dimanche 18 janvier 2015

Grèce. SYRIZA face à des choix difficiles, par Dimitris Belladis


SYRIZA peut devenir une force de contestation anti-néolibérale et anti-capitaliste. Mais cette coalition peut, malheureusement, être la charnière d’un gouvernement appliquant une politique social-libérale. Il n’existe pas de troisième solution. 

L’écroulement du gouvernement de coalition entre la Nouvelle Démocratie et le PASOK (Mouvement socialiste panhellénique) – malgré les efforts coordonnés du capital et des institutions de l’Eurozone pour étayer le gouvernement Samaras et malgré la propagande annonçant l’écroulement de l’économie grecque – la perspective des élections a ouvert une possibilité historique pour SYRIZA et pour l’ensemble de la gauche grecque et internationale. 

C’est la première fois depuis la période de l’occupation [les forces de l’Axe occupent la Grèce depuis avril 1941, dès la fin de l’occupation en octobre 1944 s’ouvre une période dite de guerre civile] – période où s’est offerte la possibilité pour la gauche communiste traditionnelle en Grèce et en Europe d’assumer le pouvoir gouvernemental – que la gauche radicale peut disposer seule ou sous forme de coalition d’une telle possibilité. C’est aussi la première fois depuis la crise économique internationale de 2007-2008 qu’un pays placé sous la supervision d’instances internationales (la Troïka) aura l’occasion de disposer d’un gouvernement de gauche. 


Le succès ou l’échec de cette expérience auront d’énormes conséquences politiques, idéologiques, morales et psychologiques sur les diverses composantes de la gauche qui se dénomme «à gauche de la social-démocratie», et cela va déterminer le succès ou l’échec immédiat dans cette période qui a été qualifiée comme celle d’une «guerre de positions» ou une «voie démocratique vers le socialisme», selon les formules les plus différentes de l’approche d’une telle phase politique. 

Soit la gauche ouvre une voie de rupture décisive avec le capital – à la différence d’une simple «gestion humanitaire» de la crise capitaliste – conduisant à une transition socialiste. Et alors, elle disposerait d’un poids moral pour mettre fin à la formule fameuse : «A l’heure actuelle, nous ne pouvons aller dans le sens du socialisme ; cette perspective appartient à un avenir très lointain.» 

Soit la gauche (SYRIZA) ne deviendra pas une force social-démocrate classique, mais une force de gestion social-libérale, une courroie de transmission des incitations changeantes de la Banque centrale européenne (BCE), des Etats-Unis ; un gouvernement ayant de bonnes relations avec Merkel, Schäuble, Juncker & Co. 

La seule alternative crédible au libéralisme tempéré ne consiste pas à restaurer un keynésianisme classique ou plus édulcoré. Mais elle consiste à mettre l’accent sur une perspective anti-capitaliste ouvrant sur le socialisme comme seule stratégie pour trouver une voie de sortie de la crise capitaliste longue et structurelle en s’appuyant sur un programme transitoire. 

Sous cet angle, nous sommes d’accord avec l’affirmation que SYRIZA «ne peut pas devenir une social-démocratie», comme le déclarent souvent des leaders de la coalition de la gauche radicale. Cela avec un complément important : SYRIZA peut soit devenir une force anti-néolibérale et anti-capitaliste – en construisant un front de gauche, bas et en haut, mais peut aussi ouvrir la voie à un gouvernement de gestion social-libérale. 

Le programme immédiat 

Si la perspective d’une rupture s’affirme, ce qui acquiert une actualité et une grande importance tactique est la question d’un programme gouvernemental immédiat (les «cent premiers jours»), cela accompagné d’un soutien populaire et social ayant un caractère dynamique. 

Le programme doit indiquer un retour à la tendance forte et énergique exprimée par SYRIZA durant la période 2008-2012 ou même lors de moments en 2012-2014, comme la longue occupation de l’ERT (la radio-TV publique grecque fermée par Samaras en juin 2013) ou la résistance dans la forêt des Skouries (région où le gouvernement avait attribué à un groupe aurifère canadien une licence d’exploitation ; il fit face à une résistance large et décidée de la population). 

Le programme exposé lors de la Foire internationale de Thessalonique en septembre 2014 peut servir de «véhicule» pour élargir l’ampleur de notre influence, mais il n’est pas suffisant. Les points programmatiques exposés lors de la Foire internationale de Thessalonique se rapportent à ce qui est strictement nécessaire pour la résolution et la gestion d’une crise humanitaire aiguë [1]. Mais l’accent devrait être porté sur des mesures qui modifient considérablement l’équilibre des rapports de forces entre classes et traduisent la potentielle hégémonie des masses laborieuses au sein de SYRIZA. 

Des mesures telles que le retour au salaire minimum de 751 euros, la réintroduction des conventions collectives, l’exemption d’impôt pour les revenus annuels des salariés inférieurs à 12’000 euros, l’abolition de l’ENFIA (taxe sur la propriété foncière, y compris pour les surfaces non habitées), le retour des 13e et 14e allocations pour les retraité·e·s et l’augmentation à 700 euros de la retraite minimum. A cela s’ajoutent des dépenses pour les secteurs de l’éducation et de la santé, et des investissements pour des emplois publics. 

