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. Euro ou pas euro ?
Si on considère cette question comme concernant seulement l’outil
monétaire au sens restreint on n’aperçoit qu’une partie du problème. La
question ne devient claire que si on l’élargit à l’ensemble de la structure
dont l’euro est un rouage. La structure, c’est celle de la zone euro dans sa
globalité (traités, institutions, monnaie, rapports de force historiques, ou
conjoncturels) et c’est le bon niveau pour tenter de répondre à la question.
Certes les politiques libérales et pro capitalistes peuvent être (et sont)
conduites hors de cette structure, même en Europe, à l’exemple de la Grande
Bretagne. Ce n’est donc pas la structure qui les produit. Mais si, par
hypothèse, un gouvernement anticapitaliste, ou même juste social démocrate à
l’ancienne, voyait le jour en Grande Bretagne, il y aurait toute une plage de
mesures possibles antilibérales avant de se heurter au cœur du capitalisme, ou
même aux traités signés à l’échelle de l’UE ou de l’OMC. La globalisation a
réduit ces marges par rapport, par exemple, aux débuts de la présidence
Mitterrand. Mais elles demeurent sans comparaison avec ce qui n’est plus
possible, du tout, au sein de la zone euro. Considérant le cadre global de
celle-ci, la réponse à la question « euro ou pas » est alors
indirecte. Il faut faire sauter le carcan
de la zone euro dans sa globalité, c’est la condition pour des politiques alternatives.
Techniquement rien ne dit que ce ne soit pas formellement possible en maintenant
l’euro comme monnaie. De même, et tout aussi théoriquement, il y a une
distinction entre faire sauter le carcan de la zone euro et la mise en cause
plus générale de l’’UE. Mais un pays qui se dressera contre la politique
néolibérale connaîtra inévitablement une grave crise bancaire, par retrait des
dépôts et fuite des capitaux. Si la BCE avait le comportement normal d’une
banque centrale, elle pourrait parfaitement y faire face, en fournissant les
liquidités nécessaires (elle crée elle-même sa propre monnaie). Mais elle est
l’outil de combat du néolibéralisme. C’est ainsi qu’elle a étranglé les banques
grecques, leur maintenant tout juste la tête hors de l’eau, pour qu’on ne
puisse pas dire qu’elle avait abandonné ses propres banques, mais en mettant
hors service tout l’appareil financier de la Grèce. Or aucune économie moderne ne
peut vivre sans un tel appareil. Il n’y
a qu’un seul moyen d’éviter une telle catastrophe si elle se développait :
quitter l’euro, passer à sa monnaie nationale et disposer ainsi de l’aide de sa
propre banque centrale, qui fournira toutes les liquidités nécessaires. Ce qui
ne veut pas dire que la sortie de l’euro aura nécessairement lieu lors de
l’épreuve de force qui accompagnerait la mise en place d’une politique
alternative. Mais ce qui veut dire qu’il faut absolument y être prêt,
techniquement et surtout politiquement, et la mettre en œuvre si nécessaire.
2. Est-il vrai que ce qui s’est passé à propos
de la Grèce serait différent si un pays plus puissant, comme la France,
s’engageait dans la rupture ?
Oui. Sans la France
(par exemple) il n’y a plus d’euro, et probablement plus d’Union Européenne. Alors,
s’il y avait un engagement résolu d’un gouvernement de rupture, ce serait une
autre affaire que de la menacer d’une expulsion. Mais si les rapports de force
seraient évidemment différents, posant d’une manière singulièrement autre la
marche (dans ce cas plus que résistible) à la sortie de l’euro, l’objectif principal serait le même :
faire sauter le carcan de la zone euro.
3. Peut-on imaginer une mobilisation européenne
pour en finir avec le carcan de la zone Euro ?
