Henri Mermé lors de la conférence de presse |
Une délégation du Front de Gauche composée de Michèle Demessine, sénatrice du Nord (PCF) , de Tarek Ben Hiba, Conseiller régional Ile-de-France ( FASE) , Alexis Corbière conseiller de Paris (PG) et moi-même pour les Alternatifs s’est rendue à Tunis du 30 Août au 1° Septembre. Son objectif était d’affirmer notre solidarité avec le fort mouvement populaire qui se lève contre le gouvernement actuel de Tunisie, et qui a notamment rassemblé lors des deux manifestations de masse des 6 et 13 Août à chaque fois plusieurs dizaines de milliers de manifestant-e-s à Tunis , et aussi à l’action de « retrait » de plus d’une soixantaine de députés (sur 217) qui ne siègent plus pour manifester leur désaccord profond avec l’évolution de la situation.
Dès notre arrivée, vendredi soir, nous nous sommes rendus Place du Bardo, où nous avons rencontré des députés actuellement en « retrait ». Parmi les éléments qu’ils nous ont fait partager, il faut retenir leur déception face à l’attitude de François Hollande. Ce dernier, lorsqu’il s’est rendu en Tunisie, a apporté un soutien au gouvernement actuel, alors que les forces populaires attendaient une autre attitude. De même tout le monde s’indigne du discours va-t-en guerre du gouvernement français, aligné sur la diplomatie américaine.
Puis, samedi matin, la délégation s’est rendue à une conférence de presse du PPDU, à laquelle participait entre autres Besma Belaid, la veuve de Chokri Belaid, Ensuite, nous avons rencontré une délégation du Front Populaire qui nous a fait part de son analyse de la situation et mis en avant ses deux exigences démocratiques sur la démission du Gouvernement et celle de l’Assemblée Constituante. A un questionnement sur leur rapprochement avec l’Union pour la Tunisie il a été répondu que celui-ci était rendu possible par une convergence de points de vue sur les deux revendications actuelles. Enfin, Hamma Hammami est venu à notre rencontre, pour nous donner les derniers détails des négociations en cours. Par la suite, nous nous sommes rendus au siège de l’UPT, Au terme de ces discussions, qui toutes convergeaient sur les mêmes conclusions, nous sommes retournés Place du Bardo, où nous avons tenu une conférence de presse de soutien.
Enfin, nous avons rejoint les milliers de manifestants qui composaient une longue « chaîne humaine », joyeuse et déterminée, jusqu’à la Khasba (siège du gouvernement) en signe de protestation.
Pour comprendre la situation un retour sur les événements est nécessaire. Depuis les élections du 23 octobre 2011 qui a élu une Assemblée Constituante, la Tunisie est dirigée par une coalition de 3 formations, surnommée la « Troïka » Il s’agit des partis Ettakatol (social-démocrate, lié à la 2e Internationale socialiste), du Congrès Pour la République (CPR, fondé par Moncef Marzouki, ex opposant historique au dictateur Ben Ali, devenu Président de la République) et d’Ennahdha (parti islamiste et principale force de cette alliance).
Depuis cette élection, il apparaît que le gouvernement a échoué sur le terrain économique et social. Le chômage ne cesse d’augmenter, frappant même désormais jusqu’à plus de 30 % des jeunes diplômés. Le coût de la vie surtout des produits de première nécessité s’est envolé et les services publics sont en nette détérioration. Enfin les trois principaux moteurs de l’économie à savoir l’investissement privé, les exportations et le tourisme qui aurait reculé de 40% cette année, sont en net recul avec en contrepartie une forte progression de l’économie parallèle. Pour faire face à une situation financière catastrophique, le gouvernement a décidé de faire appel au Fond Monétaire International (FMI) pour obtenir un prêt d’environ 1,4 milliard d’euros sur deux ans. En échange, pour répondre aux exigences du FMI, le gouvernement a du s’engager à des « réformes structurelles » dont les conséquences sociales sont lourdes pour le peuple tunisien. Bref, sur le plan économique, il semble selon les différents témoignages que le gouvernement déçoit fortement et notamment dans les milieux les plus populaires qui avaient voté Ennahdha en pensant qu’ils allaient améliorer le quotidien. Qui plus est les milieux patronaux et en particulier le syndicat patronal UTTICA estime que ce gouvernement mène une politique contraire aux intérêts « nationaux » (traduisez les siens) et est entré dans l’opposition !
