lundi 5 février 2018

Syrie (Nord) et Turquie : Ankara lance une nouvelle guerre contre les Kurdes à Afrin, par Joseph Daher

Depuis le 20 janvier 2018, l’armée turque assistée par des milices à la solde de la Turquie de l’opposition armée syrienne, en grade majorité des forces conservatrices islamiques et réactionnaires, a lancé une offensive aérienne et terrestre à grande échelle, baptisée « Opération Rameau d’olivier » sur la province d’Afrin située au nord-ouest de la Syrie avec une population majoritairement kurde contrôlée par Parti de l’Union Démocratique (PYD) et ses Unités de Protection du Peuple (connus sous les noms des YPG). 

Plus d’une soixantaine de civils (Kurdes, Arabes, Arméniens et autres) ont été tués depuis le début de l’opération et de nombreuses destructions ont été causées par les bombardements de l’aviation turque. 

Au même moment, le régime autoritaire et criminel de Bachar al-Assad et l’aviation russe continue ces bombardements et ses offensives militaires contre les régions de la Ghouta orientale et d’Idlib qui ont causé la mort de plusieurs centaines de civils et des déplacements de populations civiles massifs ces dernières semaines. Il y a un consensus entre toutes les puissances internationales et régionales pour le maintien du régime meurtrier à Damas avec Bachar al-Assad à sa tête au nom de la « guerre contre le terrorisme ». C’est ce consensus qui donne « carte blanche » au régime syrien de continuer ses crimes à une large échelle. 


Turquie : une attaque militaire pour mater toute résistance kurde 

L’armée turque a utilisé comme prétexte l’annonce par un porte-parole militaire de la coalition internationale dirigée contre les Etats-Unis contre le groupe djihadiste de l’Etat Islamique (EI) de la mis en place d’une force frontalière de 30 000 hommes sous le commandement des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), qui sont dominés par les forces kurdes des YPG. Ankara considère les YPG et le PYD en Syrie comme une extension du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), que les États-Unis, l’Union européenne et la Turquie ont qualifié d’organisation terroriste. Selon Ankara, la décision des États-Unis signifiait que le partenariat entre les États-Unis et les YPG ne se terminerait pas avec l’effondrement de l’EI, comme l’avait espéré le gouvernement turc. 

Le président autoritaire turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que l’opération contre Afrin serait suivie par une autre contre la ville de Manbij, aussi contrôlée par les PYD, et qu’il « nettoierait toute présence terroriste à sa frontière ». Ankara désire avec cette offensive mettre en place une « zone de sécurité » de trente kilomètres à partir de sa frontière. 

Le Premier ministre turc, Binali Yildirim, a défendu l’opération en affirmant qu’elle visait uniquement à garantir la sécurité de son pays et à protéger les Arabes, les Kurdes et les Turkmènes contre les « organisations terroristes ». 

En Turquie, plusieurs centaines de militants et des journalistes ont été interpellées dans plusieurs villes et près d’une centaine de mandats d’arrêts émis depuis le début de l’opération « Rameau d’olivier » pour avoir critiqué l’intervention militaire turque contre Afrin. 

En même temps, Erdogan a menacé de répression violente les partisans du Parti Démocratique des Peuples (HDP) en cas de mobilisations dans les rues du pays. Erdogan a également accusé ‘Union des Médecins Turcs, qui avait dénoncé la campagne militaire contre Afrin et appelait à la paix, d’appeler à la trahison nationale et d’être esclaves et des serviteurs de l’impérialisme. 

Le lendemain des accusations d’Erdogan, un procureur turc a ordonné la détention de 11 membres importants de ‘Union des Médecins Turcs’, y compris son président, sous les accusations de « propagande en faveur d’une organisation terroriste et de provocation du public ». 

À l’exception du HDP, le reste des principaux partis en Turquie, y compris le mouvement fascisant du Parti de l’Action Nationaliste (connu sous le nom de MHP) et le Parti républicain du Peuple, kémaliste, (connu sous le nom de CHP), soutiennent l’intervention militaire turque. 

La coalition syrienne coupable 

La Coalition nationale syrienne des forces de la révolution et de l’opposition syriennes (Etilaf), composée principalement de personnalités et de groupes libéraux et conservateurs islamiques, a non seulement soutenu l’intervention militaire turque et continué ses politiques chauvines et racistes contre les Kurdes en Syrie, mais participent également à cette opération en appelant les réfugiés syriens en Turquie à rejoindre les groupes d’opposition armés syriennes qui se battent à Afrin. 

Les combattants syriens à la solde d’Ankara ont multiplié les discours racistes contre les kurdes depuis le début de l’opération militaire, et ont même mutilé une combattante des YPG et l’ont exhibé dans des vidéos. 

