Voici maintenant quatre ans
qu'une insurrection populaire pour la démocratie éclatait en Syrie, dans le
prolongement des révolutions tunisienne et égyptienne, quatre ans que la «
gauche », y compris souvent la plus « à gauche », se tait ou soutient ouvertement
la dictature, suivant tout un panel de propos allant du « c'est bien compliqué
tout cela ma petite dame » à « mieux vaut un tyran laïque et anti-impérialiste
qui tue tout le monde que des islamistes » en passant par « c'est louche et
compliqué quand même cette rébellion ».
Quatre ans. Plus long que
la guerre d'Espagne.
Quatre ans que le cœur du
peuple syrien n'a toujours pas rallié les islamistes quels qu'ils soient, a vu
tomber des centaines de milliers des siens, a vu ses villes détruites, ses
enfants torturés, et continue à se battre.
Seul, pendant que la «
gauche » et souvent la plus « à gauche » ne cesse de le calomnier, de prétendre
qu'il est inféodé à l'impérialisme ou motivé par des passions séparatistes.
Le peuple kurde lui aussi
est entré en mouvement – il n'avait pas le choix non plus – et si toute une
imagerie s'est propagée en sa faveur, à la différence du peuple syrien, il
n'empêche que lui aussi est seul chaque fois que surviennent les affrontements
à la vie ou à la mort.
Ce naufrage politique
atteint son sommet aujourd'hui, avec l'assassinat public de la ville d'Alep par
l'impérialisme russe, l'armée du régime syrien et les milices (islamistes
chiites) du Hezbollah.
Ceux qui ne voulaient rien
savoir, ceux qui disaient toujours « trop compliqué », ceux qui ne veulent
connaître que le conflit israélo-palestinien au Proche-Orient où les gentils et
les méchants sont classés dans leur tête de façon immuable, sont et seront de
toute façon rattrapés par la réalité : Alep est aux portes de l'Europe, la
Syrie est présentement l'épicentre du monde, et les réfugiés arrivent par
milliers.
Sous les mots, consensus contre Alep.
L'impérialisme français,
renvoyé au second plan, alors qu'il est l'ancienne puissance dominante en Syrie
et au Liban, a soumis au conseil de sécurité de l'ONU une résolution, samedi 8
octobre, censée, d'après les médias, vouloir mettre fin au martyre d'Alep, ce
qui permet aussi aux « anti-impérialistes » pour qui la Russie par définition
ne saurait être impérialiste, de croire et faire croire que dénoncer les
bombardements russes serait faire le jeu de « l'impérialisme ».
Cette résolution prévoit en
fait de mettre en place l'évacuation d'Alep Est par les forces armées qui
résistent à Poutine, à Assad et au Hezbollah, en commençant par le
Fatah-al-chams, ex Front al-Nosra, issu d'al-Qaïda, qui compte 900 hommes sur
8000 combattants selon l'émissaire de l'ONU, et 400 sur 15 000 d'après
l'Observatoire syrien des droits de l'homme.
Cette organisation fut à
l'origine implantée en Syrie pour prendre à revers l'insurrection démocratique,
le régime libérant et canalisant ses dirigeants vers les zones choisies par
lui, l'Arabie saoudite et le Qatar leur fournissant armes et finances. Mais
Daesh, arrivé d'Irak et bénéficiant d'un transfert de cadres du régime à Rakka
et dans la vallée de l'Euphrate, s'est substituée à elle dans cette fonction,
et les restes d'al-Nosra, reconvertis en Fatah-al-Chams, ont vu quelques
centaines de jeunes combattants désespérés et déterminés les rejoindre, jouant
notamment un rôle dans la levée temporaire du siège d'Alep cet été. La présence
de cette composante parmi les résistants d'Alep est saisie comme prétexte pour
les faire tous passer pour d'odieux islamistes. Mais pour combattre efficament
l'islamisme en Syrie, il faut commencer par soutenir le peuple syrien.
Il est évident que leur
exfiltration plus qu'incertaine à travers les lignes contrôlées par le régime,
préconisée par la France, n'aurait d'autre signification que de pousser à
l'effondrement de la vieille ville bombardée qui résiste encore. Autrement dit,
sous couvert de pousser un pathétique cocorico devant Poutine et Assad, la
résolution franco-espagnole soumise au Conseil de sécurité accepte, préconise,
par avance la chute d'Alep. Voila la vérité.
Une résolution russe lui a
été opposée, qui se paye le luxe d'en reprendre les termes, sauf sur un point :
la poursuite des bombardements russes. Pour Poutine et Lavrov, un «
cessez-le-feu » à Alep s'entend sous les bombardement, qu'on se le dise. Chacun
savait très bien à l'ouverture de la réunion du Conseil de sécurité que les
deux résolutions seraient bloquées par le veto de tel ou tel de ses membres
permanents. Le seul intérêt était de voir le détail des votes : la Chine s'est
abstenue sur la résolution française, manifestant une distanciation par rapport
à ses votes précédents qui rejoignaient jusque là la Russie. On notera aussi
que l'Egypte du maréchal al-Sissi a voté avec la Russie. Que rien de tout cela
ne modifierait quoi que ce soit à l'enfer à Alep, chacun était d'accord
là-dessus par avance.
