Au-delà des péripéties qui traduisent la crise de direction bourgeoise en Italie – un des grands capitalistes italiens, Silvio Berlusconi, joue par rapport au gouvernement de coalition sa carte personnelle et relance le parti Forza Italia en le confiant à sa fille Marina, qui se trouve à la tête du groupe éditorial de la Mondadori et du holding Fininvest – les dernières statistiques publiées par l’ISTAT (Institut national de statistique) traduisent la réalité sociale dramatique en Italie.
Le nombre de chômeurs et chômeuses officiels atteint le chiffre de 3,07 millions en septembre 2013. Mais, cette fois, l’ISTAT a évalué le nombre des chômeurs et chômeuses «silencieux», soit ceux et celles qui ne recherchent plus un emploi parce qu’ils-elles considèrent cette recherche, suite à leur expérience, comme inutile. Leur nombre s’approche de celui des chômeurs «officiels»: 2,99 millions. A ces deux «catégories» l’ISTAT ajoute la quantité de celles et ceux qui sont contraints d’accepter un travail à temps partiel, avec un «petit» salaire encore réduit suite au «temps partiel imposé». Le nombre de ces salarié·e·s: 2,5 millions. On est loin des taux officiels du chômage qui sont répertoriés par Eurostat.
C’est dans un tel contexte, entre autres, qu’a pris forme l’initiative de la gauche classiste de la CGIL (Confédération générale italienne du travail), confédération dont la secrétaire générale est Susanna Camusso. Cette décision est d’autant plus importante que la fédération la plus combative, historiquement, de la CGIL – la FIOM (métallurgie) dirigée par Maurizio Landini – s’est ralliée à l’orientation de la CGIL. Un ralliement qui vise à marginaliser une large couche de délégué·e·s d’usine aptes à établir une jonction, lors d’une mobilisation sociale d’ampleur (toujours possible), entre les divers mouvements sociaux et des secteurs encore représentatifs de la classe ouvrière.
Dans cet appel, reproduit ci-dessous, ressort un processus qui est à l’œuvre depuis plusieurs années en Europe: la jonction organique entre la caste bureaucratique syndicale, les appareils d’Etat (gouvernement entre autres) et le patronat avec ses diverses organisations. Cette jonction peut prendre différentes formes en Europe, mais elle implique pour les salarié·e·s un degré d’expropriation de l’instrument syndical sans pareil depuis la Seconde Guerre mondiale. Cet appel de la gauche syndicale, s’il se concrétise en termes d’audience et d’initiatives dans les luttes actuelles (réduites certes), peut marquer le début d’un changement sur la scène syndicale en Italie. Nous y reviendrons, entre autres, en tirant le bilan des mobilisations des 18 et 19 octobre 2013. (Rédaction A l’Encontre)
*****
Opposons-nous au gouvernement de l’austérité
!
Reprenons en main la CGIL!
Pour un syndicat démocratique et de classe !
La crise et 20 ans de politique néolibérale concrétisée par l’austérité et enracinée dans l’Europe de la finance et du grand capital ont abouti à une dégradation drastique des conditions de travail et de vie des travailleuses et des travailleurs. Au cours de ces années de crise, en utilisant le chômage de masse comme arme de chantage, les gouvernements successifs ont détruit les droits des salarié·e·s, réduit les salaires, le montant des retraites et mis à mal «l’Etat social», et cela souvent avec la complicité de la CISL (Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori) et de l’UIL (Unione Italiana del Lavoro) et aussi de la direction de la CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro) qui, suite à la perte évidente d’autonomie face aux gouvernements soutenus par le Parti démocratique (PD), a été et est incapable de freiner cette dérive.
Pour cette raison, il faut aujourd’hui une autre CGIL. Une CGIL qui propose un modèle alternatif à celui de l’UE (Union européenne) de la Troïka (FMI, BCE, UE) et des politiques de réductions budgétaires (placées, dans chaque pays, sous le contrôle de l’UE avant leur adoption), un modèle qui s’oppose aux restructurations et aux fermetures des entreprises, et qui affirme le courage de proposer des politiques de nationalisations!