Cependant, le financement de ces mesures n’est pas suffisamment précisé, si ce n’est les ressources, telles qu’indiquées à Thessalonique, c’est-à-dire une cessation temporaire du paiement de la dette ou un changement du système fiscal pour ce qui a trait au capital, aux banquiers, aux armateurs et aux très grandes propriétaires. 

Pour un gouvernement de gauche, il n’est ni possible ni souhaitable – dans la mesure où un tel gouvernement n’est pas un gouvernement de «salut national» – de satisfaire tous ces besoins comme si l’on venait de sortir d’une guerre sociale ayant duré cinq ans et comme si ce qui s’était passé était le produit d’un malentendu. 

Dès lors, nous avons besoin de clarifier ce que signifie «l’abolition» des mémorandums de manière unilatérale et non négociable, cela en termes de lois s’appliquant avec précision ; des lois qui portent sur les salaires, les retraites, la législation visant les assurances sociales et le droit du travail, le contrôle des banques, la renationalisation des secteurs privatisés et l’élimination du TAIPED, soit ledit Fonds pour le développement de la propriété publique mis en place par Samaras afin de vendre pour rien les biens publics. Il s’agit aussi de mettre fin aux licenciements et au démantèlement de secteurs publics (éducation, santé, etc.) et d’assurer des conditions de vie aux chômeurs en fin de droit, aux citoyens écartés de la sécurité sociale et aussi aux immigré·e·s. 

Enfin, il faut restaurer le droit de manifester et retirer de l’espace public les forces spéciales de police. Dans la foulée, la campagne et des mesures concrètes doivent être menées contre le fascisme et le racisme. A moyen terme, il faut s’assurer d’éliminer toutes les lois et règlements qui découlent de l’adoption des mémorandums, ce qui concerne 400 lois et des milliers de décrets et d’ordonnances. 

Le programme d’ensemble 

Il faut se rappeler que SYRIZA ne va pas obtenir une position gouvernementale et développer son programme politique seulement sur la base de ce qui a été exprimé par Alexis Tsipras lors de la Foire internationale de Thessalonique de 2014. SYRIZA a un programme qu’il s’agit de développer et qui a été adopté à l’occasion du Congrès de juillet 2013. Ce programme pointe clairement sur les instruments politiques et économiques en faveur d’une redistribution sociale et d’une reconstruction productive répondant aux besoins sociaux. 

Cela implique : le contrôle public et la propriété des banques, l’arrêt des privatisations des entreprises publiques ayant un rôle stratégique, ainsi que la mise en place de mesures aptes à répondre aux pressions et aux chantages du capital, de la Troïka et des créanciers. Ces mesures n’ont pas cessé d’être valables après la Foire de Thessalonique, qui a été l’occasion de mettre en relief le programme minimum, devant être immédiatement appliqué, mais pas l’ensemble de notre programme de gouvernement, y compris à court et moyen terme. 

Un des objectifs clés reste la suppression de l’essentiel de la dette qui est d’ailleurs impayable, et non pas des demi-mesures, comme une restructuration (avec prolongement des délais de paiement), une rediscussion des taux d’intérêt ou même un strict moratoire. Une politique en faveur des masses populaires et laborieuses est simplement impossible si continue le cauchemar de la dette et de son remboursement ou l’objectif d’un budget équilibré répondant aux exigences des mécanismes européens de stabilité. 

Pour terminer, les relations avec les autres forces de la gauche suite aux élections, les initiatives aux plans régional et local avec les alliés et la mobilisation populaire sont des conditions absolument nécessaires pour qu’un gouvernement de gauche survive, un gouvernement ayant comme colonne vertébrale SYRIZA. Et cela pour commencer un processus de renversement du système et non pas simplement de «ralentissement» des nombreuses années de «restructuration capitaliste» en Grèce et en Europe. La victoire peut être nôtre. (Publié dans le bimensuel de DEA, le 7 janvier 2015. Traduction Antonis Martalis) 

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[1] Une enquête publiée début janvier 2015 (effectuée en décembre) par l’Institut de la Fédération des artisans et des commerçants ainsi que des petites entreprises grecques fournit les indications suivantes: 

• 3 ménages sur 10 ont un revenu annuel inférieur à 10’000 euros. Le taux est plus élevé dans les familles de quatre membres et plus; 

• 46,9% de la population déclare que ses revenus sont insuffisants pour faire à leurs besoins de base; 

• 55% de la population indique qu’ils dépendent de prêts accordés par la famille, des amis, par la vente de biens familiaux, par le petit crédit, etc.; 

• 35,9% des ménages, ce qui fait plus d’un million, déclarent qu’au moins un membre en âge d’être actif de la famille est sans emploi; 

• le pourcentage de chômeurs ne recevant aucune allocation approche les 80%; 

• plus de 54% des ménages ont payé, en 2014, 500 euros d’impôts fonciers nouveaux. (Réd. A l’Encontre) 

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Dimitris Belladis est avocat, auteur d’un grand nombre d’articles et de livres. Il est un membre indépendant de la Plateforme de gauche de SYRIZA, mais ni membre du courant de gauche animé par Lafazanis, ni du Red Network, les deux composantes organisées de la Plateforme de gauche. 

Dimitris Belladis est candidat au législatif pour les élections du 25 janvier.

http://www.alencontre.org

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