dimanche 1 mars 2015

Remarques sur la situation grecque, par Pierre Khalfa


Nous connaissons maintenant les mesures présentées par le gouvernement grec qui complètent l’accord pour quatre mois signé avec l’Europgroupe. Quelles indications peut-on en tirer ? 

1. Le contenu de ces mesures reprend des propositions du programme de Syriza comme la lutte contre la fraude fiscale, la volonté que les plus aisés contribuent au financement des politiques publiques, la lutte contre la corruption et le clientélisme. De plus, pour la première fois un texte de cette nature pointe les mesures à prendre pour lutter contre la crise humanitaire, crise que l’Union européenne a donc été obligée de reconnaître. La formulation sur la TVA reste assez floue et peut permettre de justifier n’importe quelle mesure et notamment une éventuelle augmentation, même si l’objectif de justice sociale est affirmé. 


Plus inquiétant, concernant le marché du travail, le texte fait référence aux meilleures pratiques de l’Union européenne et parle de combiner flexibilité du travail et justice sociale. L’augmentation du salaire minimum est maintenue, mais étalée dans le temps sera faite en consultation avec les partenaires sociaux et les « institutions », nouveau nom de la Troïka. Le gouvernement grec s’engage à ne pas revenir sur les privatisations déjà effectuées et s’engage à achever celles en cours « conformément à la loi ». Cette phrase laisse des marges de manœuvre à la Grèce et l’affrontement sur ce sujet a déjà commencé. 

Enfin, il faut remarquer que ce texte ne comporte aucun chiffrage des mesures, ce qui serait pourtant indispensable pour évaluer la portée pratique de ce texte. Sa déclinaison concrète sera donc l’objet de négociations et d’affrontements entre les « institutions » et le gouvernement grec. 

2. Ce texte ne clôt donc pas l’épisode. Les mesures présentées par le gouvernement grec, et adoptées par l’eurogroupe, peuvent faire, pour partie, l’objet d’interprétations différentes et il est à craindre que les aides promises au gouvernement grec ne soit versées que petit à petit et seulement si l’interprétation des « institutions » prévaut. De plus, il faudra renégocier un nouvel accord au bout des quatre mois. 

3. Syriza a gagné les élections en promettant à la fois d’en finir avec l’austérité et de rester dans l’euro. C’est la combinaison de ces deux positions qui a fait son succès, une grande majorité de grecs étant pour rester dans l’euro malgré la politique de la Troïka. Il est probable - mais nous ne pouvons pas en être sûrs - que, si Syriza avait prôné une sortie de l’euro, le résultat aurait été sensiblement différent. D’ailleurs, la droite conservatrice et le Pasok ont essayé de diaboliser Syriza en expliquant pendant la campagne électorale que sa victoire aboutirait à une sortie de l’euro. 

Le gouvernement grec a donc eu raison de chercher un compromis. C’était la seule voie possible pour à la fois tenir le mandat sur lequel il avait été élu et pour essayer aussi de desserrer l’étau dans lequel les institutions européennes voulaient l’enfermer : capituler ou sortir de l’euro. Sortir de ce dilemme a été avec raison l’objectif essentiel du gouvernement grec. Il fallait pour cela effectivement gagner du temps. 

4. La question qui se pose est de savoir si le compromis passé permet de tenir le double mandat donné par le peuple grec : rester dans l’euro et en finir avec l’austérité. Pour le moment, la réponse à cette question n’est pas simple. Il est difficile à cette étape de dire si l’accord signé et les mesures annoncées vont ou non permettre d’en finir réellement avec l’austérité. Mais surtout, le texte d’accord accepte d’être « en ligne » avec le programme de 2012, c’est-à-dire le remboursement total de la dette et la perspective d’un excédent budgétaire primaire de 4,5 % du PIB en 2016, perspective totalement impossible à tenir, même avec une cure d’austérité massive. L’expression « en ligne » ouvre certes des marges de manœuvres dans la négociation future, mais on voit bien qu’elles seront limitées dans l’état des rapports de forces actuels. 

5. Toute la question est de savoir si dans quatre mois le rapport de forces avec les « institutions » sera meilleur qu’aujourd’hui ? On peut légitimement en douter. Aujourd’hui, le gouvernement grec a le maximum de légitimité - il vient d’être élu - et de popularité liée à son combat pour desserrer l’étau. Vu l’accord passé, le risque est que, dans quatre mois, sa légitimité soit écornée et sa popularité moindre. Il sera donc probablement en moins bonne position pour refuser les exigences de l’Union européenne et pour faire un clash. Car, et c’est là un point essentiel, ce clash sera inévitable si le gouvernement grec veut rompre avec les politiques néolibérales. 

