samedi 10 décembre 2016

Italie : cela s'appelle l'aurore, par Mathieu Dargel

Depuis l’annonce du résultat du référendum constitutionnel en Italie, la presse ne parle que d’une « victoire des populistes », des « risques pour l’Europe et l’Euro», du « désaveu des élites » sans jamais prendre en compte la complexité, ni les ambigüités de la campagne pour le nom, sans prendre la mesure, une fois de plus, de la colère et de la mobilisation populaire contre l’austérité néo-libérale et ses conséquences anti-démocratiques. 

Un des premiers enseignements à tirer des résultats du référendum du dimanche 4 décembre est la très importante participation ? Plus de 65%, un score comparable à celui des élections parlementaires de 2013, point fort de la mobilisation pour se débarrasser de Berlusconi. Même si la participation est un peu plus faible dans le Sud, il s’agit là d’un indicateur fort de la place nouvelle prise par le débat politique en Italie. 


Le Non l’emporte, avec 60% des suffrages, dans quasiment toutes les régions, à l’exception de la Toscane et de l’Emilie-Romagne, places fortes du Parti Démocrate, sur la ligne de Matteo Renzi. Tout le Sud de l’Italie vote massivement Non, avec des pointes autour de 72%. Il s’agit là d’un désaveu éclatant, bien plus profond que celui prédit par les sondages, de l’ensemble de la politique incarnée par Matteo Renzi depuis 2013 et de la manière forte utilisée pour faire passer les réformes les plus emblématiques, comme le Jobs Act. 

De quoi s’agissait-il donc ? 

D’une réforme constitutionnelle qui devait compléter, donner tout son sens, à la loi électorale déjà adoptée et qui mettait un terme à la proportionnelle absolue. Le but avoué de cette réforme était d’en finir avec le bicaméralisme de principe, qui faisait du Sénat l’exact pendant, en termes de pouvoirs, de la Chambre des Députés, et qui pouvait entraîner des situations de blocage ou d’instabilité institutionnelle. 

En réalité, la réforme proposée par Matteo Renzi remettait en cause tout l’équilibre des pouvoirs laborieusement établi par un compromis entre les principales forces de la Résistance à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, après la chute du fascisme mussolinien, pour éviter, justement toute possibilité de retour à un régime non démocratique. 

Débat technique, aride, en apparence , mais qui, combiné avec la loi électorale qui donne une forte prime en sièges au parti, ou à la coalition, arrivé en tête, avait pour conséquence de créer toutes les conditions de la constitution de deux blocs alternant, de centre droit et de centre gauche, menant la même politique austéritaire libérale et excluant ou diminuant massivement les possibilités de représentation des courants politiques les contestant ou remettant en cause la soumission aux traités européens. 

Venant après le Jobs Act et la réforme de l’enseignement, ce référendum devait être le dernier temps fort du mandat de Matteo Renzi. C’est donc sur l’ensemble de son mandat que Matteo Renzi a été jugé à l’occasion du référendum. 

Sur l’échec des mesures contenues dans le Jobs Act pour lutter contre le chômage (à 11,6 %), des jeunes en particulier (à 40 % !), sur la poursuite des scandales de corruption, sur la crise bancaire en train de prendre de l’ampleur. D’autant plus qu’il avait mis son avenir politique dans la balance. 

La coalition pour le Non était donc hétéroclite : depuis les derniers fidèles de Berlusconi qui redoutaient de voir l’espace des « combinazione » se refermer définitivement, jusqu’aux partisans de la Ligue du Nord de Matteo Salvini, qui défendent des positions similaires à celles du Front National, à droite. 

Le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo, force politique confuse, composite, surfant sur la vague anti-corruption, le refus de l’Europe, flirtant avec les positions anti-réfugiés les plus extrêmes et, par ailleurs, à la tête de municipalité d’union avec la gauche radicale dans le Nord de l’Italie, lui, s’est impliqué totalement dans la campagne, dans toutes les manifestations et les réunions publiques du Non, participant à nombre d’entre elles aux côtés de la minorité du Parti Démocrate ou des autres forces de gauche. 

