishai. “Un tir de mortier qui tue un garçon de quatre ans est suffisant pour porter un dur coup émotionnel aux Israéliens. C’est ainsi que se passe une guerre asymétrique”. 

Il y a un élément de racisme là-dedans — l’idée que les Israéliens font plus cas de la vie et sont de fait plus sensibles aux morts individuelles. Si c’était vrai, Israël témoignerait de son souci de la vie et montrerait l’exemple en ne tuant pas autant de Palestiniens, en particulier pas autant d’enfants palestiniens. Mais c’est aussi une réalité historique que dans les guerres anti-coloniales, les autochtones ont eu moins à perdre que leurs occupants et bien plus à gagner, et ont été prêts à faire d’énormes sacrifices pour obtenir leur libération. 

On ne peut qu’être admiratif devant le nombre de personnes de Gaza disant qu’en dépit de la peine insupportable et des pertes, ils n’étaient simplement pas prêts à se rendre. 

Survivre à cette agression est une nouvelle vie. Vivre après 51 jours de missiles et de bombes continuelles est une victoire”, me disait l’écrivaine gazouie Malaka Mohammed, actuellement étudiante au Royaume-Uni. “Être forcée de quitter votre maison plus de sept fois et d’y revenir le jour suivant est une victoire ; rester forte et résistante après avoir dû marcher sur les corps de vos voisins et de vos amis ou de vos parents est une victoire”, ajoute Mohammed. “Vivre à Gaza et être la première ligne de résistance contre le siège et l’agression n’est rien d’autre qu’une victoire”, dit-elle. Cette résistance, née d’un amour de la vie et d’un engagement inébranlable pour la dignité et à la libération, est de fait quelque chose qu’Israël ne pourra pas vaincre même avec ses armes les plus horribles. 

Hier seulement, Ben-Yishai observait : “Il est absolument clair que tous les côtés maintenant veulent un cessez-le-feu dès que possible. Le problème est que Hamas ne peut pas accepter un cessez-le-feu sans aucun résultat à présenter à son peuple et aux citoyens de Gaza … De même, le gouvernement israélien ne peut justifier les combats et les morts s’il accepte de donner ce résultat à Hamas et s’il ne peut pas prouver qu’Hamas sera incapable de reconstruire après la fin des combats”. Les alternatives proposées par Ben-Yishai étaient de bombarder encore plus ou d’occuper totalement Gaza. 

En signant l’accord, Netanyahu a admis que cela n’allait pas être une victoire israélienne et que concéder les demandes clés de la résistance était sa seule option. Netanyahu devait aussi mettre fin à l’agression israélienne, ne serait-ce qu’à cause du dommage croissant à l’économie du pays. 

Parmi les secteurs les plus touchés figure le tourisme, le nombre de visiteurs vers Israël plongeant à son plus bas niveau depuis 2007. Mais les batailles politiques internes à Israël et la propre prédilection d’Israël à infliger autant de souffrance aux Palestiniens qu’il peut le faire sans représailles signifient qu’il a une forte propension à saper l’accord, si modérés qu’en soient les termes, qu’il a maintenant accepté. L’engagement dur en Israël à garder Gaza assiégé et soumis veut aussi dire que les discussions qui selon les rapports devraient commencer dans un mois seront confrontées à d’énormes obstacles. 

La bataille pour la justice continue 

Refaat Alareer, un écrivain et éducateur de Gaza qui a perdu son frère dans l’attaque israélienne, voit aussi l’accord d’aujourd’hui comme “une victoire symbolique contre une puissance coloniale barbare — un petit pas pour Gaza et un grand bond pour la Palestine”.

Alareer ajoute: “C’est une victoire parce que Gaza ne s’est pas agenouillé, parce que Gaza a prouvé qu’Israël pouvait être contrecarré et isolé, parce que Gaza a exposé la face hideuse de l’apartheid israélien et des États-Unis qui n’ont jamais cessé d’envoyer des armes à Israël, et parce que de plus en plus de gens s’unissent maintenant dans le monde entier et sont plus déterminés à mettre un terme à cette injustice par tous les moyens effectifs. C’est une victoire parce qu’elle a uni les Palestiniens et les pro-Palestiniens du monde entier dans le combat pour la Palestine. C’est une victoire parce que la campagne pour le boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) est maintenant plus puissante et plus effective. C’est une victoire parce que beaucoup plus de personnes ont décidé de s’engager dans un soutien actif de la Palestine, en faisant partie de BDS, plutôt qu’en se contentant d’envoyer des prières et des voeux pieux”.

Alareer nous rappelle qu’alors que les Palestiniens de Gaza commencent, espérons-le, la route difficile vers la guérison physique, émotionnelle et mentale des horreurs indicibles infligées par Israël, le travail pour la justice ne peut s’interrompre. Il nous rappelle aussi que’Israël ne pourrait commettre de telles hideuses atrocités sans le soutien et la complicité de tant de gouvernements, de compagnies et d’autres institutions à travers le monde. Le combat pour maintenir l’occupation et le racisme d’Israël est global, et c’est pourquoi le combat pour les vaincre, en particulier BDS, doit aussi être global. 

Un cessez-le-feu ne suffit pas. Reconstruire Gaza ne suffit pas. Même mettre fin au siège ne suffirait pas. Ce serait seulement le début. Nous devons dire “jamais plus”. Jamais plus Israël ne doit être autorisé à massacrer les Palestiniens comme cela a été le cas à Gaza en 2006, 2008-2009, 2012 et 2014 – les années pendant lesquelles Israël a décidé de faire de Gaza une prison à ciel ouvert géante. Il est crucial de comprendre qu’une telle violence est le prix d’un “État juif” en Palestine. 

La seule façon d’arrêter les massacres est d’augmenter notre travail pour la justice. La fin de l’apartheid israélien et de la colonisation, la fondation d’un pays pour tous ses habitants —où les réfugiés, qui ne soient plus exclus par des lois racistes, retournent sur leur terre —, sont les seuls monuments dignes d’être bâtis pour les si nombreuses personnes dont les vies ont été violemment volées. 

Traduction : Catherine G. pour l’Agence Média Palestine

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