Une telle rupture signifie une remise en cause d’un quart de siècle de néolibéralisme en Europe. Comment penser que les « institutions » puissent tranquillement l’accepter ? Le risque est donc, si l’objectif principal est de refuser un tel clash, que, de concessions en concessions, le gouvernement grec s’aligne petit à petit sur les politiques antérieures. 

 6. Le gouvernement grec pouvait-il ne pas se retrouver dans la situation actuelle ? Pour ceux qui pensent qu’il suffisait que la Grèce sorte de l'euro, c’est effectivement simple. Sortir de l’euro aurait résolu tous les problèmes… sauf que cela n’en résolvait aucun. Pour reprendre ce que j’ai écrit par ailleurs (http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-khalfa/210215/la-grece-sur-le-fil-du-rasoir), « celle-ci aurait été très couteuse économiquement et politiquement. 

Économiquement, la dévaluation importante de la monnaie aurait entraîné un appauvrissement massif des Grecs et aurait été précédée par une fuite des capitaux (celle-ci a d’ailleurs commencé), la drachme aurait été soumise à la spéculation financière. Une éventuelle annulation de la dette aurait certes donné de l’air à la Grèce, mais la contrepartie en aurait été une impossibilité de se financer à l’extérieur. Les bénéfices attendus d’une sortie de l’euro sont donc très aléatoires. Mais la sortie de l’euro aurait été aussi politiquement coûteuse. Syriza s’est fait élire sur la promesse de ne pas sortir de l’euro. Comment renier une telle promesse au bout de quelques semaines ? 

Une sortie aurait donc dû être validée par référendum par le peuple grec avec toutes les incertitudes que cela comporte. Mais c’est au niveau européen que le prix à payer aurait été le plus important. Une sortie de l’euro, forcement chaotique, aurait servi de contre-exemple, aurait renforcé l’idée qu’il n’y a pas d’alternative à la situation actuelle et aurait affaibli considérablement Podemos. » 

7. Cependant le gouvernement grec a-t-il vraiment bien joué sa partition ? La menace de la sortie de l’euro est une arme politique dont il ne s’est pas servi réellement. Ainsi Varoufakis a affirmé de façon continue qu’il n’y avait pas de plan B et n’a quasiment pas réagi au coup de force de la BCE visant à asphyxier financièrement le pays. Cela a conforté les institutions européennes dans l’idée que la Grèce n’avait aucune intention de sortir de l’euro, ce qui a donc renforcé leur intransigeance. Certes, ces dernières pouvaient penser maitriser une sortie de la Grèce de la zone euro, mais cela aurait remis en cause le dogme de l’irréversibilité de l’euro et personne aujourd’hui ne peut en réalité en prévoir les conséquences. Le gouvernement grec aurait pu tenir le discours suivant : « nous appliquerons notre programme et nous ne sortirons pas de l’euro. Nous sommes prêts à discuter avec vous d’un compromis qui respecte les intérêts de tous. Mais si vous voulez nous exclure de la zone euro en nous asphyxiant financièrement, c’est votre responsabilité, pas la nôtre ». 

8. Avec une telle menace, qui aurait monté la hauteur des enjeux, une véritable stratégie du faible au fort aurait été mise en œuvre, ce qui n’a pas été le cas. Son résultat aurait été évidemment aléatoire et aurait pu aboutir à une sortie de l’euro avec toutes les conséquences négatives mentionnées plus haut. Mais il y avait une possibilité pour que ce bras de fer puisse payer, ne serait-ce qu’en produisant des divisions dans le camp adverse effrayé par la perspective d’un saut dans l’inconnu. Cette stratégie plus audacieuse n’a pas été le choix du gouvernement grec. Il s’est retrouvé isolé, ce d’autant plus qu’il n’y a pas eu de soutien massif à la Grèce permettant de peser sur les positions politiques des gouvernements européens. Il a donc fait le choix d’un compromis au rabais en espérant que le temps gagné ainsi lui permettrait de rebondir. Espérons pour les Grecs comme pour nous qu’il a eu raison. 

Pierre Khalfa, le 25 février.

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