Dans une semaine maintenant, les électeurs britanniques vont décider du maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Une certaine fébrilité a atteint la classe politique britannique ainsi que l’oligarchie européenne car l’issue du scrutin demeure incertaine. Les derniers sondages parus sont d’ailleurs contradictoires, même si un nombre croissant d’entre eux donne la victoire aux partisans de la sortie de l’UE (« Brexit »). Ainsi l’un donne les partisans du maintien (« Remain ») à 44 % (contre 42 % aux partisans de la sortie) ; l’autre 43 % pour le Brexit contre 42 % pour le maintien. Avec, dans les deux cas, 14 à 15% d’indécis. Ce qui laisse ouvertes toutes les hypothèses.
Convergences paradoxales
On a déjà indiqué l’extraordinaire hétérogénéité politique - et sociale… - des « camps » en présence. C’est d’abord le cas au niveau des grandes formations politiques : en effet, le très xénophobe UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) et la droite du Parti conservateur dirigée par le maire de Londres, Boris Johnson, mènent campagne pour la sortie, alors même que la direction du Parti conservateur, animée par le Premier ministre (David Cameron) mène campagne pour le maintien dans l’Union, de même que le Parti travailliste, aussi bien la droite du Parti que Jeremy Corbyn.
Cet éclatement se retrouve aussi en ce qui concerne le patronat et le mouvement syndical.
Comme l’indique Chris Bambery, sur le site Counterfire (1) : « Aujourd’hui, une majorité du grand capital et de la finance soutiennent le maintien dans l’UE, mais il existe aussi un secteur significatif du patronat en faveur de la sortie : les fonds spéculatifs qui détestent les régulations imposées par l’UE et les entreprises qui produisent essentiellement pour le marché intérieur. Chaque camp a sa propre vision de l’avenir du capitalisme britannique. Pour le camp du maintien dans l’UE, la priorité est d’y rester parce que c’est le principal partenaire commercial de la Grande-Bretagne (même si cette dernière importe plus en provenance des états de l’Union européenne qu’elle ne leur vend). Pour les partisans de la sortie, le projet consiste à passer des accords de libre-échange avec l’Union européenne, les Etats-Unis, l’Inde et la Chine et de relancer ainsi le commerce britannique. Quant à ceux qui, au sein même de la City, soutiennent la sortie, leur projet est de faire de la Grande-Bretagne une sorte de Hong Kong occidental… ».
Au niveau du mouvement syndical, la direction du Trade Union Congress (TUC) ainsi que celles de nombreuses fédérations professionnelles - y compris certaines plutôt revendicatives et combatives - se sont prononcées en faveur du maintien dans l’Union européenne en argumentant notamment sur le fait que, malgré ses penchants néo-libéraux, l’UE et ses réglementations sociales constituent une protection contre la brutalité des politiques d’austérité mise en œuvre par les Conservateurs. Mais, là aussi, il existe une minorité significative en faveur de la sortie. C’est ainsi que les syndicats des transports (RMT), des conducteurs de trains (ASLEF) et de l’industrie alimentaire (BFAWU) ont publié une déclaration commune qui précise notamment : « Affirmer que c’est grâce à l’Union européenne que nous avons acquis des droits sociaux et des protections pour les travailleurs relève du mythe. Pratiquement toutes les lois qui protègent les travailleurs britanniques sont des lois britanniques qui ont été acquises par les luttes et les campagnes du mouvement syndical et du mouvement travailliste britanniques. En réalité, l’Union européenne et sa Cour de justice européenne ont accéléré les attaques contre les droits syndicaux, la protection des travailleurs et les salaires » (2).
La gauche radicale éclatée
On retrouve ces divisions au sein du champ politique situé à la gauche des grands partis institutionnels. Les Verts tout comme les mouvements indépendantistes progressistes - Plaid Cymru au Pays de Galles, Parti national écossais (SNP) en Ecosse – sont favorables au maintien dans l’Union européenne. Dans la gauche radicale, c’est également le cas du Parti socialiste écossais (SSP) ou de Left Unity et de son fondateur, le cinéaste Ken Loach.
C’est dans cet esprit que la gauche du Parti travailliste, les Verts, Plaid Cymru, Left Unity ainsi que de nombreux syndicalistes et universitaires ont constitué la coalition « Une autre Europe est possible » qui mène une campagne dynamique de réunions publiques sur le thème suivant : « votez pour rester dans l’Europe et la changer...
A l’inverse, le Socialist Workers Party (SWP), Counterfire, le Parti Communiste et diverses associations regroupant des travailleurs d’origine indienne ou bengalie ont constitué #Lexit, « la campagne pour une sortie de gauche de l’UE » (3) qui a également organisé une campagne de meetings.
Il faut noter, d’ailleurs, que ces deux campagnes de gauche mettent au centre de leurs préoccupations la défense des migrants, même si c’est pour en tirer des conclusions opposées. Ainsi, Socialist Resistance (4) a axé une grande partie de sa campagne en faveur du maintien dans l’UE sur le caractère xénophobe de la campagne Brexit menée par l’UKIP et la droite du Parti conservateur, sur la défense des travailleurs européens expatriés au Royaume-Uni dont les intérêts seraient menacés en cas de sortie de l’UE et, plus généralement, sur la défense des migrants : « contre le racisme, voter pour rester ».
