lundi 19 mars 2018

Non ne possiamo più di questa gente ! (nous n’en pouvons plus de tous ces gens) , retour sur les élections en Italie, par Mathieu Dargel, Ensemble!.

Non ne possiamo più di questa gente ! (nous n’en pouvons plus de tous ces gens) 
Cette phrase, on la lit et on l’entend depuis lundi dans toute la presse italienne. C’est la première raison que donnent les électeurs interrogés pour expliquer leur vote en faveur de la Lega (ex Ligue du Nord) ou du Mouvement 5 étoiles(M5S). Viola Carofalo, porte-parole de Potere al Popolo, parle, elle, de la victoire du racisme et du « je m’en foutisme » (qualunquismo). 

Du Nord au Sud de l’Italie, ce sont donc ces deux forces politiques qui remportent les élections. Le M5S progresse de 1,5 millions de voix, à 32.3%, près de 10 millions, et la Lega atteint 17.6%, avec 5,4 millions de voix, permettant à la coalition de « centre droit » de passer en tête avec 36,9% des voix. Les partis « historiques » de la vie politique italienne s’effondrent, aussi bien Forza Italia, de Berlusconi, pour qui ce sera sans doute la dernière page de sa longue histoire politique, que le Parti Démocrate, qui passe sous la barre des 20% et perd ses bastions historiques du centre de l’Italie. 


Au Nord, donc, victoire de la coalition de droite, au Sud victoire du M5S. Mais il ne s’agit que d’une apparente symétrie. Entre ces deux forces, les différences sont profondes, c’est bien ce que résume la formule de Viola Carofalo. 

La victoire de la Lega, c’est celle de l’instrumentation du racisme et de la xénophobie, qui jusqu’à peu s’exprimait aussi envers les immigrés du Sud de l’Italie. C’est aussi celle de la petite bourgeoisie enracinée dans le tissu économique des PME du Nord de l’Italie, qui en administre la plupart des grandes villes, à l’exception de Turin et qui voudrait se débarrasser des aspects les plus pesants la tutelle européenne et de la monnaie unique. Un électorat et des thématiques assez proches, donc, de ceux du FN, partenaire au Parlement européen et grand allié au cours de cette campagne. 

La question du M5S est bien plus complexe. Né il y a à peine dix ans comme un mouvement de moralisation de la vie politique et de dénonciation de la corruption des élites, le M5S a réussi à s’imposer comme la principale force politique du Sud de l’Italie, quasiment hégémonique en Sicile, majoritaire à Naples. 

« Mandiamoli tutti a casa », renvoyons-les tous à la maison. Ce slogan a fait la force du M5S quand il s’agit de dénoncer la corruption institutionnelle, les collusions mafieuses, l’abandon des territoires, la disparition des services publics. Le M5S est un réceptacle de toutes les colères, en particulier de l’électorat populaire, contre les politiques néo-libérales, menées aussi bien par les gouvernements de droite que de « gauche » de ces dernières années. 

Mais ce n’est pas une force de proposition, ce n’est pas une force politique qui puisse présenter une analyse de la société italienne, de l’Europe, des rapports de force de classe. Le M5S tient un discours anti caste, « anti système » sans jamais être capable de le caractériser, sans jamais rompre avec le discours dominant anti-immigrés. 

Le succès du M5S est de surfer sur la colère populaire du Sud et de la dépolitiser en proposant un changement de personnel politique, en se posant comme des nouveaux venus, moins « pires » que les autres et à qui faut leur donner leur chance. C’est ainsi que pour le Sud de l’Italie, le M5S est devenu le « vote utile » tant pour s’opposer au fascisme de la Lega qu’aux mesures prises par le gouvernement Renzi au cours des cinq dernières années, ne laissant ainsi qu’un très faible espace politique aux forces de la gauche radicale. 

Dans cette configuration, et en attendant le décompte définitif, non pas des voix, mais des sièges, aucune solution de gouvernement ne semble s’imposer en Italie. La coalition de droite a gagné, mais n’atteint pas les 40% minimaux pour obtenir la majorité en sièges et son avenir est loin d’être garanti, tant les tensions entre Forza Italia et la Lega sont fortes. L’hypothèse rêvée par Bruxelles, d’un « renzusconisme » a volé en éclats avec l’écroulement du PD et de Forza Italia, et si le M5S n’a pas la majorité pour gouverner seul, l’hypothèse d’une alliance des « populistes, anti-système » n’a aucun sens. 

On va donc assister, dans les prochaines semaines, à une série de tractations et de recompositions, lors de la constitution des groupes parlementaires, notamment, au cours desquelles, les débris du PD joueront sans doute un rôle prépondérant, pour tenter d’ancrer le M5S un peu plus « à gauche ». 

La « gauche », toutes tendances confondues, si l’on y inclut le PD, culmine à 25%. A l’extérieur du PD, on peut ajouter le 3.5% de Liberi E Uguali (1,1 millions de voix) et les 1.2% de Potere al Popolo (360 000 voix), ce qui représente à peine moins que les listes de SEL et de Rivoluzione Civile, aux élections de 2013. 

La situation n’est pas la même pour ces deux initiatives. On peut parler d’échec, clairement, pour LeU, née d’un accord d’appareil entre les scissionnistes du PD (d’Alema, Bersani, le mouvement Possibile de Civati,) et Sinistra Italiana, et dont la campagne, même si elle était clairement marquée à gauche, a comporté un nombre croissant de confusions, d’opportunismes et d’incertitudes quant aux alliances possibles avec le PD, en cas de gouvernement de coalition. Plus que d’une tentative de créer un nouveau mouvement de la gauche italienne, LeU a été perçu comme une machine à recycler les caciques de la minorité du parti Démocrate. 