Le carcan peut-il être emporté par une levée en masse
coordonnée des pays de la zone ? La réponse est négative. C’est tout
simplement hors de portée pour toute la période historique à venir. La déconnexion des rapports de force et des
opinions publiques est une donnée constitutive de celle-ci. Le poids acquis
par l’Allemagne, avec un rôle dirigeant pour tout le système, joue à fond
contre une telle évolution. Ceci avec l’aval, pour l’essentiel, des autres
puissances majeures, dont la France. Il
en découle que la rupture ne peut s’engager qu’à l’échelle d’un pays d’abord
(peut-être d’un groupe de pays). Il en découle aussi que la confrontation
avec les institutions de la Zone Euro ne peut que prendre la forme d’une
combinaison de conflits de classe (ou, sa traduction politique, le combat de la
gauche nationale et européenne contre la droite) avec des affrontements entre gouvernements et entre Etats.
4. La sortie isolée de la zone euro sa paierait
elle si cher ?
Personne ne peut répondre à cette question, tant elle dépend
de données liées aux conditions précises où elle se passerait. Mais la
responsabilité qui est la nôtre est d’envisager non un chemin de roses, mais un
chemin de croix. La comparaison avec des pays, même membres de l’UE mais qui ne
relèvent pas de l’euro, n’a guère de sens. Il faudrait détruire un système
économique constitué, et ceci dans un environnement hostile, sans aucune
garantie que la période d’adaptation ne soit pas cruelle, ni qu’elle s’épuise
rapidement. La seule hostilité internationale prévisible conduit à saisir que
loin d’être une question purement technique ou financière, toute rupture de ce
genre doit s’accompagner de mesures
radicales. Prendre le contrôle du système financier pour empêcher son
effondrement, imposer une réforme fiscale majeure, contrôler les secteurs
principaux de l’économie. Et si, en plus, on est conduit à faire défaut sur la
dette (en partie ou en totalité), la guerre, si elle était à bas bruit
deviendrait ouverte. La dénonciation de la dette ne peut en effet pas
s’envisager sans une guerre ouverte immédiate où tous les moyens seraient
immédiatement utilisés par les dominants. La
rupture avec le carcan de la zone euro peut donc se révéler inévitable, et il
se paierait de gros risques. Mais la refuser revient à s’empêcher toute
contestation des politiques austéritaires.
5. Peut-on considérer que la mise en crise de
la zone euro ne soit que conditionnelle ?
Ici il faut distinguer les aspects tactiques et
stratégiques. Tactiquement in n’y a aucun intérêt à ce que la cible
institutionnelle prenne le pas sur les contenus défendus. C’est même la base de
toute politique de transition. Sur le plan théorique, la question n’est pas
différente de la nécessité de changer les bases de l’Etat bourgeois comme
condition d’une vraie révolution sociale. Mais il n’en découle nullement que la
cible explicite soit à tout moment l’institution étatique en tant que telle.
Nous avons à prendre les moyens de faire respecter un programme pour le peuple,
moyens qui peuvent comporter cette cible étatique, une fois épuisé ce qu’il est
possible d’obtenir sans elle. Mais c’est le programme (le contenu) qui compte
d’abord. Il serait donc contre productif de prendre la sortie du carcan de la
zone euro comme drapeau principal. Mais sur le plan stratégique, oui, nous
savons (et ne le cachons pas) qu’il faudra en passer par là. Mais alors peut-on
procéder par étape ? Engager des réformes radicales (sociales,
économiques, politiques), et attendre, en s’appuyant sur leur défense, que la
réaction oblige à aller plus loin ? Certes ce serait le mieux. Autrement
dit laisser à l’adversaire le soin de hausser les enjeux. Mais peut-on supposer
que cette réaction accepte d’entrer tranquillement dans un tel schéma ? Surtout
si cela concerne un seul pays ? Dès que de telles mesures s’annonceraient,
la réaction serait à l’offensive pour pousser la logique au bout. Si bien que le plus probable est que la destruction du
carcan de la zone euro serait une cible rapprochée, au point sans doute que les
délais de sa mise à l’ordre du jour n’existeront pratiquement pas. Mais la
distinction entre les deux n’est pas de l’ordre du timing mais de l’ordre de la
démarche politique et il faut la maintenir.