En Italie et dans le reste de l’Europe, les commentateurs ne voient donc que la victoire des « populistes ». Les interviews de Matteo Salvini succèdent aux supputations sur les positions de Beppe Grillo. La démission de Matteo Renzi relance les éternelles analyses sur la fragilité de l’Europe, la concomitance de l’élection de Trump, du Brexit, etc, mais il n’est jamais fait mention de plusieurs faits essentiels. 

C’est dans le Sud, là où la Ligue du Nord est inexistante, que le Non fait ses meilleurs scores, c’est dans les zones touchées par le dernier tremblement de terre, et où les secours ont été inorganisés voire inexistants, que l’abstention est la plus forte et que le Non est très élevé. 

C’est une coalition dans laquelle la gauche, sous toutes ses formes, a joué un rôle déterminant qui a mené la campagne du Non. Comme le dit Norma Rangeri, dans l’éditorial du Manifesto du mercredi 7 décembre : « Nous avons vu un referendum constitutionnel se transformer en un referendum social. Pour lequel chacun, pour une fois, s’est senti libre de voter pour quelque chose en quoi il croyait. Ce qui a été le cas de ce vaste espace de mouvements petits et grands, depuis les centres sociaux jusqu’à la CGIL, aux associations d’anciens partisans, aux comités du Non ». 

Ce que les commentateurs feignent de ne pas voir, c’est que la défiance envers l’austérité imposée par Bruxelles s’exprimait, notamment par la voix de Stefano Fassina, présent les 19 et 20 novembre à Copenghague, au sommet du plan B. Ce qu’ils ne voient pas, ou feignent de ne pas voir, c’est que la défaite de Matteo Renzi est une preuve de plus de la crise de fond de la social-démocratie européenne et de la ligne élaborée en commun par Manuel Valls et Renzi. 

Les résultats du référendum de dimanche ont ouvert en Italie une situation politique de crise. Le Mouvement 5 étoiles appelle à des élections le plus rapidement possible, surfant sur sa popularité croissante et sur de bons sondages. Mais la loi électorale, l’Italicum, votée au printemps, ne pouvait être applicable que si la question du Sénat était réglée par un oui au référendum, le budget 2017 n’est pas encore adopté, la crise bancaire prend des tournures qui inquiètent Bruxelles… 

Et la gauche italienne n’est pas, aujourd’hui en mesure d’apporter des débouchés politiques à cette situation. Les diverses tentatives de regroupement, qui se sont succédées depuis 2014 et la tentative de la liste l’Altra Europa ont été laborieuses, sans réussir à donner un cadre unitaire à ce vaste espace dont parle Norma Rangeri. 

Aujourd’hui, la tentative de regroupement politique la plus avancée est autour de l’initiative de Sinistra Italiana, qui réunit déjà tous les parlementaires sur une ligne d’opposition de gauche, anti-austérité. Fondée à l’initiative de SEL (Socialisme, Ecologie et Liberté) qui s’est déjà dissous dans ce projet de force politique nouvelle, Sinistra Italiana a lancé une coopérative programmatique, Commo, sur son site et tiendra son congrès fondateur en janvier 2017. Rifondazione Comunista, de son côté n’envisage pas actuellement de se dissoudre dans la structure à venir, mais participe à tous les travaux d’élaboration et examine des formes de participation plus souples, qui garantissent la persistance de l’identité communiste. 

Au-delà cette initiative politique, les mouvements sociaux se développent à nouveau, qu’il s’agisse du No Tav, contre les grands travaux inutiles, des centres sociaux qui organisent les mobilisations de la jeunesse ou le renouveau du syndicalisme de combat, que ce soit au sein de la CGIL ou dans des structures plus souples comme les COBAS, par exemple. 

 Peut-on dire aujourd’hui : « Je sens évidemment qu'il se passe quelque chose, mais je me rends mal compte. Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ? Cela a un très beau nom. Cela s'appelle l'aurore. » 

Jean Giroudoux ("Electre") 

Mathieu Dargel, animateur d'Ensemble!

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