Mais l’inquiétude se situe aussi sur le plan des libertés démocratiques. Depuis deux ans, la violence a fait un retour en force dans la vie politique. Les ignobles assassinats de Chokri Belaid, le 6 février 2013, et de Mohamed Brahmi le 25 juillet, dont la responsabilité politique et morale incombe au Pouvoir, en sont les tristes preuves. Le siège du grand syndicat UGTT a été attaqué, de même que des meetings, des journalistes, des intellectuels, des expositions etc. Les coupables ? Ils sont à trouver du cotés des milices religieuses salafistes armées, qui se désignent comme les Ligues de Protection de la Révolution (LPR). Celles-ci font régner un climat de peur chez tous les démocrates et semblent agir grâce à une certaine passivité, voire une complaisance, de la part des pouvoirs publics Parallèlement, Ennahdha continue de placer parmi les gouvernorats des 24 régions, dans les rouages de l’administration, de l’armée, de la police des gens qui lui sont liés.
Face à cet échec économique et social patent, à cette violence qui se développe et à ce « grignotage » progressif des postes clefs du pays par Ennahda, le paysage politique d’il y a deux ans, s’est profondément modifié. D’abord, les forces de gauche indépendantes du gouvernement, se sont regroupées dans un Front Populaire (FP). Les deux principaux partis de ce Front populaire sont le Parti des Travailleurs (ancien Parti Communiste des ouvriers Tunisiens PCOT) dont le porte parole emblématique est Hamma Hammami. et le Parti Populaire Démocratique Unifié (PPDU), dans lequel militait Chokri Belaid, et dont nous avions invité deux de ses dirigeants à l’Université d’été de Beaulieu.
Mais, l’évènement nouveau depuis le FSM de Mars dernier est la constitution de l’Union Pour la Tunisie (UPT) qui regroupe des formations de centre gauche et du centre comme Nida Tounes , Al-Massar, le Parti socialiste, le Parti du Travail patriote démocrate etc.. Et surtout que ce regroupement s’est fait sur des bases. convergentes avec celles du Front Populaire d’opposition au Gouvernement.
Ces deux regroupements le Front Populaire et l’UPT s’unissent dans un Front de Salut National (FSN), qui exige essentiellement deux points immédiats : la démission du gouvernement actuel et la dissolution de l’Assemblée nationale constituante (ANC). qui avait été élue le 23 octobre 2011, pour une période d’un an avec pour mandat la rédaction d’une Constitution, travail qui n’est toujours pas terminé en raison des désaccords profonds en son sein. La légitimité électorale ayant expirée, nous sommes donc entrés après le 23 octobre 2012 dans une période de légitimité consensuelle bien fragile compte tenu de l’atmosphère de doute qui avait déjà remplacée la ferveur et l’enthousiasme de l’année précédente..
La tendance hégémonique d’Ennahdha matérialisée par les milliers de nominations partisanes la bienveillance observée par le ministère de l’intérieur et de la justice vis à vis des LPR et des « salafistes », les polémiques autour de la Chariâa et autres principes idéologiques relevant de l’islamisation de l’état, tel que la notion de complémentarité de la femme, le harcèlement des médias et des journalistes, les difficultés économiques allant crescendo et touchant même les classes moyennes ont fini par profondément inquiéter la société civile tunisienne.
C’est pour appuyer les deux exigences démocratiques de démission du gouvernement de la Troïka et son remplacement provisoire par un gouvernement « technique » chargé de préparer les élections, et mise en sommeil de l’Assemblée Constituante avec nomination d’un comité d’experts chargé de finaliser le texte constitutionnel que les députés « retirés » appuyés chaque jour par des milliers de manifestant-e-s participent à un sit-in devant le palais du Bardo.
Pour sortir de l’impasse un groupement de quatre grandes organisations représentatives, La Ligue des Droits de l’Homme, la centrale ouvrière UGTT, le Barreau et – oh surprise pour un militant de l’autre côté de la Méditerranée - le syndicat patronal UTICA jouent les intermédiaires auprès du Gouvernement pour présenter les revendications du FSN. Conclusion provisoire. A l’heure où j’écris cet article le Gouvernement Ennahdha refuse toujours de répondre positivement aux demandes du Front de Salut National
Henri Mermé 03/09/2013 (publié dans Rouge & Vert, le journal national des Alternatifs)
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