Mais, à partir des mêmes considérants, le SWP se retrouve particulièrement en pointe dans la campagne #Lexit : « La construction d’une Europe forteresse raciste est au cœur du projet de l’Union européenne. Abattre cette forteresse est absolument fondamental pour tout véritable internationaliste et anti-raciste. Certains militants affirment que la forteresse Grande-Bretagne est l’ennemi principal. Mais les deux ne sont pas en concurrence. La classe dirigeante britannique utilise l’Union européenne pour faire la police à ses frontières » (5).
L’aspect positif et bienvenu du paradoxe est donc que, à gauche, partisans comme adversaires du Brexit, se retrouvent aux côtés des migrants, en particulier dans les convois de solidarité à Calais.
L’aspect plus inquiétant est que, quelles que soient les dynamiques des coalitions « #Lexit » ou « une autre Europe est possible », ces campagnes sont restées à l’échelle des cercles militants et n’ont pas réussi à entamer l’hégémonie des forces réactionnaires et pro-capitalistes sur leurs « camps » respectifs…
A qui la faute ?
La Commission européenne et les principaux gouvernements européens (Allemagne, France) n’ont pas hésité à s’ingérer grossièrement dans le débat référendaire britannique. Même B. Obama est monté au créneau ! Les derniers sondages montrent que cette arrogance habituelle se révèle finalement assez contre-productive, les électeurs étant de plus en plus réticents, au Royaume-Uni comme ailleurs, à ce que l’élite européenne leur indique le « bon choix » !
A quelques jours du référendum, une nouvelle offensive se déploie donc autour des mesures de rétorsion que l’UE pourrait prendre et du coût économique et social qui en résulterait pour la population britannique.
A cela s’ajoute la recherche d’un bouc émissaire sur qui faire peser le poids de cet éventuel fiasco de l’UE. Avec un candidat tout trouvé pour le rôle : Jeremy Corbyn. Une légende bien pratique pour D. Cameron, car cela lui permet d’occulter ses propres responsabilités alors que, en cas de Brexit, la division du Parti conservateur sera l’explication la plus naturelle. Bien pratique aussi pour la Droite travailliste qui ne s’est nullement résignée à l’élection de Corbyn. Mais, au-delà de ces péripéties de la vie politique britannique, il s’agit d’une véritable campagne européenne. Le week-end dernier, un éditorial du journal Le Monde reprend à son compte l’offensive sous le titre « Jeremy Corbyn en Brexiter honteux ». Certes, Corbyn s’est prononcé pour le maintien dans l’UE… mais en 1975, il était pour le « Non » ! Et, surtout, « il ne se bat pas ». La preuve : il refuse (heureusement !) toute campagne commune avec D. Cameron. Conclusion péremptoire du quotidien français : « Par sa passivité, M. Corbyn s’associe à l’ultradroite nationaliste anglaise pour faire perdre l’Europe ». A un tel degré de mauvaise foi et de fanatisme, on est franchement assez loin de toute déontologie journalistique !
Reste une interrogation sur les motivations du choix de Jeremy Corbyn en faveur du maintien dans l’UE : est-ce sa conviction profonde ou une tentative de contenir des dissensions explosives sur ce sujet - et sur bien d’autres ! – au sein du Parti travailliste et d’éviter une confrontation interne immédiate ?
De toute façon, ces tentatives assez puériles de trouver un bouc émissaire relèvent bien le début de panique qui a saisi l’oligarchie dirigeante, en Grande-Bretagne comme en Europe, devant la possibilité d’un Brexit. Il y a au moins deux raisons à cela.
D’abord, une raison domestique britannique : la victoire du Brexit provoquerait une crise politique majeure avec, possiblement, l’explosion du Parti conservateur, de nouvelles élections, etc…Naturellement, dans la mesure où un tel résultat serait considéré comme une victoire des droites xénophobes et eurosceptiques, il n’existe aucune garantie que cette crise débouche sur une issue progressiste. Bien au contraire…
Ensuite, au niveau européen, indépendamment de la caractérisation que l’on pourrait faire des motivations d’un vote majoritaire en faveur du Brexit, ce résultat créerait un précédent : la matérialisation de la possibilité pour un pays de quitter l’Union européenne par référendum. Un précédent dont les cercles dirigeants européens ne veulent à aucun prix car, avec le divorce grandissant entre les couches populaires et les institutions européennes, ce précédent pourrait bien faire école…
François Coustal
Notes :
(1) www.counterfire.org/articles/opinion/18377-in-or-out-what-is-the-future-for-british-capitalism
(2) www.counterfire.org/news/18353-unions-the-eu-offers-us-nothing.
(3) http://www.leftleave.org/
(4) socialistresistance.org
(5) socialistworker.co.uk/art/4281 /Say+no+to+Fortress+Europe+-+vote+Leave+on+23+June
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire