lundi 24 décembre 2012
Slovénie : au coeur de la révolte citoyenne par Rodolfo Toè, 'envoyé spécial du Courrier des Balkans
Que se passe-t-il en Slovénie ?
Des milliers de personnes ont défilé vendredi à Ljubljana et dans d’autres villes du pays, alors que les syndicats et les partis d’opposition n’avaient pas appelé à ces rassemblements. La mobilisation s’organise par les réseaux sociaux, comme Facebook, et dans la crainte permanente des provocations de la police. Les manifestants brandissaient des drapeaux slovènes et ceux de l’ancienne Yougoslavie socialiste.
Ils sont des milliers dans le centre de Ljubljana, venus de tout le pays, même si d’autres rassemblement ont lieu à Maribor, Ptuj ou Nova Gorica. Les manifestations de ce vendredi doit couronner le mois de mobilisation entamé à la fin novembre à Maribor, la ville devenue le symbole de la faillite du modèle libéral en Slovénie. Sur la place en face du Parlement, la foule est tenue à distance par une centaine de policiers anti-émeute qui ont construit un grand cercle de protection autour de l’édifice. On s’attend au pire. La violence, au cours des dernières semaines, a évolué d’une façon préoccupante, selon Nika, une jeune fille qui travaille comme documentariste et n’a pas raté une seule manifestation depuis la fin novembre : « au début », explique-t-elle, « les policiers n’étaient pas armés. Ensuite, ils ont commencé à utiliser les gaz lacrymogène, pour la première fois dans l’histoire de la Slovénie moderne. Désormais, ils nous chargent à cheval »...
La décision de la Cour Constitutionnelle de rejeter la demande de référendum contre la banque poubelle et les privatisations, a exaspéré la tension entre les contestataires et le gouvernement. Tout le monde redoute des provocations.
La hantise des provocations
Jeudi, dans le centre Metelkova, refuge de nombreux groupes militants, des inconnus sont arrivés avec des sacs rempli des produits nécessaires à la fabrication de bouteilles Molotov. « Ils avaient appelé les journaux en avance, bien évidemment, car il y avait déjà des photographes sur place », explique Anita, une des coordinateurs de l’Université des Punks et des Ouvriers : « ils sont restés ici juste le temps nécessaire pour poser devant les appareils photos, et puis ils sont partis, ni vus ni connus ». Elle se dit convaincue que cela fait partie d’une stratégie pour discréditer les manifestants. La crainte de possibles infiltrations est tellement répandue que certains manifestants confient à mi-voix : « on nous a dit que le gouvernement payerait les ultras du Dinamo Zagreb pour provoquer des accidents ».
La tension est très forte chez tous les manifestants. Beaucoup ne veulent pas être photographiés, certains refusent même de donner leur nom. Tout le monde a peur de la police. Il y a quelques semaines, un policier avait écrit une lettre ouverte à ses collègues, pour les exhorter à joindre le mouvement de protestation. L’Etat, pour éviter le risque d’une coalition entre la police et les manifestants, a décidé d’augmenter le salaire des agents déployés face aux manifestants, ce qui coûtera 600.000 euros aux caisses de l’État, théoriquement vides. Parmi les quelques 10.000 personnes qui se retrouvent Place de la République, la grande majorité sont des jeunes étudiants comme Miha, qui a 24 ans. « J’espère que les institutions entendront enfin notre voix », affirme-t-il. Il y a beaucoup de drapeaux, des drapeaux de la Slovénie en majorité, mais aussi ceux de l’ancienne Yougoslavie socialiste.
« Bien sûr, beaucoup de Slovènes regardent leur passé yougoslave avec nostalgie ». Primoz est né en 1979 à Ljubljana. Aujourd’hui, il est sociologue. Il n’a pas vécu longtemps sous le communisme mais cela ne l’empêche pas de faire l’éloge de la Slovénie socialiste : « après la guerre, ce pays était totalement détruit, mais il a connu un développement incroyable sous le régime communiste, surtout dans les années 1960 et 1970. Tout le monde travaillait, la sécurité sociale et les retraites étaient assurées. Maintenant, c’est fini ».
Le réveil de la conscience politique slovène ?
La difficile situation économique a poussé les Slovènes dans les rues. Les manifestants sont fondamentalement autonomes, les groupes politiques organisés sont peu nombreux. Les syndicats avaient donné leur soutien à cette journée, mais ils ont finalement décidé de ne pas appeler à la manifestation : la grève générale, qui devait marquer l’union de tous les travailleurs contre les réformes, a été repoussée à janvier 2013. Les partis politiques sont absents. La révolte, aujourd’hui, se développe on-line. Un seul événement partagé sur facebook peu convaincre de milliers de personnes de participer. « Tu ne dois pas venir ici et demander qui organise cette manifestation », répète-t-on partout : « cette manifestation est à tous, et tout le monde est fier d’être là ». Même si les manifestations, jusqu’à présent, n’ont eu que des résultats tangibles limités - essentiellement la démission de Franc Kangler, le maire de Maribor accusé de corruption - elles ont provoqué un véritable tsunami dans l’histoire de l’engagement politique en Slovénie.
« La dernière fois que j’ai assisté à une manifestation comme celle d’aujourd’hui, c’était à la fin des années 1980, juste avant la déclaration d’indépendance », explique Boris, 58 ans. Vlado Kreslin, un des plus importants artistes slovènes contemporains, se souvient bien de ces jours qui furent les derniers de la Yougoslavie fédérale : « nous étions ici, assez ironiquement, pour démontrer notre soutien à Janez Janša. Il avait été injustement accusé d’avoir divulgué des secrets militaires, mais il s’agissait d’une maladroite tentative pour étrangler l’opposition au communisme en Slovénie. Du moins, à cette époque, les autorités yougoslaves nous avaient permis de manifester juste devant le Parlement. Maintenant, tu vois, ce même Janša que nous soutenions alors nous tient à distance ».
Tout au long du mois qui vient de s’écouler, les citoyens de Slovénie ont retrouvé le chemin de la rue et des mnaifestations, après deux décennies. Il est peut-être trop tôt pour savoir si cette renaissance de l’engagement politique aura des conséquences durables ; pour l’instant, toutefois, les manifestants semblent comprendre qu’il faudrait se donner une organisation plus définie. La désorganisation peut facilement emmener à l’exacerbation des divisions qui existent entre les myriades des groupes et d’individus qui composent l’univers de la contestation à Ljubljana.
« Parler seulement en notre nom n’est pas suffisant », reconnaît une jeune militante d’un groupe antifasciste qui préfère rester anonyme : « après ces contestations, il faudra donner une alternative institutionnelle au changement… Sinon, nous n’aurons pas la possibilité de représenter une véritable alternative face aux partis politiques ».
in Le Courrier des Balkans http://balkans.courriers.info
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