A Sotchi, en bord de mer Noire, Poutine est à la manœuvre. Avant le sommet tripartite Russie-Iran-Turquie, il a convoqué Bachar al-Assad pour une « réunion de travail » qui s'est tenue le 20 novembre.
Le même Bachar al-Assad était déjà sorti de Syrie une première fois pour un tête-à-tête avec Poutine en octobre 2015. C'était un mois après le déclenchement de l'intervention militaire russe directement sur le terrain. Il s'agissait alors de porter secours à un régime menacé d'effondrement.
Deux ans après, suite à cette guerre prise en mains par les Russes, les Iraniens et les diverses milices affidées, le rapport de forces est inversé.
Toutes ces actions militaires sont appelées « guerre contre le terrorisme ». Pour les Ocidentaux, est visé Daech. Pour Poutine et al-Assad, il s'agit prioritairement des opposants au régime syrien.
Alep-Est a été détruite et reconquise. Raqqa a été rasée par la coalition occidentale et « libérée » de Daech par les troupes principalement kurdes.
Les forces rebelles ont été gravement affaiblies, dispersées, et cantonnées dans quelques zones au Nord-Ouest, Nord-Est et Sud de la Syrie, aux frontières turques, irakiennes et jordaniennes du pays, ainsi que dans des îlots proches de Damas où la population est condamnée à mourir de famine. Le régime a regagné ladite « Syrie utile »…
L'heure est donc venue pour Poutine de décider que la guerre est gagnée. Et de féliciter Bachar al-Assad pour « les épreuves surmontées par le peuple syrien ». Avant d'ajouter qu'on « s’approche petit à petit de la défaite inéluctable des terroristes ».
Des villes rasées, des centaines de milliers de morts, d'autres centaines de milliers d'emprisonnés torturés, des millions de déplacés, une économie ravagée, de multiples crimes de guerre et contre l'humanité… Telles sont les « épreuves » subies par le peuple syrien. Et qui, « surmontées », rendraient possible une sortie de guerre, par une solution politique incluant le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad.
Des voix de plus en plus nombreuses, ici même en la « patrie des droits de l'homme », se font entendre qui disent qu'il convient d'être raisonnable, et d'accepter de « faire avec Bachar al-Assad ».
On ne sait pas ce qu'en privé Poutine a dit réellement à Bachar al-Assad. Mais il est clair que celui-ci est actuellement une pièce clé d'un éventuel règlement.
Saurait-on envisager un avenir pour la Syrie et le respect de la dignité du peuple syrien sous la tutelle du boucher de Damas ?
A cette effarante évidence, s'opposent des données implacables. Bachar al-Assad ne renoncera jamais à son pouvoir, et son parrain iranien ne lâchera pas son homme de Damas.
Poutine, pour confirmer et conforter sa mainmise sur la Syrie, n'est pas à l'heure actuelle prêt à faire des concessions à ceux qui voudraient avec le départ de Bachar al-Assad obtenir une compensation aux compromis qu'ils acceptent.
Le gouvernement turc est bien davantage préoccupé par la mise à l'écart des Kurdes et du PKK que de ce qu'il adviendra du peuple syrien.
Du côté de l'Arabie saoudite, même si est maintenu officiellement le départ de cet homme comme condition d'une « transition politique », c’est le « réalisme politique » et ses intérêts d’État qui dominent.
Quant aux Etats-Unis, et plus généralement les Occidentaux, qui pourrait dire s'ils ont encore une quelconque volonté en la matière ?
Reste Israël qui, pour discrète qu'il sait rendre sa part dans ce concert international, pèse lourd. Fort déterminé à ne favoriser en rien les ambitions de Téhéran, il sait aussi d'expérience que les Assad sont des ennemis dont il n'a rien à craindre.
Ces grandes manœuvres, comme dans ces photographies qui nous parviennent d'Alep et de Raqqa - celles de ruines désertées et horrifiantes -, paraissent hantées d'une absence obsédante et de mauvais augure : celle du peuple syrien.
Francis Sitel, Ensemble!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire