lundi 20 janvier 2014

Après le Mali et la Centrafrique, défendre une autre politique de la France en Afrique


La République Centrafricaine est à nouveau plongée dans le chaos. Une nouvelle guerre cvile dégénère en massacres et exactions massives, provoquant des milliers de morts, un demi-million de réfugiés, et la destruction de ce qui reste de tissu social. Pendant des décennies se sont succédé, coups d’Etat après coups d’Etat, des régimes sans aucune légitimité démocratique, contribuant à la disparition d’un Etat de droit, laissant des pans entiers du pays dans un abandon complet. 

Les forces de la société civile qui pourraient arrêter cet engrenage sont trop faibles pour résister à ce déchaînement de violence. Dans une telle situation, il est nécessaire que soit mise sur pied une intervention extérieure, multilatérale, indépendante des factions en présence, pour s’interposer, créer les conditions d’un cessez le feu, faire parvenir les secours aux populations.
 

Il faut arrêter cette spirale de violences sans fin, et permettre au peuple de RCA de retrouver une souveraineté dont il est dépossédé depuis des décennies. Le gouvernement a prétendu que la France et son armée étaient les mieux à même de prendre l’initiative d’une intervention militaire à but «humanitaire», en se faisant épauler par les pays voisins de son «pré-carré» africain. Pourtant, depuis des décennies la politique de la France est largement responsable de la situation existante. 

De fait, la France n’a jamais quitté ce pays, on peut même dire qu’elle l’a cogéré. Les différents régimes qui se sont succédé en Centrafrique n’ont eu d’existence que portés par l’interventionnisme militaire et politique français : Bokassa en 1965, Kolingba en 1979, Patassé en 1993 et Bozizé en 2003. Ils profitaient et faisaient profiter la puissance tutélaire des nombreuses ressources du pays (bois tropicaux, diamants, uranium, etc...), pendant que le peuple criait misère, et que le pays servait de base aux opérations militaires françaises sur l’ensemble du continent. L’intervention française d’aujourd’hui est la 5e intervention de l’armée française dans ce pays depuis 1979, la 50e en Afrique sub-saharienne depuis les indépendances. Le chaos actuel est aussi un échec cuisant de la politique africaine menée par la France depuis des décennies. 

Ces interventions se sont faites en toute connivence entre la France et le Tchad, comme si la Centrafrique étaient une « chasse-gardée » où on peut à loisir faire et défaire les présidents et gouvernements. Le régime tchadien d’ Idriss Deby a ainsi contribué à l’arrivée au pouvoir du précédent président, Bozizé. Puis à sa mise à l’écart en laissant agir les forces de la Séléka, qui l’ont renversé et ont pris le pouvoir à Bangui en mars 2013, avec l’accord tacite de la France et du Tchad. Enfin, pour tenter de se sortir de l’impasse, le gouvernement francais avec le pouvoir tchadien et leurs alliés ont conçu la convocation à N’Djamena, le 10 janvier dernier, d’une assemblée centrafricaine où a été destitué le président putschiste Djotodia, épisode révélateur de cette mainmise sur le sort de la RCA. Sur le terrain, on voit que la force franco-tchadienne n’est pas à même d’arbitrer ce conflit, ni de faire baisser les tensions entre les différents acteurs. Des manifestations, des affrontements, s’en ont pris aux troupes françaises ou tchadiennes, soupçonnées par l’un ou l’autre camp de partialité, du fait qu'ils ont été si souvent dans le passé des «acteurs engagés» dans les conflits internes du pays. 

Si l’on veut protéger le peuple de RCA, il faut une intervention multilatérale de l’Union Africaine, le déploiement d’une véritable force de maintien de la paix composée de Casques Bleus, pour permettre un processus de restauration d’un Etat de droit et d’un début de démocratie. 

Des responsables religieux musulmans et chrétiens centrafricains ont lancé un appel dans ce sens. Un apaisement ne peut être obtenu uniquement par des moyens militaires, indépendamment d’un processus de transition politique. L’objectif doit être de favoriser une négociation et une solution politique, pour donner au peuple centrafricain les moyens de reconstruire le pays, de recouvrer une souveraineté, de jeter les bases d’un Etat qui protège les populations et ne soit pas l’apanage d’un clan. 

