jeudi 15 novembre 2012

Portugal : congrès du Bloc de Gauche, par Fred Borras, Gauche Anticapitaliste

Le Bloc de gauche du Portugal, fondé en 1999, tenait son VIIIe congrès national les 9, 10 et 11 novembre à Lisbonne dans un contexte d'approfondissement des diktats de la Troïka (UE, FMI, BCE). Un seul chiffre illustre le résultat catastrophique des politiques d'austérité drastiques imposées au pays : environ 0,5 % de la population, soit 500 000 personnes, dont une grande masse de jeunes, a choisi d'émigrer depuis un an ! C'est colossal. Le chômage, la pauvreté et la misère se répandent à vitesse « grand V », les salaires, pensions et indemnités sont diminuées de façon substantielle générant un développement très important des inégalités entre la masse et les riches. Les coupes budgétaires se multiplient au point même que militaires et policiers descendent dans la rue. 

Le ras-le-bol est tel que le 15 de septembre dernier, un million de personnes sont descendues dans la rue, une levée en masse inédite depuis la révolution des œillets. Conscient qu'il n'y pas de solution purement nationale de sortie de la crise et de la nécessité de faire apparaître une convergence de la gauche anti-austéritaire européenne, le bloc a choisi d'ouvrir son congrès par un meeting internationaliste (1). 

Sous le mot d'ordre « L'Europe contre l'austérité ! » se sont succédé à la tribune Céline Meneses, représentant le Parti de gauche dont le leader, Jean-Luc Mélenchon malade n'a pu se rendre sur place, Gabrielle Zimmer de Die Linke (Allemagne), Cayo Lara d'Izquierda Unida (Espagne) et Alexis Tsipras de Syriza en différé depuis Athènes où il était retenu compte tenu de la situation dans son pays. Alda Sousa, Marisa Matias et Francisco Louça respectivement députées européennes et coordinateur national sortant intervenaient pour le BE. 


Fustigeant la venue de Merkel le lundi 12 novembre à Lisbonne, les intervenant-e-s se sont accordé-e-s sur le fait que la situation en Europe ouvre bien des possibles. Dégradant les conditions de vie de centaines de millions d'européens, de façon encore plus dramatique en Grèce, en Espagne, en Italie, en Irlande et au Portugal, les politiques d'austérité ont été au centre des attaques. 

La nécessité de la rupture se fait plus urgente que jamais et toutes les formations de la gauche radicale comprennent qu'il s'agit de se rassembler le plus largement possible sur cet objectif. Dans le cas contraire, il faudra assister de façon impuissante à la poursuite des politiques d'austérité drastiques voire à l'émergence de solutions autoritaires ou fascisantes si le mécontentement populaire se fait trop fort. De ce point de vue, en Grèce par exemple, la course de vitesse entre la gauche radicale et la droite dure ou extrême est lancée. 

La crise politique couve et Jean-Luc Mélenchon l'a à juste titre particulièrement souligné, il suffirait que la brèche s'ouvre dans un pays par la combinaison de la mobilisation populaire et de la victoire électorale d'un courant de la gauche radicale, pour que tout l'édifice austéritaire européen s'écroule. Le renforcement des mouvements et partis unitaires anticapitalistes d'un pays nourrit et encourage le même phénomène dans d'autres. D'où l'absolue nécessité de renforcer les liens, notamment au sein du Parti de la gauche européenne, de ces courants. 

Vaincre la troïka ! 

La stratégie du Bloc et celle de Syriza sont similaires même si elles sont adaptées aux réalités propres à chacun des pays concernés. Il s'agit de vaincre la Troïka dans la rue et dans les urnes. L'impressionnante couverture médiatique dont a bénéficié son congrès a permis au Bloc de formuler à une échelle de masse sa politique, de réclamer avec force la démission de l'actuel gouvernement de droite dirigé par Pedro Passos Coelho, de rejeter le projet d'alternance, compatible avec les exigences de la Troïka, porté par le PS. Ce parti a été la cible d'attaques des principaux dirigeants du bloc qui se sont succédé à la tribune : « le PS n'a pas de solutions contre la crise car il fait partie du problème ». 

Le Bloc de gauche a retourné l'accusation de propagandisme lancé par le PS à son encontre, en expliquant que c'est lui qui mérite ce qualificatif car il proteste contre la Troïka mais il concrétise sa politique lorsqu'il est au pouvoir. Le Bloc de gauche a réaffirmé sa proposition de « gouvernement de gauche » adossé à la mobilisation populaire et composé de toutes les forces hostiles à l'austérité – courants « gauche » du PS, PCP (2), Verts, mouvements sociaux – à quatre conditions programmatiques minimales et non négociables : 

•Rompre avec le mémorandum de la troïka et annuler la dette « abusive » ; •Mettre les banques et le crédit sous contrôle public ; 
•Relever les salaires et les pensions de retraite ; 
•Réformer la fiscalité en taxant le capital pour favoriser la justice sociale et permettre le maintien et le développement de la protection sociale et des services publics. 