La responsabilité de l’opposition syrienne de l’Etilaf, dominée par les forces libérales et islamiques conservatrices, portent une responsabilité importante dans l’opération militaire contre Afrin et les crimes quotidiens qui y sont commis. Ils ont appelé à une intervention militaire turque depuis longtemps et ont encouragé le chauvinisme arabe et le racisme contre les Kurdes, tout en justifiant et soutenant même la présence de mouvements islamiques fondamentalistes. 

Acceptation et complicité au niveau internationale 

Malgré une déclaration du ministère russe des Affaires étrangères exprimant sa « préoccupation » et appelant les parties à « faire preuve de retenue mutuelle », Moscou, qui contrôle une grande partie de l’espace aérien syrien, a donné son feu vert à cette invasion et a retiré ses forces des zones ciblées par les forces armées turques. Avant le début de l’intervention militaire turque, les autorités russes avaient demandé aux YPG de remettre Afrin au régime dictatorial syrien pour empêcher une offensive turque contre la région. 

Les États-Unis de leurs côtés ont appelé la Turquie à faire preuve de retenue et à faire en sorte que ses opérations militaires restent limitées dans leur portée et leur durée, tout en disant comprendre les inquiétudes sécuritaires d’Ankara. Washington a d’ailleurs promis l’arrêt de l’envoi d’aides militaires aux FDS à la suite de discussions entre le président Trump et Erdogan, selon Ankara. 

Le 31 janvier, la Turquie a monté le ton contre les États-Unis en l’exhortant à cesser leur soutien aux combattants des YPG kurdes au risque d’affronter les forces turques sur le terrain en Syrie. À Washington, le Pentagone a répondu qu’il suivait attentivement les armes fournies aux YPG et poursuivrait les discussions avec la Turquie, tout en ajoutant que l’opération de la Turquie dans Afrin n’était pas utile et se détournait de la lutte contre l’EI. 

Il faut également noter l’absence des deux principaux acteurs politiques kurdes syriens, le PYD et le KNC, qui ont boycotté la conférence de Sotchi sous l’égide de Moscou, une nouvelle tentative de « conférence de paix », intitulée Congrès du dialogue national syrien, afin de réunir les différents acteurs du conflit syrien. La coalition syrienne a également le congrès. Le PYD a estimé que le congrès de Sotchi avait perdu tout son sens après que la Russie ne s’est pas opposée à l’offensive militaire de la Turquie à Afrin et au contraire a collaboré avec Ankara. Le KNC a décidé de ne pas participer après que Moscou ait refusé d’accepter leurs demandes qui incluaient principalement la cause kurde en Syrie pour être l’un des agendas principaux du congrès et après la coopération de Moscou avec l’offensive turque contre Afrin. Non le PYD et le régime Assad ne sont pas des alliés… 

Face à cette situation, le gouvernement autonome d’Afrin, sous domination du PYD, a appelé le régime de Damas à exercer son devoir souverain envers Afrin et à protéger ses frontières avec la Turquie des forces d’occupation turques. Le régime d’Assad a dénoncé thétoriquement depuis le début l’intervention turque contre Afrin et a menacé d’abattre les avions turcs qui agiraient dans son espace aérien. Ces menaces sont restées lettre morte. 

La collaboration de la Russie à l’offensive militaire turque et la faiblesse militaire de Damas ne permettent pas le régime d’Assad de mettre un terme « l’Opération Rameau d’Olivier ». 

En même temps, le régime syrien alors voir avec un certain intérêt l’affaiblissement des forces YPG et espère probablement dans un futur règlement à travers la Russie récupérer ces territoires. Pour certains l’appel du PYD au régime Assad est un signe de l’alliance entre les deux acteurs, cela est loin d’être le cas. 

Contrairement à ce qui a été dit par certains, le PYD n’a jamais été un allié du régime même si ils ont eu à des moments donnés des intérêts communs ou des collaborations, qu’il faut bien sûr dénoncer et critiquer, comme la prise de territoires avec l’aide de la Russie en février 2016 dans le nord de la province d’Alep. D’autres exemples peuvent être cités. Plutôt que de considérer le PYD comme un chargé de mission (ou proxy) d’Assad, nous pouvons considérer que le PYD a joué un rôle bénéficiant à la fois à lui-même pour étendre son pouvoir et influence d’un côté et au régime d’Assad de l’autre. 

Le PYD a cherché à tirer avantage du manque de sécurité, et a étendu le territoire qu’il contrôlait. Il s’agissait d’un accord pragmatique de non-agression, comportant des périodes de conflits. Mais cette situation ne pouvait pas exister durablement, comme on peut le voir ces derniers mois. Damas a d’ailleurs refusé d’accepter un acteur rival dans les territoires repris à l’EI au Nord du pays, comme en témoigne la multiplication des affrontements avec les FDS depuis plusieurs mois. 