Le système des retraites publiques a été massacré sous l’effet de nombreuses contre-réformes. La dernière, celle de Elsa Fornero [ministre du Travail et des Politiques sociales depuis novembre 2011] a, de fait, supprimé le système de retraite précédent [l’âge donnant droit à la retraite ayant été repoussé à 66 ans et plus]. Les trois confédérations syndicales, avec trois heures de grève, n’ont même pas essayé de s’y opposer.
Les amortisseurs sociaux [diverses allocations sociales] ont été réduits au statut d’aumône. Et toutes relations entre ces droits et ceux attribués au travail et à un revenu digne ont été détruites.
«L’état social» est désormais réduit à sa plus simple expression; l’école, le système de santé et les services publics subissent des coupes toujours plus fortes.
Le salaire ne répond plus aux besoins normaux; la pauvreté s’étend aussi parmi ceux et celles qui disposent d’un travail; l’inégalité dans la distribution des profits et des salaires ne cessent de croître. La suppression de l’échelle mobile des salaires [adéquation automatique à l’inflation] implique que le salaire déterminé lors des négociations contractuelles nationales a perdu de sa substance face à l’inflation; la négociation importante à l’échelle de l’entreprise [sur la base du contrat de branche comme point de départ, la négociation au niveau de l’entreprise était une caractéristique décisive du système contractuel obtenu par les mobilisations dans les années 1970 et permettait, souvent, d’améliorer le contenu des accords nationaux] n’a en aucune mesure permis une redistribution entre salaire-profit. Le gel des rémunérations dans le secteur public, pour une durée de cinq ans, est le signe le plus éloquent de ce système.
La précarité s’est diffusée dans l’ensemble du monde du travail et les droits ne sont plus qu’un souvenir du passé. La violation brutale de l’article 18 [protection contre les licenciements] de la part du gouvernement de Mario Monti [de novembre 2011 à avril 2013] – à laquelle la direction de la CGIL ne s’est pas opposée comme elle s’y était engagée, perdant ainsi toute autonomie et acceptant, de fait, l’essentiel de l’orientation du PD – a profondément compromis les rapports de forces sur les lieux de travail.
Le contrat à l’échelle national a été, pièce par pièce, démonté et la négociation contractuelle, avant tout à l’échelle des entreprises, finit par devenir un instrument dans les mains des patrons pour accentuer la flexibilité et accroître l’horaire de travail, pour diminuer le salaire, pour annuler les droits. En un mot pour accroître l’exploitation.
C’est à cet objectif que sert l’accord entre la CGIL, la CISL, l’UIL et la Confindustria [organisation du patronat] sur la représentativité [voir à ce sujet notre article publié en date du 4 juin 2013]. Il a ratifié la conception selon laquelle celui ou celle qui n’accepte pas un accord signé par les directions nationales est, de fait, exclu de toute activité syndicale reconnue. Il lie la représentativité syndicale [décidée, lors d’une élection, par les travailleurs de l’entreprise] à la renonciation au conflit. Il attribue à l’entreprise de droit d’exiger l’application du contrat signé à l’échelle des confédérations par tous les représentants syndicaux. En synthèse, il accepte pleinement le «système Marchione»[le dirigeant italo-canadien de Fiat-Chrysler que l’on peut résumer en une formule: «vous acceptez ou je ferme l’usine»].
Qu’ont fait les confédérations syndicales pour défendre le monde du travail face à ces attaques?
