mardi 8 janvier 2013

Depardieu et Poutine, par Radoslav Pavlovic


Parler de cette affaire, dont se délecte la presse, dite sérieuse ou celle de caniveau, serait sans objet dans cette feuille politique [1] s’il ne s’agissait que des odeurs de caniveau ou des couloirs d’avion. Or l’histoire de Depardieu, qui en vingt quatre heures remplace ses amours belges pour l’amour exclusif pour Poutine (merci pour la bourgeoisie hospitalière belge !), n’est pas l’affaire de son ego plus gros que son ventre, pas plus que l’affaire de l’argent à planquer quelques parts. C’est une affaire hautement politique qu’on passe facilement sous silence. 

Tandis qu’une grande partie de nos concitoyens s’enfoncent dans la misère, les nantis du spectacle – portes drapeau du cocorico français (Depardieu, Bardot…), de ceux qui pendant presqu’un siècle disaient aux communistes « Cocos, allez à Moscou si vous n’aimez pas la France » – optent, à l’instar de tous les bourgeois de tous les temps, pour leur intérêt de classe avant tout. Le patriotisme dans le monde où l’argent est roi est inventé pour les imbéciles. Leur amour soudain pour la Russie n’est pas l’affaire de l’argent ni des éléphants, mais de choix politique prémédité. 


Le chef de l’Etat russe, privatisé par le consortium mafieux comme de tous les biens nationaux de quelque valeur que ce soit, et coiffé par les organes héritiers du KGB, n’a pas besoin de l’argent de Depardieu. Il en dispose mille fois de plus. En délivrant le passeport à l’acteur français en trois heures, il fait savoir qu’il tient à avoir cette tête d’affiche à tout prix, qu’il est prêt de dépenser de l’argent au lieu d’en recevoir pour le ridicule fisc russe (13% d’impôt pour tout le monde). 

Poutine, qui a mis en place le troisième despotisme russe en deux siècles – après celui du tsar et celui de Staline – dispose dès maintenant des bandes fascistes « Nachi » pour combattre les moindres germes de résistance ouvrière et de jeunesse avide de liberté. Pour les petits enfants et arrière-petits enfants des cosaques il a sorti du placard les uniformes clinquants de leurs ancêtres. Il a verrouillé à mort un grand pays, dont le poids était depuis des siècles décisif pour la destinée des peuples européens. C’est un ours endormi. Il dispose d’un Etat puissant, utilisé à des fins réactionnaires sur toute la ligne, il a de l’argent en proportion inverse avec la misère du peuple russe, mais il est politiquement isolé. 

Ainsi plus d’un ami de Sarkozy ou de Berlusconi – cet autre ami de Poutine – sont amenés à devenir automatiquement, instinctivement et infailliblement amis de la « Russie glorieuse ». Pour s’y rendre, ils ont un joli train direct Nice-Moscou pour 5000€. 

Le vice-premier ministre russe invite les nantis des paradis fiscaux – peu sûrs, car îles ou roches sans armée – à s’installer sous la protection d’un Etat « digne de ce nom ». Il ne se trompe pas : parmi les mafieux et fraudeurs de fisc nationaux il y a plus d’une affiche attrayante pour les besoins politiques du Kremlin. C’est même une mine d’or, aussi riche que les puits du gaz au nord de Sibérie. 

La preuve de l’enjeu politico-mafieux est l’intimité de Depardieu, le grand adepte des enseignements de saint-Augustin, avec Kadyrov, ce voyou sans foi ni loi, qui a fait sur les ruines de son pays provoquées par les bombes russes un véritable camp de concentration, surplombé de villas kitch des mafieux. 

L’histoire est plus que symbolique : le petit peuple tchétchène, fier et montagnard, lutte depuis deux siècles contre le despotisme grand-russe, à quelques entr’actes près. Pour vie il n’a eu que lutte pour survie, lutte incrustée au fils de générations dans son gène. 

Et quel contraste entre ce faux et hypocrite grand Russe qu’est devenu Depardieu, véritable Raspoutine débauché dans la vie comme sur l’écran, avec cette merveilleuse femme qu’était Anna Politkovskaïa, fine et intelligente, véritable Russe celle-là, qui a payé de sa vie l’engagement plus que courageux dans la défense des droits légitimes du peuple tchétchène. 

 Radoslav Pavlovic 

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 Notes[1] Article à paraitre dans une feuille titrée « Lutte des classes » et publié sur le site ESF.

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