vendredi 12 décembre 2014

Michel Warschawski : « La gauche israélienne n’a plus d’adresse politique », entretien à Politis


À trois mois des élections législatives, Michel Warschawski analyse le glissement à droite de la société israélienne. Un processus déjà ancien.  Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, vient de dissoudre la Knesset pour provoquer des élections anticipées. Objectif : un nouveau coup de barre à droite. 

Comment expliquer ce glissement général vers la droite extrême, non seulement du gouvernement mais aussi de la société israélienne ? 

Michel Warschawski : Le glissement ne date pas d’aujourd’hui. Je pense qu’il remonte à 2000, au moment de Camp David et du suicide de la gauche avec Ehud Barack [1]. Et je ne parlerais pas d’un glissement général vers l’extrême droite, mais plutôt de la disparition de la gauche comme force politique. En termes de société, les rapports sont plus ou moins restés les mêmes. Il y a effectivement un glissement de l’opinion publique à droite, mais il convient de ne pas l’exagérer. Il reste une forte minorité à gauche, mais qui n’a pas d’adresse politique et s’exprime soit par quelqu’un comme Yaïr Lapid [2], soit en quittant le pays. Cette émigration concerne surtout les jeunes, qui s’en vont à cause de l’atmosphère de racisme et de violence. Il faudrait que la population se dise « ça suffit comme ça ! » et décide d’un vrai soulèvement. Là, on se dit bien « ça suffit comme ça », mais on le fait en pensant « ça me dégoûte », et on ne parle plus que de partir. Même si on ne le fait pas forcément. 


N’y a-t-il pas aussi une psychose entretenue par le gouvernement et les médias et qui produit de la violence ? 

Il y a en effet une psychose qui remonte à loin, entretenue et renforcée par le discours néoconservateur, qui, chez nous, contrairement aux États-Unis, est toujours en place. C’est l’idée qu’il y aurait une civilisation menacée par un ennemi identifié à l’islam. Actuellement, c’est Daesh qui concrétise cet ennemi, même si Daesh a très peu à voir avec Israël. On mélange tout : l’islam, les islamistes, les Arabes. On confond tout, et l’ensemble est perçu comme une menace. 

Mais n’y a-t-il pas un relais intellectuel et médiatique de ce discours qui est surtout gouvernemental ? 

Du côté des intellectuels, il y a surtout un grand silence. Il y a effectivement un relais médiatique, mais je ne pense pas que la majorité des intellectuels de gauche soient ralliés à ce discours. Ils ne disent rien. La plupart ont émigré, et même lorsque leurs pieds sont ici, leurs têtes n’y sont plus, ils n’y croient plus. Ils sont désespérés. Symptôme de ce phénomène, c’est un ancien dirigeant du Mossad, Shabtaï Shavit, qui dit qu’Israël va à sa perte. C’est un signe fort. 

Benyamin Netanyahou provoque des élections anticipées qui devraient conduire à une extrême droitisation du gouvernement… En fait, il y a une vraie bataille pour l’hégémonie dans l’extrême droite entre trois partis et trois dirigeants : Naftali Bennett, Avigdor Liberman et Benyamin Netanyahou. La vraie campagne électorale se jouera entre ces trois-là. On parle de la nécessité de refaire un parti de gauche rassemblant les travaillistes et les déçus de Yaïr Lapid et de Tzipi Livni. 

Malheureusement, je ne vois pas qui, dans toute la gauche, peut créer un tel parti. Aucune figure n’émerge. Et, même tous ensemble, ils ne portent pas un discours alternatif. Ils partagent juste le constat que la situation est catastrophique, que le gouvernement Netanyahou et la droite au pouvoir nous mènent à une cassure avec les États-Unis et nous mettent l’Europe à dos. Cela annonce une politique de colonisation qui va jusqu’au bout de sa logique. 

N’y a-t-il personne pour dire que cette politique mènera Israël à sa perte ? 

On entend ce discours, mais il vient de l’appareil militaire. D’une certaine façon, cet appareil représente aujourd’hui l’intelligence d’Israël. Dans la classe politique, ce discours est complètement absent, parce qu’on a cette concurrence à droite entre ces trois formations. C’est à qui sera le plus extrême. 

Que feront les Arabes israéliens dans la bataille électorale qui s’annonce ? 

On peut espérer une liste unique arabe. Le Haddash (le Parti communiste, NDLR) traîne les pieds et rechigne à faire alliance avec les autres partis arabes. Mais, à mon avis, c’est la seule solution qui pourrait non seulement éviter leur disparition parlementaire, mais aussi créer une dynamique de remobilisation de la population palestinienne à partir des élections. Un objectif de 14 députés serait réaliste s’ils se mettaient ensemble. Ce qui ne serait pas négligeable. Et très important au moment où les Arabes israéliens sont menacés par la loi sur la redéfinition d’Israël comme État du peuple juif. 

La colonisation n’est-elle pas en train de condamner la solution à deux États ? Une autre solution n’est-elle pas en train de prendre de la consistance, celle d’un État unique ? 

Je continue à dire non. Parmi les Palestiniens, on peut entendre la même personne dire « Je ne crois plus à la solution à deux États » et ajouter quelques instants plus tard : « Quand on aura enfin un État palestinien… » Un État unitaire et démocratique est souhaitable, mais c’est le combat d’une génération. 

Comment sont perçus en Israël les votes de parlements européens en faveur de la reconnaissance de l’État palestinien ? 

Ils sont perçus comme des coups de semonce, des avertissements. C’est présenté ainsi dans les médias comme dans cette partie de la société qui dit : « Regardez, on est en train de perdre nos meilleurs amis et de nous isoler au niveau international. » Ceux-là font le constat de l’impasse dans laquelle Israël s’enferme. Mais la droite répond par le discours habituel : tout le monde est contre nous, ce sont tous des antisémites, déclarés ou non. C’est le discours du gouvernement. 

Nota Bene : Michel Warschawski est militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative de Jérusalem.

publié dans l'hebdomadaire POLITIS

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