Mardi 24 novembre 2015, Daech a frappé en plein cœur de la capitale, tuant 12 membres de la Garde présidentielle [le président Béji Caïd Essebsi a pris ses fonctions en décembre 2014] et blessant une vingtaine d’autres personnes.
En ciblant un corps sécuritaire d’élite, Daech a voulu terroriser la population en cherchant à démontrer que personne ne devait désormais se sentir à l’abri. [1]
Cet acte intervient 11 jours après les sinistres attentats du vendredi 13 novembre à Paris qui avait déjà fortement ébranlé les Tunisiens et Tunisiennes:
• beaucoup d’entre eux ont, en effet, au moins un proche en France; deux Tunisiennes – Halima Ben Khalifa Saadi, 35 ans et Hodda Ben Khalifa Saadi, 34 ans – ont été «fauchées» sur la terrasse du café-restaurant le Belle-Equipe;
Funérailles de Mabrouk Soltani, le 15 novembre 2015, à Jelma
Funérailles de Mabrouk Soltani, le 15 novembre 2015, à Jelma
• le même jour, dans une région pauvre de l’intérieur de la Tunisie, un jeune berger [Marouk Soltani, 16 ans] était décapité de façon particulièrement atroce par les djihadistes [le groupe djihadiste, se présentant comme Jund al-Khilafa: Soldats du califat, a revendiqué le meurtre au nom de Daech].
Le massacre du 24 novembre intervient dans une période où le mouvement social était en plein essor après plusieurs années de recul et de déceptions.
En effet, depuis un an, les luttes ont repris et se situaient à un niveau rarement atteint. Par exemple, le bassin minier de Gafsa a été bloqué par des jeunes chômeurs revendiquant un emploi. Des luttes résolues ont eu lieu dans le secteur public pour mettre un terme à la dégradation continuelle du pouvoir d’achat.
Une série d’avancées avaient été arrachées dans les salarié·e·s du public et, dans la foulée, l’UGTT (Union générale tunisienne du travail) avait programmé dans le secteur privé un cycle national de grèves régionales entre le 19 novembre et le 1er décembre 2015.
La première étape a eu lieu le 19 novembre avec une grève, suivie à quelque 90 %, dans les 164 plus grandes entreprises privées de la région de Sfax. Les grévistes avaient reçu le renfort de salarié·e·s du public ayant débrayé en solidarité. Le rassemblement et la manifestation ont connu une participation comparable à la grève générale régionale ayant précédé la chute de Ben Ali, en janvier 2011.
Coïncidence du calendrier ou intention délibérée, la seconde étape du cycle de grèves dans le privé devait normalement avoir lieu dans le Grand Tunis le 25 novembre. Mais suite à l’attentat survenu la veille, vers 17h, l’UGTT a reporté cette grève et les suivantes.
Dès le 24 novembre au soir, le pouvoir a par ailleurs réinstauré l’état d’urgence qu’il avait été contraint de lever suite aux mobilisations de début septembre 2015 contre le projet de loi de blanchiment des corrompus de l’ancien régime.
Cette chape de plomb sécuritaire a même été renforcée avec l’instauration du couvre-feu de 21h à 5h du matin dans la région de Tunis.
Comme le font Hollande et Valls en France, le pouvoir tunisien utilise les menées terroristes pour entamer les droits démocratiques. [En avril 2015, lors de la «visite d’Etat» de Beji Caïd Essebsi en France, la «coopération» franco-tunisienne dans le domaine de la sécurité était un des thèmes à l’ordre du jour.]
Il est trop tôt pour prévoir l’effet de cette situation sur les mobilisations sociales en cours.
Néanmoins, certains signes montrent que la population n’est pas prête à se laisser intimider par la terreur djihadiste et les chantages du pouvoir. Les amoureux du cinéma – et notamment beaucoup de jeunes – se sont rendus en masse, dès le 25 novembre, pour assister aux projections organisées à Tunis dans le cadre du très populaire festival cinématographique annuel. Les organisateurs avaient refusé de l’annuler malgré les pressions du pouvoir. Par ailleurs, profitant du retour du soleil, les terrasses des cafés avaient retrouvé à peu près leur animation habituelle.
Malgré l’état d’urgence, le rassemblement hebdomadaire du mercredi pour exiger la vérité et la justice sur les assassinats de Chokri Belaïd [6 février 2013] et de Mohamed Brahmi [25 juillet 2013] a été maintenu par les organisateurs le 25 novembre. Les participant·e·s se sont rendus en cortège jusqu’au lieu où avait eu lieu l’attentat la veille, soit sur l’avenue Mohamed-V, l’un des grands axes de la capitale tunisienne, non loin du ministère de l’Intérieur. (Tunis, 26 novembre 2015)
[1] Pour rappel, Daech avait déjà revendiqué l’attentat, le 18 mars 2015, au musée du Bardo à Tunis (22 victimes, dont quatre touristes français) et celui perpétré, le 26 juin 2015, dans la station balnéaire de Port El-Kantaoui, près de Sousse, 39 victimes.
(Rédaction A l’Encontre)
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