La CISL et l’UIL sont devenus des complices attitrés du système patronal, changeant dès lors, de manière génétique, la nature syndicale de leurs organisations. Mais qu’a fait la direction de la CGIL au cours des dernières années afin de marquer sa différence et de s’imposer sur le terrain des droits et de la démocratie? Trop souvent, elle n’a pas fait assez. Et trop souvent non pas parce qu’elle a perdu des batailles, mais parce qu’elle ne les a même pas engagées, donnant par avance pour gagnant le gouvernement et le patronat avant d’essayer de leur résister, au nom d’une compatibilité avec le système face auquel ceux qui en ont payé un prix élevé ont toujours été les travailleurs et les travailleuses ainsi que les retraité·e·s.
Un tel syndicat ne sert pas. Il est devenu une caste bureaucratique utilisée souvent comme instrument de soutien des partis et de projets politiques qui n’ont plus rien à voir avec les intérêts des travailleurs et des travailleuses, des retraité·e·s.
Et pourtant, jamais comme auparavant, un SYNDICAT est nécessaire! Mais pour cela il faut que la CGIL change complètement et vite!
Sans quoi avec le gouvernement de large coalition [du PD de Letta au parti issu du berlusconisme représenté par le vice-premier ministre Angelino Alfano] de nouvelles contre-réformes anti-ouvrières et anti-populaires seront adoptées. Et le patrimoine historique représenté par la CGIL et ses fédérations sera dispersé faisant du syndicat – instrument fondamental de conflit, de démocratie et de défense des droits – une agence inutile, apte seulement à assurer quelques services.
Nous sommes des délégué·e·s, des retraité·e·s qui appartenons à diverses sensibilités s’exprimant au sein de la CGIL. Au cours de ces années, nous avons maintenu un désaccord et une opposition à la dérive du groupe dirigeant de la CGIL qui a choisi de ne pas lutter contre les politiques européennes d’austérité et de reconstruction, à tour prix, de l’unité avec la CIL et l’UIL et de concertation avec la Confindustria. Il n’est pas acceptable que dans le pire moment depuis des décennies, les travailleurs et travailleuses, les précaires, les chômeurs et chômeuses, les retraité·e·s soient représentés par la pire des directions syndicales.
Face à tout cela, s’affirme le besoin de réagir et de ne pas se résigner.
Pour changer la CGIL il faut une nette rupture avec la politique de concertation et avec les coutumes de l’appareil bureaucratique. Il fait relancer le conflit et la lutte et construire les fondements pour une plateforme revendicative qui prend racine dans les urgences réelles du pays, c’est-à-dire dans les conditions de travail et de vie de millions de travailleurs et travailleuses, de retraité·e·s, de chômeurs et chômeuses.
Nos priorités résident dans la défense des droits, la démocratie et la participation des travailleurs et travailleuses ainsi que leur prise de décision pour ce qui concerne les plateformes, les accords et les contrats, l’augmentation des salaires, la réduction de l’âge donnant droit à la retraite, la réduction du temps de travail, la redistribution entre profits et salaires, la lutte contre la précarité, la reconquête du contrat national et de l’art. 18 pour tous et toutes ainsi que la défense d’un état social public et participatif.
Le prochain congrès de la CGIL sera l’occasion de chercher à faire valoir ces priorités, en proposant une idée radicalement alternative définissant ce que la CGIL devrait être aujourd’hui, de ce que devrait être son fonctionnement et de ce que devraient être ses mots d’ordre.
Dans ce but nous croyons qu’il est utile que les délégué·e·s, les inscrit·e·s visent à reprendre en mains la CGIL et mettent en question ce large secteur de la direction qui a pris les traits d’une caste bureaucratique.
Nous lançons un appel à tous ceux et à toutes celles qui n’acceptent pas la ligne de la CGIL afin qu’ils se mobilisent pour s’engager dans une voie, partant d’en bas, pour un changement et, dans cette perspective, produire un document alternatif pour le Congrès, un document qui soutient la nécessité d’un tel tournant – suivent déjà des centaines de signatures de militant·e·s de la CGIL.
(18 octobre 2013 – Traduction A l’Encontre)
http://www.alencontre.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire