dimanche 7 septembre 2014

Brésil. Interview de Luciana Genro, candidate du PSOL


Dans un mois, le 5 octobre prochain, se tiendront les élections présidentielles au Brésil. Nous vous invitons à lire ci-dessous un entretien avec Luciana Genro, candidate du parti Socialiste et Liberté (PSOL)


Quel regard portez-vous sur le moment politique actuel, celui des élections [présidentielles] qui s’approchent ? 

Luciana Genro : les élections sont toujours un moment très important qui permet la discussion sur le futur du pays. Nous nous trouvons dans une situation dans laquelle les deux candidates et le candidat favoris des médias [Dilma Rousseff, Marina Silva et Aécio Neves représentent le même modèle économique, celui qui est ancré dans la financiarisation de l'économie, la domination des banques et l'agronégoce. 

Quels sont à votre avis les principaux problèmes et questions du Brésil d’aujourd’hui ? 

Luciana Genro : le problème principal est celui d’une économie tournée vers le paiement des intérêts de la dette publique. Le Brésil fait un effort budgétaire gigantesque. Plus de 50% de la perception des impôts provient des salarié·e·s qui gagnent jusqu’à trois salaires minimaux et une grande partie de ces ressources est utilisée pour le paiement des intérêts de la dette. Le 40% de notre budget est utilisé à cette fin, à partir d’un effort budgétaire alors que l’excédent primaire (solde positif avant le paiement des intérêts) de 90 milliards de reais par an qui implique l’Union, les Etats fédéraux et les municipalités.
En conséquence, toute l’économie est tournée vers le paiement d’intérêts de la dette qui ne profitent qu’à un nombre extrêmement restreint de personnes. Cela représente à peu près cinq mille créanciers (détenteurs, internes en particulier) de la dette, puisque la majorité des titres se trouvent dans les mains des banques. Ce sont elles qui bénéficient d’une telle logique économique. Les insuffisances des services publics sont en grande partie dues à cela. Dans le domaine de la santé, par exemple, nous avons un manque structurel de ressources, il manque des médecins, des hôpitaux, des infrastructures. Ainsi, le problème principal est bien tout cet effort fiscal fait en faveur d’une poignée de spéculateurs. 

A partir de ce constat, il y a des solutions à proposer. La première d’entre elles est la nécessité d’un audit sur la dette publique, parce qu’il existe toute une série d’irrégularités, qui ont déjà été identifiées par la CPI (Commission parlementaire d’enquête) sur la dette, qui a mis en place sur l’initiative du député à la chambre fédérale Ivan Valente (Parti socialisme et liberté – PSOL – São Paulo). Cette CPI a démontré que la question de l’origine de la dette pouvait se discuter, qu’il existait une perception d’intérêts sur le passif des intérêts (ce qui est inconstitutionnel, selon la Cour suprême brésilienne elle-même) et que les décisions concernant les taux d’intérêts étaient prises par la Banque Centrale sur la base de l’opinion d’analystes supposés indépendants, mais en réalité tous liés au marché financier. Toutes les irrégularités pointées par la CPI doivent être approfondies dans le cadre d’un audit, ce qui conduirait, à notre sens, à l’annulation d’une partie significative de la dette, ne serait-ce que parce qu’il y a vingt ans que le Brésil produit du solde primaire pour le paiement de la dette et que celle-ci ne fait que croître, atteignant aujourd’hui quelques 330’222.28 millions de dollars. 

Notre première mesure serait la suspension du paiement et un audit visant à vérifier si l’on doit véritablement encore quelque chose. Il faudrait en plus un changement dans la structure d’imposition du pays, structure qui est extrêmement injuste puisque c’est la «classe moyenne» et les plus pauvres qui font presque tout l’effort alors que les grands millionnaires et les banques paient très peu d’impôts. 

Quelle est l’importance des élections de 2014 pour les gauches et quel rôle celles-ci peuvent, ou doivent, jouer au sein de cette dispute ? 

Luciana Genro : Les élections sont très importantes parce que c’est le moment où nous arrivons à percer ne serait-ce qu’un peu le blocus médiatique dont nos opinions sont victimes. Il existe ainsi un accès gratuit aux médias qui, bien que réparti de manière très inégale, nous permet de marquer notre présence. La couverture par les médias traditionnels, même si elle est encore très injuste et répartie elle aussi de manière inégale, nous donne un espace, alors que ces médias ne diffusent habituellement pas les propositions et opinions de la gauche. 

