mardi 5 novembre 2013

Ecotaxe : leçons de France, par Daniel Tanuro (LCR Belgique)


La reculade du gouvernement français face à la la fronde des bonnets rouges bretons met une fois de plus en évidence l’impasse des politiques qui prétendent combattre la dégradation de l’environnement – notamment les émissions de gaz à effet de serre – par le seul truchement d’une politique de prix. 

Echec de Sarkozy 

La tentative de Nicolas Sarkozy d’imposer une taxe carbone était déjà pleine d’enseignements. Ce fut un échec majeur de son quinquennat. Pour rappel, dans le sillage du « Grenelle de l’environnement », en 2007, l’ex-président français envisageait une taxe de 30 Euros la tonne de CO2. Un montant considérable quand on sait que la combustion de mille litres de fioul produit 3,7 tonnes de ce gaz… Devant les protestations, Sarko ramena la barre à 17 Euros. Déposé en 2010, son projet de loi stipulait que la taxe serait compensée par une baisse d’impôt (d’une centaine d’Euros par an pour un ménage avec un enfant). Sous couvert de défense du climat, il s’agissait donc de déplacer l’assiette fiscale vers un impôt indirect, non-progressif, ce qui est bien dans la ligne néolibérale. Mais le texte fut retoqué par le Conseil constitutionnel, pour non-respect du principe d’égalité devant l’impôt: les exemptions en faveur des patrons pollueurs (transporteurs routiers, centrales thermiques, cimenteries, raffineries, cokeries…) étaient si nombreuses que les consommateurs auraient été quasiment seuls à payer la facture. 


Une séquelle du Grenelle 

L’écotaxe qui entraîne aujourd’hui Hollande au plus bas dans les sondages est en fait une autre séquelle du Grenelle : présentée par le ministre de l’écologie JL Borloo, la mesure fut adoptée par l’Assemblée début 2009, sous l’hyperprésidence sarkozyenne. Son taux : entre 3,7% et 4,4%, quelle que soit la valeur de la marchandise transportée. Sa cible : les quelque 600.000 véhicules français et 200.000 véhicules étrangers de plus de 3,5 tonnes circulant chaque année sur des routes non payantes. Le dispositif : chaque camion est muni d’un boîtier permettant de retracer son parcours sur les 15.000 km de tronçons routiers soumis à la taxe. Ces tronçons sont équipés de portiques de détection. La taxe est modulée en fonction de l’efficience énergétique des camions. En tant que région péninsulaire, la Bretagne bénéficie d’un abattement. 

A l’instar de la taxe carbone, l’écotaxe sur le transport routier est à la fois inefficace du point de vue environnemental et injuste du point de vue social. Du point de vue environnemental : les autoroutes, ainsi que les routes nationales entre la France et l’Italie (sans compter le transport aérien !) étant exemptées, la taxe, alors qu’elle est censée stimuler la localisation de la consommation, favorise au contraire le transport à grande distance… et les exploitants d’autoroutes. 

Du point de vue social : à la question « qui va payer au final ? » la réponse est évidemment « les plus faibles ». La taxe ne peut en effet qu’accélérer la disparition des petites exploitations agricoles et de transports ainsi que des petits commerces, au profit de l’agrobusiness, des géants de la logistique et de la grande distribution… sur le dos des travailleurs et travailleuses qui forment la majorité des consommateurs. 

L’impôt privatisé 

En même temps, l‘écotaxe présente, par rapport à la taxe carbone de Sarko, une caractéristique tout à fait particulière : elle implique une privatisation de la perception de l’impôt. C’est en effet une société privée, Ecomouv, qui a été missionnée pour mettre en place les infrastructures et les gérer, dans le cadre d’un partenariat-privé-public (PPP). 

Négociées par Borloo et approuvées par trois ministres du gouvernement Fillon, les conditions de ce PPP sont stupéfiantes : sur 1,2 milliards de rentrées annuelles de la taxe, 280 millions iront à Ecomouv (un coût de perception supérieur à 20%, contre 1% pour l’impôt perçu par l’administration); l’Etat s’engage à verser à celle-ci 20 millions d’Euro par mois, dès janvier 2014; le PPP porte sur une période exceptionnellement longue de treize ans (soit la promesse d’une recette totale de 3,2 milliards !) ; en cas de non mise en œuvre de l’écotaxe, le dédit à verser à l’entreprise se monte à la bagatelle de 800 millions… En concurrence avec Ecomouv, la société SANEF (exploitant d’autoroutes) introduisit une action en référé pour contester l’appel d’offres. Le tribunal lui donna raison… 

Mais T. Mariani, ministre des transports de Sarkozy, fit appel immédiatement auprès du Conseil d’Etat, qui cassa le jugement. Les soupçons de corruption sont d’autant plus forts que, Mediapart l’a révélé, le montage financier d’Ecomouv se résume en une formule : « une pincée de capital et une montagne de dettes ». Le consortium monté par le groupe italien Autostrade, auquel se sont joints des groupes français (dont la SNCF !), a constitué un capital de 30 millions d’Euros à peine. Peu de chose pour un projet évalué à 800 millions… Le financement ? Assuré par un consortium de grandes banques qui, avec un taux de 7% environ, ont senti la possibilité de prélever sans danger une véritable rente sur la mobilité… 

Leçons 

Il est évident que la défense de l’environnement n’est ici qu’un prétexte pour accentuer les politiques néolibérales, dans tous les domaines. Théoriquement, le produit de la taxe (du moins, la partie non cannibalisée par Ecomouv !) aurait dû servir à financer des projets de ferroutage et de transport multimodal. Mais rien n’a été entrepris dans ce sens depuis le vote de l’écotaxe en juin 2009. Au contraire, le transport de fret par la SNCF régresse… 

Tout est fait en vérité pour que les recettes de l’écotaxe servent à favoriser encore plus le transport routier à longue distance, le transport aérien, l’agrobusiness, la grande distribution, le capital financier… et à compenser pour l’Etat la perte des péages autouroutiers privatisés. 

Plus fondamentalement, il convient de le répéter : c’est une illusion de croire que la fiscalité puisse être le levier central d’une transition énergétique/écologique. En particulier dans le secteur des transports, où il faudrait taxer la tonne de CO2 à hauteur de 600 ou 800 dollars (selon les sources) pour que le marché opte pour des énergies vertes. Une stratégie digne de ce nom doit mettre en cause radicalement la concentration, la centralisation et l’accumulation du capital mondialisé, donc le type de développement des territoires qui en découle, le type d’agriculture, la masse de marchandises produites, leur qualité, leur utilité réelle et le volume des transports. Il n’y a pas d’autre voie pour réduire les émissions de 80 à 95% d’ici 2050. 

Daniel Tanuro, publié sur le site de la LCR de Belgique.

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