Les attaques les plus perfides contre le Bloc de gauche se sont multipliées, signe que cette proposition pèse d'un poids certain dans le pays et représente ainsi un danger réel pour les classes dominantes. Les éditorialistes de la presse se sont relayés pour tenter de le discréditer, en cherchant à faire peur, exactement comme cela est fait contre Syriza en Grèce : la proposition du Bloc aboutirait rien moins qu'à la sortie du Portugal de la zone euro et de l'UE. Rien moins, mais rien à voir avec le projet affirmé par le Bloc ! 

A son congrès, le Bloc de gauche a affiché un bulletin de santé au beau fixe, surmontant le préjudice subi par un revers électoral aux législatives anticipées de 2011, où le nombre de voix en sa faveur a été divisé par deux par rapport à l'exercice précédent (de 10 % à un peu plus de 5 %), ainsi que le nombre de ses députés au Parlement portugais (de 16 à 8), dans un contexte d’abstention massive dans la jeunesse et les classes populaires. 

Le Bloc de gauche est aujourd'hui crédité de 11 % dans les sondages et le cauchemar des forces « pro-mémorandum », c'est de le voir réaliser une percée analogue à celle de Syriza en Grèce. Les militant-e-s « bloquistes » jouent un rôle très important dans les mouvements sociaux qui se multiplient. Le Bloc prépare activement la grève générale du 14 novembre aux côtés de la CGTP et de tous les partis et mouvements antiaustéritaires. Le Bloc recrute à nouveau, il compte aujourd'hui environ 9000 militant-e-s dans un pays d'à peine plus de 10 millions d'habitants, ce qui est très impressionnant surtout dans un contexte où consacrer du temps au militantisme n'est pas simple. 

Une leçon de démocratie et de fraternité militante 

 « Le Bloc est un parti d'émotions fortes » a lancé Francisco Louça, son leader historique lors du discours d'ouverture du congrès, le dernier qu'il aura prononcé en tant que « coordinateur national », poste qu'il occupait jusque lors. Il est vrai que les 550 délégués rassemblés à cette occasion auront montré à nouveau qu'il est possible d'être à la fois sérieux et joyeux, démocratiques (3)* et efficaces, radicaux et insérés dans le monde réel. Francisco Louça a laissé la place à un duo de coordinateurs nationaux. Catarina Martins, 38 ans, est actrice, députée au Parlement portugais et militante récente du Bloc, à l'image d'un BE qui lie son sort à celui de la mobilisation populaire et s'ouvre sur une société civile mobilisée. Joao Semedo, 61 ans, député également, est un ancien dirigeant historique du PCP. 

13 après sa naissance, le Bloc a réussi à agréger les forces fondatrices (4) et de nouvelles et nouveaux venus. Sans jamais être au pouvoir, il a réussi à installer des majorités d'idées dans le pays, à faire avancer concrètement, par la combinaison de son travail social et parlementaire, la protection des femmes victimes de violence, le droit à l'avortement, le mariage entre personnes de même sexe, la levée du secret bancaire ou la reconnaissance des médecines alternatives. 

Pour les militant-e-s de la transformation révolutionnaire de la société, le Bloc de gauche n'est pas un modèle absolu, reproductible en tant que tel partout, mais il force le respect et demeure indéniablement une source d'inspiration. 

Fred Borras 

1/ La présence de délégations étrangères était particulièrement importante cette année. Syriza (Grèce), Izquierda Unida et Izquierda Anticapitalista (Espagne), Bloc nationaliste et Anova (Galice), Batasuna (Pays Basque), PSOL et PCdoB (Brésil), SWP (Royaume-Uni), SP (Irlande), Parti du travail (Pologne), Die Linke (Allemagne), ... Pour ce qui est de la France, toutes les organisations du Front de gauche étaient présentes, le PCF, le PG, la Gauche anticapitaliste, Convergences et alternative, la Gauche unitaire, le PCOF, la FASE ainsi que le NPA. 

2/ Le Parti Communiste du Portugal est une force militante importante et recueille des résultats électoraux assez bons, parfois en deçà, parfois au-dessus de ceux du Bloco. Le PCP est lui aussi très hostile à la politique de la Troîka, il mobilise mais ses solutions demeurent assez marquées par le nationalisme. Il était jusque lors sectaire vis à vis du Bloc mais les choses semblent s'améliorer de ce point de vue dans la dernière période. 

3/ La Motion A a obtenu 80 % des voix et la motion B environ 17 %, le reste des voix s'étant portées sur des plate-formes locales. Les rapports entre la « A » et la « B » sont fraternels, la principale minorité présentant des propositions concernant des modifications statutaires, pour partie adoptées, et dont l'état d''esprit était de donner plus de pouvoirs à la base du parti. 

4/ Le Bloc est issu de la fusion en 1999 de trois partis, l’Union démocratique populaire (UDP) de Luis Fazendas, d’origine maoïste, le Parti socialiste révolutionnaire (PSR) de Francisco Louça, d’origine trotskiste et Política XXI, un courant qui s’est détaché du PCP. Le congrès a salué avec émotion la mémoire du leader de ce troisième courant et fondateur du Bloco, Miguel Portas, député européen, disparu au printemps dernier.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire