jeudi 21 avril 2016

Grèce : Zoé Konstantopoulou lance une "lutte de libération", par Manuel Borras


Zoé Konstantopoulou, ancienne présidente du Parlement grec en rupture avec Syriza, a lancé son "parti-mouvement". Un motif d’espoir pour les opposants à l’austérité, à l’heure où les partis de la gauche radicale peinent à cristalliser la colère sociale ? 

Depuis qu’elle a quitté son poste de présidente de la Vouli, et rejoint les rangs d’Unité populaire au détriment d’un Syriza dont une partie des dirigeants a tourné le dos à ses engagements initiaux, Zoé Konstantopoulou multiplie les initiatives personnelles pour marquer son opposition au gouvernement "d’union nationale" mené par Alexis Tsipras. 


On la retrouve, en effet, présente sur tous les fronts, active dans de nombreux débats. À l’échelle européenne en participant aux sommets du "plan B", à Paris puis Madrid. Sur le thème de la dette illégitime ensuite, au travers de conférences données en compagnie d’Eric Toussaint, chargé entre avril et juin 2015 de diriger les travaux de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque. Enfin, au plan national, elle s’est distinguée le 8 avril par une lettre ouverte au ton pamphlétaire destinée à Alexis Tsipras, sur un thème qu’elle connaît bien pour avoir été députée responsable du secteur : la justice, la transparence et la lutte contre la corruption. 

Incertitudes sur le fond et la forme 

Une démarche combative qui a abouti hier au lancement d’un "parti-mouvement", Plefsi Eleftherias ("Trajet de Liberté"). Zoé Konstantopoulou clame que l’histoire ne s’est pas arrêtée le 13 juillet 2015 avec la signature du troisième mémorandum. 

« Nous commençons une lutte de libération », affirmait-elle à la tribune, hier. Mais une lutte sur quelles bases, et sous quelle forme ? Difficile de le cerner avec exactitude à l’heure actuelle. Au menu des revendications, des thèmes chers à la charismatique avocate qui rappellent fortement le programme sur la base duquel Syriza s’est vu porter au pouvoir en janvier 2015, résumés en six mots-clés sur le site officiel du mouvement : "République", "Équité", "Transparence", "Droits", "Effacement de la dette", ou encore "Revendication de la dette allemande". 

Mais derrière cette façade de principes généraux, certains points flous demeurent, notamment concernant la persistance de la Grèce au sein de la zone euro. 

En effet, celle qui fut la seconde femme à accéder au poste de présidente du parlement hellénique s’est dissociée, ces derniers mois, du positionnement radical des dirigeants d’Unité populaire sur le sujet, se montrant plus mesurée. Selon elle : « La monnaie n’est pas la question […]. L’euro ne doit pas être dans une hiérarchie politique, il doit permettre à une politique démocratique de se dérouler. » Une position qui s’apparente davantage à un appel à la renégociation des traités européens qu’à une sortie volontaire et immédiate de la zone euro. Rien de défini donc, même si Éric Coquerel représentait hier à Athènes le Parti de gauche et son "plan B". 

Le second élément incertain, et non des moindres, est la forme concrète que prendra ce mouvement, et le poids qu’il peut acquérir au sein de la société grecque. Zoé Konstantopoulou annonce : « Un mouvement-parti qui fait appel à toute la société et aux jeunes générations, un parti qui utilise internet et les réunions ouvertes en tant que moyens de mobilisation. Un parti qui opère en toute transparence et ne reçoit de soutien financier que par les citoyen-ne-s qui veulent appuyer sa création et son fonctionnement. » 

Quel rassemblement ? 

S’il s’agit avant tout d’un parti politique dans le sens classique du terme, l’objectif semble être de constituer autour de cette entité un front rassemblant celles et ceux qui souhaitent lutter contre les memoranda et promouvoir la démocratie. Cependant, un mouvement fondé autour d’une forte personnalité motive forcément des questionnements sur sa capacité à attirer une réelle base militante et citoyenne.

Nikos Smyrnaios, enseignant-chercheur à l’université de Toulouse, qui chronique la crise grecque sur son blog ephemeron.eu, exprime de tels doutes : « Je suis sceptique sur la dimension collective de ce nouveau parti, qui se forme surtout autour de la personnalité de Zoé, très clivante en Grèce. Il ne semble pas y avoir d’autre personnalité autour d’elle. Je doute qu’elle puisse rassembler l’opposition de gauche. » 

Zoé Konstantopoulou s’était d’ailleurs vue mettre à l’écart de la direction d’Unité populaire depuis sa fondation, et estime donc ne pas avoir pu y jouer le rôle qui aurait dû être le sien. 

L’appel à l’apparition d’un "front", alors qu’Unité populaire prétend déjà en constituer un, ainsi que les exigences affichées de modernité et de transparence, marquent ainsi une distanciation claire avec les partis traditionnels de la gauche radicale. Ceux-ci, « qui fonctionnent sur des modèles anciens, un peu dépassés » (N. Smyrnaios), peinent à capter des mouvements sociaux qui ont pourtant conservé une certaine force, la colère de la population ne s’étant pas évaporée du jour au lendemain. 

Un « créneau politique intéressant » que souhaite occuper Zoé Konstantopoulou, en utilisant des techniques de communication et des modes de fonctionnement modernes, afin d’attirer avant tout la jeunesse. Le lancement de Plefsi Eleftherias a par exemple été retransmis en direct par streaming, et la plateforme Internet du mouvement, qui affiche en page d’accueil la déclaration fondatrice, propose aux citoyens de s’inscrire à une newsletter pour participer aux futures actions et réunions. 

 Les prochains mois diront si cette initiative est réellement à même de réaliser le rassemblement de toutes les composantes anti-austéritaires (partis, associations, citoyens, personnalités), et ainsi peser réellement sur le blocage actuel de la vie politique et démocratique grecque. Et surtout, si elle parvient à surmonter la défiance légitime des déçus du mandat de Syriza à l’égard des partis politiques.

www.regards.fr

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