Une fois le choc de l’élection de Trump passé, mardi dernier, les
organisations et courants politiques de la gauche radicale américaine
ont commencé à s’interroger sur les raisons et sur les conséquences de
cette élection. Nous avons déjà publié quelques-unes de ces analyses sur
notre site. Aujourd’hui, le débat est lancé. Comment résister, comment
mobiliser, quelle organisation, quelles structures ?
Dès le lendemain de l’élection de Donald Trump, le comité éditorial du magazine Jacobin (www.jacobinmag.com)
posait en des termes très clairs le bilan de la campagne électorale,
tant celle de Clinton que celle de Sanders et proposait à l’ensemble des
forces de la gauche radicale américaine des pistes pour l’action et la
réflexion.
« Nous n’avons pas d’illusions sur l’impact de la victoire de
Donald Trump. C’est un désastre. (…) Il y a deux façons de répondre à
cette situation. La première est de faire porter la faute au peuple des
USA. L’autre est de blâmer les élites de ce pays. (…) Mais blâmer les
Américains pour la victoire de Trump ne fait qu’approfondir l’élitisme
qui a rassemblé tant de voix autour de Trump. Il est évident que le
racisme et le sexisme ont joué un rôle crucial dans la montée de Trump.
Et c’est effrayant de constater comment son triomphe servira à renforcer
les forces les plus cruelles et réactionnaires dans la société
américaine. Mais une réponse à Trump qui commencerait et se terminerait
dans l’effroi n’est pas une réponse politique, c’est une forme de
paralysie, une politique qui se cache sous un lit. Une réponse à la
réaction américaine qui commencerait et se terminerait par des
dénonciations morales ne serait absolument pas politique, le contraire
d’une ligne politique. Ce serait une capitulation. (…)
Clinton pouvait perdre cette élection et elle l’a perdue. De
nombreuses critiques vont pleuvoir sur la candidate Clinton, mais elle a
représenté le consensus de sa génération de leaders du Parti Démocrate.
Sous Obama, les Démocrates ont perdu presque un millier d’élus au
niveau des états, une douzaine de gouverneurs, soixante élus à la
Chambre des Représentants et treize Sénateurs. Cette défaite ne vient
pas de nulle part. (…) Seul parmi les politiciens démocrates, Bernie
Sanders a parlé de cette sensation croissante d’aliénation et de cette
colère de classe qui se répand en Amérique. Sanders a porté ce message
de base au peuple Américain : vous méritez mieux et vous avez le droit
de croire que vous méritez mieux. Santé, éducation, salaires. C’est ce
message qui l’a rendu, et de loin, le politicien le plus populaire de ce
pays. (…)
C’est une ère nouvelle qui exige une nouvelle orientation
politique, qui s’adresse aux besoins urgents et aux espoirs du peuple
plutôt qu’à ses peurs. Le libéralisme des élites, on l’a vu, ne peut
vaincre le populisme de droite. Nous ne pouvons pas émigrer au Canada ou
nous cacher sous notre lit. C’est le moment de prendre à bras le corps
les options politiques démocratiques, pas de les rejeter ».
Cette analyse, cet appel à la mobilisation, à reconquérir la
politique, relance le débat parmi tous ceux qui ont soutenu la
candidature de Bernie Sanders. Entre ceux qui n’ont pas voté, qui ont
voté pour le « moindre mal » ou pour Jill Stein, pour les forces
politiques organisées (très faibles) qui ont soutenu chacune de ces
options, la discussion sera longue et les choix tactiques portant sur
l’articulation entre la construction d’une nouvelle force de la gauche
radicale et la bataille au sein du Parti Démocrate seront extrêmement
complexes.
Le comité d’orientation de Solidarity, (https://www.solidarity-us.org)
fait une analyse comparable du résultat de l’élection et de ses causes
mais insiste sur l’état de la gauche radicale et sur les nécessaires
mobilisations à organiser.
« Le Green Party, l’alternative la plus visible à gauche au Parti
Démocrate, semble n’avoir obtenu qu’1% des voix. Un résultat à la fois
navrant pour ceux qui souhaitaient construire le parti comme la force de
gauche et totalement insignifiant comparé au nombre de Démocrates ou
d’indépendants qui ont choisi de rester chez eux ou pire de voter Trump.
Il y a clairement un vide à gauche en Amérique (…). Nous devons battre
le projet de l’extrême droite de suprématie blanche et de nationalisme
que Trump représente. Nos vies en dépendent, littéralement. Mais la
seule façon de battre la droite, c’est de construire la gauche. (…)
Pour ce faire, il faut nous organiser. Nous devons construire un
outil politique qui puisse donner à la gauche les moyens d’intervenir
efficacement dans les élections, en commençant par le niveau local (…).
Nous devons soutenir et construire le Mouvement Black Lives, les
luttes des Sioux de Standing Rock contre le pipeline Dakota Access, les
groupes de défense des droits des immigrants (…). Il est également vital
de construire une organisation renouvelée de la classe ouvrière, comme
le syndicalisme de base, mais qui comprenne également des formes
nouvelles d’organisation qui puissent unir les travailleurs autour de la
solidarité de classe et qui détruisent les discours racistes de droite
sur la « classe ouvrière blanche ».