Désordre inter-impérialiste.
Pour autant, ce consensus
contre les révolutions et les peuples ne signifie pas que les relations entre
impérialismes ne soient soumises à rude épreuve. L'impérialisme nord-américain,
ses chefs militaires avant même la Maison blanche, supporte de plus en plus
difficilement d'avoir été rétrogradé par les révolutions arabes au rang de
défenseur de l'ordre contre-révolutionnaire et facteur de désordre généralisé
n°2, le titre de n°1 dans ces deux domaines étant assumé présentement par la
Russie dans cette région.
Ce n'est pas la guerre
froide, c'est une situation mouvante que les errements des puissances
régionales comme la Turquie accentue. Dans ce cadre l'impérialisme dominant mondialement,
mais en crise, que sont les Etats-Unis, et l'impérialisme régional, que la
chute de ses profits rend de plus en plus agressif, qu'est la Russie, sont
entraînés à une collaboration conflictuelle qu'ils n'avaient pas souhaitée. En
Syrie, ils jouent à touche-touche et se tiennent par la barbichette, au bord du
gouffre en permanence, c'est-à-dire au bord du heurt militaire entre leurs
forces. La défense de la population d'Alep n'est absolument pas la motivation
des Etats-Unis dans cette rivalité de grandes puissances qui a donné lieu, ces
derniers jours, à une nouvelle escalade, les Etats-Unis rompant
(officiellement, sans doute pas officieusement) les discussions bilatérales
avec la Russie sur la Syrie, la Russie suspendant l'application de plusieurs
accords touchant à la sécurité nucléaire, cependant que l'évacuation des armes
nucléaires US stockées dans la base de l'OTAN d'Incirlik, en Turquie, a
commencé.
Le ministre des Affaires
étrangères allemand Frank-Walter Steinmeier a déclaré au Bild que«C'est une illusion de croire
qu'il s'agit de l'ancienne Guerre froide. Les temps actuels sont différents,
plus dangereux». Cette appréciation est exacte, et la rengaine récurrente
sur les « relents de guerre froide » empêche de penser la réalité présente.
Mais oui, il faut manifester !
Que faire ? Sous les
couches épaisses de l'idéologie et des schémas « géopolitiques » ressassant le
XX° siècle, la common decency populaire et militante se fait jour
dans de nombreuses conversations : il faudrait manifester pour Alep comme on a
manifesté pour Bagdad en 2003, et les réfugiés doivent être, toutes et tous,
accueillis dignement et protégés contre le racisme.
Les organisations, partis
et syndicats sont dans l'ensemble aux abonnés absents. Mais manifester contre
Poutine en France s'impose, maintenant. Et il s'agit, soyons clairs,
d'anti-impérialisme, n'impliquant aucunement de soutenir un autre camp
impérialiste, d'autant plus que les « camps » ne sont pas délimités et que l'on
assiste en fait à une dérive des continents avec des tensions bilatérales
multiples, plutôt qu'à la formation de « camps » mondiaux qui n'existent guère
que dans l'imagination encombrée de certaines couches militantes.
Au moment même où le
ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a commencé d'exister en
défendant sa résolution au Conseil de sécurité, prophétisant pathétiquement que
le pays qui ne la voterait pas se vouerait à une honte éternelle, Vladimir
Poutine a confirmé , alors que ce n'était pas totalement sûr jusque là, qu'il sera
à Paris pour l'inauguration du Centre spirituel et orthodoxe russe et du
cinquième bulbe de l'église orthodoxe de Paris (sic). Notons que son idéologue
Douguine, invité par Eléments (revue intellectuelle d'ultra-droite),
confère à Paris le même soir.
Les diasporas syrienne,
ukrainienne, et également russe, manifesteront. L'exigence de libération du
cinéaste et de l'anarchiste ukrainiens de Crimée Sentsov et Koltchenko devra
retentir, avec celle du journaliste ukrainien Roman Souchtchenko, kidnappé
récemment à Moscou où il était en visite familiale. La place des organisations
du mouvement ouvrier et de la « gauche » devrait être là. Un premier appel est lancé, mercredi
19 octobre au quai Branly (Paris), 18h. es militants des diasporas portent
l'avenir. Exiger de Hollande qu'il ne reçoive pas Poutine ne fait pas plus le
jeu d'Obama qu'exiger, dans les années 1980, de Mitterrand qu'il ne reçoive pas
Reagan ne faisait le jeu de Brejnev. Il n'y a qu'un seul combat pour la
liberté.
VP,le 09/10/2016.
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