Malheureusement, nous ne parvenons pas à nous unifier avec le PSTU [Parti socialiste des travailleurs unifié] et le PCB [Parti communiste brésilien], partis pour lesquels j’ai énormément de respect, afin de former ensemble une opposition de gauche. Nous ne parvenons pas à construire cette unité au niveau national; elle n’existe que dans certains Etats. Pourtant, malgré le fait que nous soyons séparés, nous tenons le même discours de dénonciation sur la politique économique actuelle, sur l’injustice de celle-ci et sur la concentration de la richesse, qui sont des caractéristiques du modèle mis en place par le gouvernement FHC [Fernando Henrique Cardoso] et poursuivi par le PT [Parti des travailleurs]. 

Ainsi, vous ne considérez pas que ces représentations de la gauche ont perdu une grande opportunité, ouverte par les manifestations massives de 2013 (et aussi de 2014), de se présenter à cette élection avec un plus grand poids politique et social ? 

Luciana Genro : Bien sûr que si ! A tel point qu’au moment où j’avais encore la possibilité de me porter comme candidate à la vice-présidence avec le sénateur Randolfe Rodrigues [le premier nom indiqué par le PSOL pour être candidat et qui a suscité une forte opposition], j’y ai renoncé, cela afin de garantir l’unité du PSOL. C’est bien sûr après un débat interne que nous avons pris cette décision. J’ai renoncé à être candidate à la vice-présidence pour garantir l’unité du PSOL, pour que le PSTU et le PCB puissent venir composer la liste et qu’ils ne puissent prétendre que le PSOL était en train de se montrer «hégémoniste» en voulant occuper les deux premières places (candidature à la présidence et à la vice-présidence) de la liste, ce qui aurait rendu l’alliance non viable. Malheureusement, ils n’ont pas accepté l’offre du PSOL à ce moment et ont préféré lancer leurs propres candidats, positions que je respecte, comprends et regrette. 

Pourtant, même séparés, je crois que nous sommes unis dans la même lutte et que ce n’est pas à cause d’un processus électoral dans lequel nous avons des candidats différents que nous allons renoncer à être ensemble dans les luttes, mouvements sociaux et affrontements qui ne manqueront pas de se produire après les élections. 

Si l’on considère les aspects les plus fondamentaux du PSOL, comment celui-ci s’emboîte-t-il dans ce scénario et sur quel programme est-il en train de se présenter à ces élections de 2014 ? 

Luciana Genro : Le PSOL cherche à se présenter comme une alternative radicalement distincte des trois candidatures que l’on voit fréquemment à la télévision. Ainsi, c’est pour nous une grande possibilité de montrer que nous avons une proposition alternative à ce qui prédomine dans le processus politico-électoral en raison d’une couverture extrêmement injuste de la part des grands médias. Le PSOL se profile comme un parti d’opposition de gauche. Nous sommes nés de la vision qu’il était nécessaire de continuer à défendre les causes abandonnées par le PT. J’ai été expulsée du PT [en 2003] pour n’avoir pas accepté de me plier au pragmatisme voulant que nous abandonnions les revendications de la gauche pour s’allier à des figures comme Sarney ou Collor et mettre en place une politique économique qui soit en accord avec les intérêts des marchés financiers. Je suis d’ailleurs fière de cette expulsion qui atteste le fait que je ne me suis pas rendue, que je ne me suis pas vendue, que je n’ai pas abandonné mes idées politiques en échange de pouvoir. Nous présentons aussi une proposition structurellement distincte de celle du gouvernement, à savoir le «continuisme» conservateur du PT. Celui-ci est caractérisé par le social-libéralisme, c’est-à-dire une politique économique libérale qui, au travers de certains programmes de distribution de richesse, prétend avoir une vague couleur sociale. De tels programmes redistributifs ne changent rien à la donne, puisque tous les bons morceaux du festin continuent à se trouver dans les mains du grand capital. Nous n’acceptons pas non plus le recul conservateur représenté par Aécio et le PSDB [Parti de la social-démocratie brésilienne], Aécio qui retombe dans la manie de privatisation des toucans [le toucan est le symbole de la social-démocratie brésilienne] en allant jusqu’à construire un aéroport avec de l’argent public afin de l’offrir à sa propre famille! 