6. Sur quelles bases faut-il gagner une
majorité ?
La réponse est : sur
les mesures d’urgence plus les moyens institutionnels d’y parvenir. A
partir du moment où la rupture à envisager est d’abord d’ordre national, que
cette rupture serait difficile, elle suppose un très important niveau de
soutien populaire. Si les conditions suffisantes existent de rejet des
politiques austéritaires, le soutien peut être obtenu pour la partie mesures
d’urgence. Mais il faut l’obtenir aussi sur les ruptures institutionnelles
possibles ou probables. Ainsi que sur leurs conséquences, résumées au point 4.
Evidemment cela hausse considérablement le niveau de conviction qu’il faut être
capable de mettre en œuvre, et suppose que le degré de colère dépasse (largement)
la peur de l’inconnu, alors même que l’inconnu l’est devenu beaucoup plus
qu’auparavant et la peur plus grande. Mais n’en est-il pas de même pour toute
rupture fondamentale ?
7. Existe-t-il un risque nationaliste en
conséquence de la mise en cause du carcan de la zone euro ?
Oui,
incontestablement. La question de la souveraineté populaire est décisive, autrement
dit celle du respect de la démocratie pour défendre un choix politique
majoritaire. Mais à partir du moment où la rupture s’envisage dans un pays
seulement dans un premier temps, inévitablement cette souveraineté populaire
s’incarne dans un espace national, et donc prend
aussi la forme de la souveraineté nationale. Ce n’est pas une affaire de
discours, mais de fait objectif. Que ce soit avec la zone euro ou sans elle, la
guerre de classe existerait, celle que mènent les classes dominantes pour
comprimer les revenus et les statuts des classes dominées. Mais, du fait de la
déconnexion des évolutions dans les divers pays, à cette lutte se superposerait
une guerre entre Etats. A bas bruit déjà par les dévaluations compétitives
envisagées, si la sortie de l’euro se concrétise. Mais aussi par la
généralisation des ruptures prenant un caractère étatique. Revenir aux espaces nationaux donne, par essence, un terreau de choix
aux issues d’extrême droite. Par exemple on voit bien avec quelle facilité
une telle évolution pourrait se combiner avec une fermeture supplémentaire des
frontières face aux immigrants.
Peut-on éviter les glissements chauvins et
comment ?
Le risque est donc grand de faire la part belle aux tendances
au repli national. Mais ce risque est inhérent à l’acceptation du combat pour
la rupture. On ne peut pas prendre la rupture et laisser ce risque. Mais, d’un
autre côté, surtout dans les rapports de force que l’on subit dans la période, ce risque est mortel si on ne prend pas les
moyens de le contrer. Il y a deux manières principales de s’y opposer. La
première est de faire prédominer, même dans un cadre national, la lutte de
classes sur la collaboration entre celles-ci. Faire saisir que la possibilité
même de réussir la rupture réside dans la profondeur
assumée des mesures antilibérales à dynamique anticapitaliste. Par la
maîtrise du crédit et de la finance, celle d’une fiscalité tournée vers les
intérêts des plus pauvres, par la multiplication de l’autogestion des grandes
structures économiques ou/et publiques. La deuxième est de maintenir à chaque
étape la volonté, concrétisée dans des
propositions précises et adaptées, de construire une autre Europe. Ceci
suppose de ne jamais mettre en avant la destruction d’institutions
communautaires tant que leur réforme est possible ou que leur mise en cause est
non prioritaire (par exemple ne pas confondre Zone euro et UE). Ou en tout cas
peut être remise à plus tard sans freiner le plan d’urgence. D’élaborer et de
faire soutenir par les mobilisations les plus larges possibles des propositions
communes dans l’intérêt de tous les peuples européens (dessinant autant que
faire se peut une Europe sociale). Et enfin de tester sérieusement la
possibilité que la rupture se généralise à un groupe de pays, engageant
d’emblée une coopération d’un nouveau type entre eux.
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