Malgré le faible score, l’ambiance a été à la fête au QG de Potere al Popolo, la nuit des élections. L’interdiction des sondages pendant les deux dernières semaines de campagne, le dynamisme et l’engagement des militants dans les manifestations anti-racistes et anti-fascistes des derniers jours avaient laissé un petit espoir d’atteindre le seuil des 3%. Il n’en a rien été, mais le mouvement né en janvier a réussi plusieurs exploits : recueillir les 25000 signatures nécessaires pour se présenter, organiser plus de 200 assemblées territoriales et adopter un programme politique en quelques semaines, obtenir des scores significativement au-dessus de la moyenne nationale là où les militants des diverses forces composant Potere al Popolo étaient présentes et actives dans les luttes sociales et environnementales. 

La question que posait Potere al Popolo lors de sa constitution était « qui accepte notre défi ?». Aujourd’hui, c’est un nouveau défi qui est lancé : comment pérenniser le mouvement ? 

Comment faire en sorte que l’effondrement de la social-démocratie ne profite pas à un populisme sans principes ou à un mouvement d’extrême droite ? Comment, à la fois, dépasser les cartels d’organisations et de groupes qui ont tant de fois été tentés en Italie ces dernières années, avec autant d’échecs ? 

Comment incarner aujourd’hui le nouveau, comment reformuler la critique de la société capitaliste, telle qu’elle opprime les jeunes, qu’elle précarise la société et s’appuie sur le racisme et la xénophobie ? 

Comment faire le lien, le revendiquer, entre tous ceux qui ne font pas le deuil des luttes passées, de l’antifascisme, qui continuent, comme Viola Carofalo, à se réclamer du communisme et de son histoire ? 

En Italie, comme dans toute l’Europe, ces questions sont brûlantes, à l’ordre du jour. Commencer à y répondre sera indispensable pour conjurer la catastrophe imminente. 

Mathieu Dargel 

In dietro non si torna (on ne reviendra pas en arrière) 

Communiqué de Potere al Popolo , lundi 5 mars. 

Nous jetons quelques lignes pour partager une lecture des élections d’hier. Avant de développer des réflexions générales sur la direction que prend notre pays, sur comment nous devrions agir pour l’inverser, commençons par dire quelque chose qui ne concerne que nous… 

Nous sommes satisfaits de Potere al Popolo et nous vous expliquons pourquoi. Parce qu’en trois mois et demi nous avons réussi à convaincre des centaines de milliers de personnes. Partant de rien, sans argent, sans contacts, boycottés par les medias. 

Des centaines de milliers de personnes, de visages, d’histoires ont voté pour nous qui ne promettions rien, dans les élections objectivement les plus à droite de l’histoire de la République – 18.3% pour la Lega, 1.3% pour les deux groupuscules néo-nazis, 4.5% pour Fratelli d’Italia… sans compter l’avalanche des 5 étoiles qui se sont construits ces dernières années avec leur rhétorique sécuritaire et anti migrants. 

Nous sommes satisfaits parce que nous avons tenu malgré le fait que l’on nous ait fait disparaître pendant les 9 derniers jours décisifs de la campagne électorale, malgré une forte participation. 

Nous sommes satisfaits parce qu’il n’était pas possible de faire humainement plus. Parce que nous avons donné le maximum et que nous n’avons aucun regret. Parce que s’il n’y avait pas ce rempart de quelques centaines de milliers de voix pour nous rappeler que la résistance à la barbarie existe toujours, nous aurions été ce matin, encore plus déprimés en regardant les résultats. 

Nous ne pouvions pas, à l’occasion de cette élection, résoudre tous les problèmes que la gauche a laissé irrésolus depuis 40 ans. Mais nous pouvions, et devions, saisir l’occasion pour commencer à expérimenter et à construire quelque chose de nouveau. Maintenant que le premier pas est fait, à l’opposé de ce que fait habituellement la gauche, soit rassembler, lutter coude à coude, nous devons faire le second : continuer, structurer. 

Le scenario politique et social qui se profile est un scénario instable, qui ouvre donc des possibilités. Mais la leçon de ces dix dernières années de crise c’est que l’instabilité n’est pas productive si l’on n’est pas enraciné dans les territoires si l’on manque de perspectives et d’organisation. 

Dans cette période électorale, nous n’avons pas seulement commencé à faire vivre des thèmes divers, à faire entendre une autre voix. En trois mois, nous sommes passés de collectifs épars, comités, associations, morceaux de partis, à un embryon d’organisation composé de 10 000 militants et connu de quelques millions. Il aurait fallu des années, ou de grandes mobilisations de rues pour arriver à un tel résultat… 

Si nous nous sommes courageux et efficaces, nous réussirons à brève échéance à donner plus de force et d’unité à nos structures territoriales, à augmenter le niveau d’analyse et de débat culturel, à augmenter notre impact médiatique, à faire monter qualitativement nos pratiques de mutualisme, de syndicalisme social, de contrôle populaire. 

Nous ne parlons pas d’années, nous parlons d’un travail qui, s’il est mené avec le même enthousiasme, pourra se concrétiser d’ici septembre/octobre. Si nous voulons être révolutionnaires, nous ne devons pas nous transporter dans un monde enchanté, amis analyser la situation et tenter de créer, avec ce dont nous disposons, une séquence historique nouvelle. Le 18 mars, nous verrons à Rome ! 

Traduction M.D.

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