Enfin, nous n’acceptons pas non plus celle [Marina Silva] qui prétend incarner la «nouvelle politique», mais qui a, par exemple, un groupe de conseillers traditionnels dans la coordination de son programme de gouvernement et qui prend conseil auprès d’économistes historiquement liés au PSDB pour proposer des mesures très proches de l’agenda de ce parti, comme l’autonomie de la Banque centrale par exemple. C’est ainsi que notre proposition est radicalement opposée à la logique des trois volets économiques que les trois candidats défendent. La principale mesure est l’audit de la dette et la suspension du paiement de celle-ci. 

Nous voulons également une révolution dans la structure d’imposition, une augmentation de l’impôt sur les banques et les grandes entreprises et fortunes qui soulagerait la classe moyenne et les salariés. Il est nécessaire de mettre la BNDES [Banque brésilienne de développement économique et social] au service des micros et petites entreprises, c’est-à-dire au service du développement économique et social, comme l’indique le nom même de la banque, plutôt que de rester au service de grands oligopoles ou monopoles, comme nous avons pu le voir dans le cas de la Friboi [la principale multinationale brésilienne de l'industrie agroalimentaire] qui a reçu 7 milliards de reais pour acheter de plus petites entreprises (installations de réfrigération pour la viande) et concentrer encore plus le secteur. C’est une proposition qui va modifier structurellement l’économie. Et aussi la politique. 

Nous défendons une valorisation plus grande des mécanismes de participation directe du peuple, à travers une mobilisation de la population qui force le Congrès [les deux chambres] à approuver des mesures d’intérêt populaire, à travers aussi l’utilisation de plébiscites et référendums pour que la population puisse s’exprimer de manière plus directe sur les thèmes politiques principaux du Brésil. Il est également nécessaire de promouvoir un changement dans le régime politico-électoral, d’en finir avec le financement privé des campagnes et de démocratiser les moyens de communication en rendant à ceux-ci impossible le fait de n’appartenir, comme aujourd’hui, qu’à de grands groupes de pouvoir. Il faut développer les petits moyens de communication, les radios communautaires… Il est nécessaire de démocratiser l’accès à la télévision et d’empêcher que quelques familles la contrôlent entièrement, comme c’est le cas aujourd’hui. La réforme agraire aussi est un élément fondamental, non seulement pour prendre en considération la population rurale, mais aussi pour améliorer la vie dans les villes par l’augmentation de la production d’aliments plus sains et meilleur marché. Enfin, nous avons un ensemble de changements qui signifient de plus grands investissements dans ce qui réellement intéresse le peuple, en nous basant sur la logique selon laquelle il est nécessaire de s’opposer à des intérêts. Et les intérêts qui doivent être mis en question sont ceux du grand capital, des banques et des multinationales, les grands privilégiés du modèle économique actuel. 

Pensez-vous que dans le cadre de ces élections et dans le contexte décrit ici, le débat ouvert par le PSOL et par les gauches d’une manière générale parviendra à s’imposer et à faire, d’une manière ou l’autre, une différence ? 

Luciana Genro : Je pense que nous y arrivons, dans une certaine mesure. Malgré toutes les difficultés et inégalités du processus électoral, en termes de structure de campagne, d’argent, de temps de télévision et de couverture médiatique, je pense que nous parvenons à avoir une audience auprès d’un secteur significatif de la population et surtout auprès des jeunes, qui sont assez avides d’alternative à la politique traditionnelle. Je vois que c’est un processus d’accumulation. Le mois de juin 2013 a montré qu’il y avait une négation de la politique ancienne. La construction du nouveau s’ouvre aujourd’hui comme une possibilité, parce que la négation de l’ancien est le premier pas vers la construction du nouveau. Mais une telle construction est un processus. Souvent nous rencontrons des obstacles au milieu du chemin. La candidature de Marina Silva constitue l’un de ces obstacles, parce qu’elle exprime un symbole qui ne correspond pas à la réalité. Le problème est qu’il existe parmi les personnes qui sont en train de renier la vieille politique un secteur important de gens qui se font des illusions sur la candidature de Marina, pour la raison même qu’elle a une grande visibilité dans les médias qui aiment beaucoup les candidatures issues du système, mais faisant semblant de remettre en question le système, comme c’est son cas. De toute façon, nous sommes en train d’accumuler. Et je pense que le PSOL fera une belle élection et nous permettra de sortir plus fort pour continuer à mener les luttes sociales, luttes qui sont le meilleur instrument pour parvenir à de vrais changements dans la société. 

Entretien publié par Correio da Cidadania le 30 août 2014. Propos recueillis par Gabriel Brito, journaliste et Valeria Nader, journaliste et économiste, éditrice du Correio da Cidadania.Traduction A l’Encontre.

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