Mi-septembre, malgré le déni officiel de Moscou, les forces aériennes russes ont ciblé les FDS à deux reprises au nord-est du pays, près de Deir Zor. Le régime d’Assad considère d’ailleurs Raqqa comme étant toujours une ville occupée et a promis de restaurer son autorité sur l’ensemble du territoire national. Les régions contrôlées par les FDS sont, de plus, riches en ressources naturelles, pétrole et agriculture. 

 Assad a déclaré de façon répétée qu’il refusait toute forme d’autonomie des Kurdes de Syrie. De même le régime Assad, les FDS sont des « traîtres », des « terroristes », une « force étrangère illégitime » soutenue par les États-Unis qu’il faut expulser. 

Conclusion 

L’actuelle opération militaire turque contre Afrin et l’échec du référendum au Kurdistan irakien en Octobre 2017 montrent à nouveau que les puissances internationales et régionales ne sont pas disposées à voir se réaliser des aspirations nationales ou autonomistes kurdes. Il est évident que le soutien de Moscou et de Washington aux YPG à différentes périodes et le soutien des YPG à la campagne aérienne et militaire russe aux côtés du régime d’Assad lancée fin septembre 2015 n’ont pas empêché l’agression militaire d’Ankara contre Afrin. 

Le soutien au droit à l’autodétermination aux peuples kurdes dans les différents pays de la région, qui d’ailleurs peut prendre diverses formes telles que l’indépendance, le fédéralisme ou la reconnaissance du peuple kurde comme une entité ayant des droits égaux dans un État, est une nécessité. 

Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous sommes a-critiques des forces qui la mènent. Cependant, la collaboration de certaines forces kurdes avec les forces impérialistes ne peut pas être utilisée pour justifier le refus du droit à l’autodétermination du peuple kurde, comme l’ont fait certains, ou les accusé d’être des pions impérialistes. 

Comme l’a dit le révolutionnaire russe Vladimir Lénine : « Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre “grande” puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d’elles-mêmes, que les nombreux exemples d’utilisation par la bourgeoisie des mots d’ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme. » 

Ce qu’il est important de comprendre ici, c’est que les régimes autoritaires et les acteurs impérialistes ont utilisé les Kurdes dans le passé pour servir leurs intérêts avant d’être sacrifiés lorsque ces intérêts changeaient. Cela s’est produit avant, se produit aujourd’hui et probablement se reproduira. 

Dans cette perspective, l’unité et l’indépendance des classes populaires et ouvrières sans aucune forme de discrimination (race, religion, genre, etc.) dans la région est bien entendu le seul moyen de libération et d’émancipation de toutes et tous. Les luttes ouvrières ne suffiront pas à elles seules à réunir les classes populaires. 

Les socialistes dans ces luttes doivent aussi défendre la libération de tous les opprimé-e-s. Cela exige de revendiquer des droits pour les femmes, les minorités religieuses, les communautés LGBT et les groupes ethniques opprimés. Cela signifie également soutenir le droit à l’autodétermination des populations kurdes dans toute la région. 

Plus largement pour la Syrie, la situation actuelle à Afrin reflète la faiblesse de l’ensemble des acteurs démocratiques en Syrie face au regain de puissance du régime de Bachar Al-Assad soutenu par ses alliés et la volonté des puissances régionales et internationales de mettre fin complètement au soulèvement populaire débuté en mars 2011. 

 J’avais écrit cette conclusion à un article intitulé « Kobani, la question Kurde et la Révolution Syrienne, un destin commun »1 en Octobre 2014, qui malheureusement à bien des égards se réalise : « Une défaite du processus révolutionnaire syrien et de ses objectifs marquerait très probablement la fin de l’expérience des régions autonomes du Rojava et des espoirs du peuple Kurde de décider de son propre avenir face à l’opposition de plusieurs acteurs : les impérialismes occidentaux et russes, le nationalisme chauvinisme turque et arabe et les forces réactionnaires islamiques. Dans l’autre sens, le processus révolutionnaire syrien ne serait pas complet sans la possibilité du peuple kurde de décider librement de son avenir : la séparation ou la participation et la lutte avec tous les démocrates et progressistes pour une Syrie démocratique, sociale et laïque avec ses droits nationaux garantis. C’est pourquoi nous devons nous opposer à toutes les tentatives de compromettre l’auto-détermination du peuple kurde et la révolution syrienne car leurs destins sont liés, que cela soit du régime d’Assad, des forces islamiques réactionnaires, des différents impérialismes internationaux (Américain et Russe particulièrement) et régionaux (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie et Iran). Toutes les formes de la contre révolution doivent être opposés car elles veulent diviser les classes populaires à travers le communautarisme religieux et le racisme. »  

Joseph Daher 

https://syriafreedomforever.wordpress.com/2018/02/02/ankara-lance-une-nouvelle-guerre-contre-les-kurdes-a-afrin-en-syrie/ 

https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article43042

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