mardi 13 novembre 2012
Etat espagnol : à qui ne profite pas la grève ? par Esther Vivas
« La grève ne profite en rien à l’Espagne. Elle donne une mauvaise image de l’Espagne », disait le président Mariano Rajoy dans l’une de ses premières réactions suite à l’appel du 14 novembre (14N). Mais à qui la grève ne profite-t-elle pas ? A ceux qui bénéficient de la situation de crise actuelle, évidemment. C’est à eux qu’une grève générale ne plaît pas et c’est pour cela, précisément, qu’il faut la faire.
Presque six millions de chômeurs, une personne sur cinq vit sous le seuil de pauvreté, 532 expulsions par jour, plus d’un million de personnes qui souffrent de la faim… Les raisons de faire grève ne manquent pas. Une grève qui ne profite pas à Mariano Rajoy, ni à ses « amis », ni aux intérêts de ses « amis ». La voici la raison de la grève, un acte fort contre les tentatives de la minorité financière de sacrifier la majeure partie de la société pour sauver ses affaires et augmenter ses privilèges.
Mauvaise image ?
La grève donnerait une mauvaise image ? Ce qui me paraît réellement donner une mauvaise image ce sont les files d’attentes, chaque jour un peu plus longues, aux portes de l’INEM*, les arrestations préventives d’activistes sociaux, les soupes populaires qui regorgent de monde, les personnes expulsées de leurs maisons, les déclarations du ministre d’éducation Wert, les menaces d’intervention militaire en Catalogne… Oui, cela donne une mauvaise image et montre au monde ce qu’est devenu l’Etat espagnol aujourd’hui : un pays touché de plein fouet par la débâcle économique, avec un régime en crise et une classe politique incompétente au service d’une élite financière prédatrice.
Personne ne peut donc être surpris que l’Etat espagnol soit regardé dans le monde entier car il a pris la tête de l’inégalité et du chômage au niveau européen. Les rêves de grandeur de certains sont partis en fumée et le rôle international qui revient à l’Etat espagnol est celui de l’exemple à ne pas suivre dans presque tous les domaines. Y a-t-il des exceptions ? Oui, bien sûr. Les gens qui luttent dans la rue, qui protestent, qui revendiquent leurs droits, qui ne se résignent pas, qui n’ont pas peur, qui demandent justice et démocratie, qui revendiquent le droit à décider… Oui, cela donne une bonne image. Le 15 mai (15M) fut une belle démonstration même si elle a déplu à beaucoup.
Un fantôme parcourt l’Europe
Le 14N nous avons une grève générale et ce qui est le plus important, et inédit, une grève générale dans l’Etat espagnol, au Portugal, en Grèce, à Chypre, à Malte, en Belgique francophone et quatre heures de chômage en Italie. Il semble qu’un fantôme commence à parcourir la périphérie de l’Union européenne, de cette Europe frappée par la crise, les suppressions d’emploi, la dette et l’austérité. Une grève générale qui doit être un premier pas pour commencer à coordonner les résistances à l’échelle continentale. Le capitalisme est global et la réponse doit, également, être globale, solidaire et internationaliste.
Les syndicats majoritaires marquent un recul historique et, jusqu’à maintenant, ils n’ont quasiment rien fait pour coordonner les luttes internationalement. Le 14N, bien qu’il arrive tardivement, est cependant un pas en avant. Une grève générale qui ne peut se limiter à une grève sur les lieux de travail. Il faut aller jusqu’à une grève sociale et citoyenne. Une grève où s’arrêtent non seulement les entreprises mais aussi les écoles, les supermarchés, les équipements sociaux… et, en définitive, les quartiers et les villes ; où les personnes au chômage, en situation précaire, les retraités… aient une place et un rôle ; où l’on crée des comités de quartier pour la préparer et de grandes manifestations pour ce jour là.
Une grève qui doit être un levier pour impulser un processus de lutte durable dans le temps. Et pour qu’à une grève générale, comme en Grèce, fasse suite une nouvelle grève, puis une autre, puis une autre encore. Le 14N ne doit pas seulement servir à protester contre les dernières coupes de Rajoy. Il faut aller plus loin. Stop aux expulsions, stop aux licenciements, stop à la pauvreté et stop à la dette, c’est ce que nous demandons. Payer leur crise ? Payer leur dette ? Qu’ils n’y comptent pas ! Nous vivons une situation d’urgence sociale et les demandes de la grève doivent être à la hauteur des circonstances, en gardant l’esprit du 15M et du 25 septembre (25S) « Encercle le congrès », sans lesquelles cela ferait longtemps que nous serions déjà vaincus.
Droit au travail ?
Dans quelques jours et à l’approche de la date de la grève, nous allons entendre certaines personnes, dans les discussions entre amis et lors de débats, parler du « droit au travail ». Mais nous, avons-nous « droit au travail » et à un travail digne 365 jours par an ? Je crois que non. Se rappeler seulement du « droit au travail » quand il y a grève, c’est douteux. Tout comme je ne crois pas non plus que beaucoup de personnes en contrats précaires, temporaires ou dans la sous-traitance… puissent participer à la grève du 14N prochain sans risquer de perdre leur emploi.
Les piquets dans une grève générale sont indispensables pour garantir que chacun d’entre nous puisse faire grève, en marge des pressions du patronat et pour faire disparaître la peur et la pression de son propre piquet, ce piquet invisible, dont on ne parle pas dans les médias mais qui est mortel. « Sans peur » a été l’une des grandes consignes du 15M mais cela fonctionne mieux dans la rue que sur le poste de travail. Et, c’est précisément parce que nous voulons travailler dignement que nous irons à la grève générale. « Mais je vais perdre un jour de travail et de salaire… et pour ne rien gagner » diront certains. Et combien allons nous perdre si nous ne cessons pas le travail, si nous ne manifestons pas, si nous ne faisons pas grève ? Beaucoup plus, sans aucun doute.
NT. *L’INEM c’est l’équivalent au Pôle emploi en France.
**Traduction pour Ritimo-Coredem.
Source : http://esthervivas.com
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