lundi 4 avril 2016
Coup d'état rampant au Brésil, par Louise Poulain
Le moins qu’on puisse dire est que le climat est tendu au Brésil, suite aux dernières évolutions de l’opération « Lava Jato » (qu’on pourrait traduire par « opération Kärsher »), et qui vise à démanteler un réseau de corruption, enquête initiée par la découverte du scandale Pétrobras. Les événements se succèdent à un rythme saccadé, les délations se bousculant et remontant jusqu’à de nombreux hommes d’entreprise, lobyistes et hommes politiques (PP, PT, PMDB et PSDB principalement).
Récemment, après la spectaculaire et très médiatisée opération obligeant l’audition de Lula par la justice, ainsi que plusieurs perquisitions dans son entourage, l’ouverture de la procédure d’impeachment contre Dilma Roussef par l’opposition marque le début d’une nouvelle étape dans la crise qui atteint le gouvernement, et le mot « coup d’Etat » est sur toutes les bouches.
Loin de la représentation que l’on se fait de coups d’Etats comme avant tout militaires, la situation brésilienne est complexe, et il convient alors de se pencher plus avant sur la situation pour comprendre ce qui est en jeu.
En effet, l’illégalité des moyens utilisés dans l’enquête menée par le juge Sérgio Moro (audition forcée de Lula, divulgation d’écoutes téléphoniques etc.), la concentration de l’enquête sur les seules personnes de l’ex-président Lula et de la présidente Dilma Roussef, qui représentent le pouvoir central mais sont très loin d’être les seuls politiques impliqués dans les affaires de corruption, et pour finir la partialité des médias, acquis au PSDB (parti principal de l’opposition), dans le traitement de l’affaire sont autant d’éléments qui font douter de l’impartialité même de la justice dans ce processus, et qui font en effet craindre une opération visant la prise de pouvoir.
Face à l’offensive, Dilma Roussef a fait le choix de nommer Lula ministre, de manière à le faire bénéficier d’une immunité juridique, et de rediscuter cette semaine la composition du gouvernement, faisant davantage d’espace à d’autres partis, de droite et libéraux (PP et PR), de manière à élargir la coalition pouvant permettre de contrer la procédure d’impeachment, et suite à l’annonce du PMDB de son retrait de la coalition gouvernementale. Le vice-président Michel Temer (PMDB) est lui aussi sous la menace d’une procédure d’impeachment.
C’est donc bien une bataille institutionnelle qui se joue, et qui se prolonge dans la rue par des démonstrations de force de la part des pro-impeachment et des défenseurs de Lula et Dilma.
S’il existe certainement un ras-le-bol de la corruption, qui se retrouve partout au Brésil (l’achat de voix et le détournement de fonds sont monnaie courante), celui-ci n’est pas au cœur même de l’opposition au gouvernement.
Les manifestations jaunes et vertes (les couleurs du drapeau brésilien) des pro-impeachment, composée d’une écrasante majorité de blancs, mis à part les « baba » vêtues de blanc accompagnant les familles bourgeoises, ont attiré les commentaires, montrant bien que c’est une classe privilégiée manifeste, et parfois avec des revendications (et une violence dans le verbe) révélatrices d’intérêts réactionnaires (contre les aides sociales, par exemple). On est bien loin d’une volonté d’abattre la corruption pour plus de démocratie, et l’imagerie populaire des manifestants battant des casseroles, véhiculée par certains médias, est battue en brèche : à la dernière manifestation de ce style à Sao Paulo, un espace VIP et une scène de concert ont été installées dans la manifestation, et les transports ont été facilités, pour pouvoir laisser tout un chacun se rendre à l’événement sur la Paulista.
Ce traitement tranche avec la répression subie par les manifestants qui se mobilisent contre un éventuel coup d’Etat ; le 21 mars, la police militaire a ainsi tiré avec des balles en caoutchouc et dispersé à l’aide de gaz lacrymogène et de matraques des étudiants regroupés devant l’université pontificale de Sao Paulo, fait symbolique puisque l’université avait lutté aux côtés du PT pendant la dictature militaire.
La gauche est divisée sur l’attitude à adopter, et la manifestation traditionnelle du 8 mars à Sao Paulo s’est par exemple divisée en deux blocs, soutenant ou non la politique du gouvernement, et en allant jusqu’aux mains pendant les prises de parole.
Les soutiens chevronnés de Lula se sont vus isolées récemment par la constitution d’un front (Frente Povo Sem Medo) de partis (excluant le PT), de collectifs, syndicats et associations variées, sur des mots d’ordre de refus des politiques d’austérité et de « sortie par la gauche ». La chute du gouvernement représenterait selon ces partisans un risque en soi, celui de voir la droite réactionnaire et libérale asseoir un pouvoir hégémonique dans les institutions.
Un autre discours se fait également entendre, celui du « Fora tudxs » (qu’elleux s’en aillent tous) par des syndicats traditionnellement en dehors de la sphère d’influence du PT et par des partis comme le PSTU, appelant dès maintenant à des élections générales.
Dans une situation de recul généralisé des droits des travailleurs, à coup de libéralisme, mais aussi des femmes et LGBT, poussé par la croissance des églises évangélistes et ultra-conservatrices –une proposition de loi a par exemple été déposée mi-mars par un député PP visant à aggraver les peines contre l’avortement en cas de microcéphalie-, l’aspiration à une démocratie réelle est évidente.
Cependant aucun débat n’est réellement ouvert aujourd’hui sur les formes que pourrait prendre une telle démocratie, et l’état de dispersion à gauche, qui bénéficie aussi de moyens très inférieurs (financiers, mais aussi et surtout médiatiques) à ceux de l’opposition pour s’organiser, rend une résistance difficile. Chute du gouvernement ou non, la place des nouveaux réactionnaires brésiliens dans l’espace politique semble toute assurée.
Louise Poulain. Ensemble!
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