Enfin, nous avons besoin de construire une organisation
révolutionnaire. (…) Nous ne gagnerons pas un monde socialiste sans une
organisation socialiste. Nous appelons tous ceux qui s’engagent dans le
combat pour un monde juste à trouver, rejoindre et aider à construire
une organisation révolutionnaire, que ce soit Solidarity ou un autre
groupe. Ne prenez pas le deuil, organisez-vous. ».
De son côté, Socialist Alternative (www.socialistalternative.org), qui s’était engagée dans la campagne de Jill Stein fait une analyse assez proche : « SA
a soutenu Jill Stein et le Green Party qui ont obtenu plus d’un million
de voix, parce qu’elle a su mettre en avant une plateforme qui
s’adressait principalement aux travailleurs. La campagne de Stein a eu
de nombreuses limites, mais, malgré celles-ci, les suffrages qu’elle a
recueillis indiquent, encore faiblement, l’énorme potentiel qui existe
pour le développement d’une alternative de gauche de masse. (…) Un
mouvement de masse contre Trump devra s’adresser directement à la classe
ouvrière blanche et expliquer comment nous pourrons bâtir un futur dans
lequel tous les jeunes pourront avoir un avenir décent plutôt que de
recréer un « rêve Américain » en approfondissant les divisions raciales.
Un tel avenir ne pourra être atteint que par des orientations
politiques socialistes ».
Le plus important et le plus ancien des groupes politiques se référant au socialisme, Democratic Socialists of America (www.dsausa.org),
que l’on classerait en Europe, pour faire vite, à gauche de la
social-démocratie, intervient en tant que courant politique aussi bien à
l’intérieur qu’à l’extérieur du Parti Démocrate. Une de ses
dirigeantes, Marta Svart, expliquait, après la Convention Démocrate,
qu’il ne s’agissait pas de réformer le Parti Démocrate, mais de le
prendre. Au lendemain de l’élection de Trump, DSA cherche les moyens de
regrouper ceux que l’on appelle maintenant les « Sanderistas », autour
d’un programme progressiste basé sur la réforme des impôts, l’accès
libre à un enseignement supérieur et à un système de santé de qualité,
l’investissement électorale public dans les infrastructures et les
énergies alternatives. C’est sur ces bases que DSA entend soutenir et
organiser les candidatures de gauche, qu’elles viennent des
organisations radicales, des mouvements sociaux, de l’aile « anti
corporate » du Parti Démocrate, ou de personnalités indépendantes. C’est
pourquoi DSA s’implique dans la plateforme électorale Left Elect, mise
en place notamment à l’initiative de Solidarity. Dans un communiqué
« Nous luttons pour le Socialisme et contre la Barbarie », DSA déclare :
« Nous devons continuer à mettre en œuvre cet ordre du jour, de
plus en plus fermement, tout à la fois en élisant de plus en plus
d’insurgés à tous les niveaux du gouvernement et en construisant une
force socialiste, de classe dans nos syndicats, dans les mouvements
sociaux et dans les campagnes électorales.
Aucune de ces actions ne pourra être victorieuse sans un
changement radical dans le rapport de forces. En l’absence d’une
pression massive de la part des mouvements sociaux démocratiques – les
mouvements qui veulent perturber et remettre en cause le travail
quotidien de nos institutions antidémocratiques, et sans le
développement d’une force électorale qui regroupent les militants noirs,
féministes, LGBTQ, syndicalistes, les intérêts des grandes entreprises
continueront à dominer l’agenda politique. (…) Les 9000 membres de DSA
(dont près de 2000 nous ont rejoint cette semaine) croient que le
meilleur moyen de résister et de battre le Trumpisme est de construire
un mouvement démocratique et socialiste puissant et organisé, un
mouvement qui deviendra aussi divers que la classe ouvrière elle-même.
La Révolution Sanders nous a fait avancer d’un pas vers une Gauche plus
puissante et plus affirmée, qui pourra se mobiliser pour des réformes
trop longtemps attendues, que le peuple de ce pays réclame
désespérément, telles que le salaire minimum à 15 $ ou l’éducation
universitaire financée par les fonds publics. Le centrisme néolibéral de
Clinton a montré qu’il était incapable de s’opposer à l’extrême droite
suprématiste. Pour aller de l’avant, il nous faut un mouvement pour un
socialisme démocratique.
C’est pourquoi nous appelons les militants de la campagne Sanders
et tous les autres à rejoindre une organisation qui œuvre pour placer
le socialisme démocratique au centre de la vie politique américaine ».
Plus que d’une recomposition de la gauche américaine, c’est d’un
véritable sentiment de l’urgence historique dont témoignent toutes ces
prises de position. Quelles que soient leurs divergences actuelles, les
faibles forces organisées de la gauche radicale américaine ont
maintenant pris conscience de leurs responsabilités dans l’émergence des
mouvements sociaux en cours et de la nécessité de leur donner un cadre
unificateur qui reprendra les grandes avancées de la campagne Sanders et
qui tentera d’unifier les énergies des millions de personnes qui s’y
sont engagées d’une manière ou d’une autre.
Mathieu Dargel
* Juste avant d'être exécuté le 19 novembre 1915 pour un meurtre
qu'il n'avait pas commis, Joe Hill, syndicaliste de l'IWW, écrivit
à Bill Haywood, un responsable de l'IWW : « Ne perdez pas de temps dans
le deuil. Organisez-vous ! »
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