Parmi les solutions politiques incontournables, il doit être mis fin à la mise sous tutelle exercée par l’ex-puissance coloniale, qui a empêché toute démocratie et soutenu des dictatures et des Etats artificiels. La France peut-elle être la solution alors qu’elle fait partie du problème de ce pays depuis si longtemps ? C’est la deuxième intervention militaire sur le continent sous la présidence de F. Hollande. Au Mali, il fallait « faire barrage à l'offensive djihadiste ». 

En Centrafrique, il faut « sauver les populations ». Au nom de ces justifications officielles, et de la part de réalité que conjoncturellement elles peuvent présenter, on constate que s’engage une politique africaine de la France qui s’éloigne à grands pas des engagements du candidat Hollande : «mettre fin à la Françafrique», «l’Afrique doit assurer elle-même sa sécurité»... 

Promesses oubliées, comme d’autres. Le regain d’interventionnisme militaire de l’Etat français s’accompagne d’un autre discours, axé sur la nécessité de partir en reconquête dans la guerre économique sur un continent où la France et ses intérêts sont en perte de vitesse dans cette région d’Afrique centrale. Mais l’époque où les anciennes puissance colonisatrices avaient le monopole des rentes et de l’exploitation des matières premières à bas prix est révolue, concurrencées par les pays émergents comme le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et d’autres pays du continent. 

Loin de chercher à mener une politique de coopération d’égal à égal avec les pays africains, l’Etat français s'efforce de maintenir son influence en redéployant son armée dans plusieurs pays. Les intentions réformatrices initiales s’évaporent ainsi devant la nécessité de s’appuyer à nouveau sur les autocrates des régimes clés du système de la Françafrique : Gabon, Cameroun, Tchad et Congo-Brazzaville. 

F. Hollande répond aux exigences de l’armée française qui a obtenu, dans la loi de programmation militaire 2014-2019 adoptée en décembre dernier, que soient garanties, malgré les restrictions budgétaires, ses «missions» d’ interventions extérieures et qu’elles soient recentrées : « le champ prioritaire d’intervention militaire de la France s’étend de l’ouest de l’Afrique à l’océan Indien », est-il réaffirmé comme axe d’ une politique désignant l’Afrique comme «zone d’intérêt prioritaire». Sous un nouvel habillage, on réaffirme la défense des «intérêts stratégiques», et la justification de cette exception française : s'arroger un droit de quadriller militairement toute une partie d’un continent censé être indépendant et souverain. 

Au sommet France Afrique de décembre, on a parlé de «reconquête», mais pas de démocratie, ni de coopération pour combattre les inégalités sociales et mettre fin au pillage économique de la part des milieux d’affaires, ni des multinationales qui ont souvent les moyens de dicter aux Etats leur propre volonté en fonction de leurs intérêts. Il faut changer de politique à gauche. C’est valable sur le front intérieur, social et économique, et aussi sur le front de la politique étrangère. 

Une politique de gauche, et on s’en éloigne avec ce gouvernement, consisterait à mettre fin à l’intervention dans les affaires intérieures des ex-colonies longtemps maintenues sous tutelle économique et politique, initier une véritable coopération avec l’Union Africaine et se désengager militairement, plutôt que de décider unilatéralement d’intervenir sur le continent et d’étendre sa présence militaire. Et redonner au Parlement le pouvoir de décider en toute transparence des accords de coopération et des accords de défense, de mettre sur pieds un contrôle de l’action des multinationales ... Si une interposition multilatérale est nécessaire pour écarter les menaces d’implosion du pays dans la violence, elle ne peut résoudre les questions vitales pour le peuple centrafricain sans que celui-ci en soit l’acteur principal. 

Notre solidarité doit aller d’abord aux forces de la société civile centrafricaine : syndicats, partis, religieux, associations de femmes, de jeunes, ONG locales, qui se manifestent en refusant les dérives des deux camps de cette guerre civile. Même affaiblies dans un pays dévasté, elles sont les seules en mesure de prendre en main un processus de transition pour redéfinir une Constitution, une représentation démocratique, une légitimité populaire, et s’engager dans la voie d’un développement indépendant. 

Déclaration de l'Equipe d'Animation Nationale (EAN) d'Ensemble, le 18/01/14.

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