lundi 21 octobre 2013

Grèce : "L’essentiel est fait. Le monde du travail, celui des salaires et de la dignité est ainsi brisé" par Panagiotis Grigoriou


Un homme âgé de 26 ans s’est jeté jeudi 17 octobre 2013 au matin du pont de Rion-Antirion, il relie le Péloponnèse à la Grèce continentale? C’est le pont avec la deuxième plus grande longueur de tablier haubané au monde après celui du viaduc de Millau (France). C’est ainsi on dirait que nos suicides prennent ainsi… une certaine hauteur dans les symboles. 

Un autre homme «mais un immigré», précise alors une certaine presse, menaçait de se suicider toujours jeudi, cette fois, depuis les hauteurs du RER athénien. Il a été sauvé et aussitôt mis en état d’arrestation… pour «entrave à la circulation». Un troisième homme, qui menaçait de ce même acte ultime depuis le toit de l’hôpital KAT mercredi 16 octobre dans la matinée, a été également sauvé. Décidément tous ces symboles… seraient de saison. 


Nos médias quant à eux insistent ce dernier temps sur l’affaire (présumée, mais fort probable) des «caches d’armes au contenu destiné à l’Aube dorée». Déjà et il y a à peine dix jours, une certaine presse de pacotille médiatisait les lamentations menaçantes des chefs aubedoriens: «Nous prendrons les armes et le maquis. J’ai de la peine pour la mère de Fyssas [le chanteur assassiné dans la nuit du 17 au 18 septembre par un homme de main de l’Aube Dorée], mais nous aussi, nous avons nos mères». 

Ces armes sont en tout cas et probablement… les leurs; et en Grèce de la Troïka c’est déjà un temps d’automne. Les parapluies étant de saison, sauf que nos manifestants ne se découragent pas. 

Mercredi 16 octobre devant le ministère de l’Économie, par exemple, les femmes de ménage manifestèrent leur colère après avoir passé leur nuit devant le bâtiment. Car elles ont été toutes licenciées, désormais, leur service sera privatisé. Nous les regardions, nous autres passants du jour ainsi que les journalistes, alors hurler leur injustice, mais inlassablement souriantes. 

Le quotidien athénien est ainsi composé de tant de luttes éparpillées et symboliques, sauf que ces symboles sont bien vifs, autrement dit, ils «travaillent» les mentalités. «Tiens, mon neveu a trouvé du travail pour 180 euros par mois et à mi-temps. Alors chère Anna… notre décrépitude est alors totale. Quelle honte!», dialogue entre deux promeneuses devant le ministère des… «nettoyées», au moment de la manifestation. 

L’essentiel est fait. Le monde du travail, celui des salaires et de la dignité est ainsi brisé. 

Vivre et survivre «sous la direction» de la crise, qui plus est, sous un régime notoirement méta-démocratique oblige à observer un certain mutisme, supposons-le, voué à l’attente. Et le travail de deuil finira peut-être un jour, qui sait? 

Sauf que tout le monde ici est littéralement pilonné par un flot ininterrompu en mauvaises et tristes nouvelles depuis plus de trois ans. Les neurones craquent, les gens ne sont pas habitués à traiter tant d’informations anesthésiantes en si peu de temps, d’où une certaine apraxie. Pour avancer il faut si possible passer outre. Ce n’est guère évident. Car les «citoyens» ainsi «éduqués» à la consommation de masse et à l’imagerie du méta-monde ne deviendront pas ces… super-héros du nouveau siècle, rien que par leur mise à mort, déjà économique. D’ailleurs certains ne la voyaient même pas venir il y a encore à peine six mois. 

Le temps est d’autant si provisoire, lorsqu’également tout «sujet encore pensant» de ce pays, doit surnager dans un océan de stimuli parasites, et ainsi péniblement trier pour en extraire le moins insignifiant possible, proposant une première explication et en même temps témoignage, issus de la «crise»; notons qu’en grec, le terme «témoignage» est autant celui de «martyre». 

C’est ainsi que ce blog relèverait (aussi) du «témoignage martyrique», car il opère justement ce tri nécessaire dans la… déchetterie des nouvelles accablantes, mais enfin aussi parfois de certaines bonnes nouvelles. Comme cette remise en liberté de ces deux hommes parmi les inculpés résistants contre les mines d’or à Skouries au nord de la Grèce [accusés d’organisation criminelle pour lutter contre l’établissement d’un mine d’or dévastatrice pour l’environnement ; une lutte qui dure depuis plus de deux ans]. 

Pour le «gouvernement» qui utilise ainsi l’affaire de l’Aube dorée, toute lutte sociale devient alors synonyme de crime et de délit. Pratiquer l’amalgame entre les «nettoyeurs des tranchées» de l’Aube dorée et les habitants qui résistent à Skouries (et potentiellement partout ailleurs) n’est pourtant pas un jeu sans risque et c’est bien triste déjà. Y compris pour les initiateurs. 

L’escalade est évidente, la méta-démocratie tout autant, sauf que rien n’indique que la… fin de l’histoire, de notre histoire, c’était en 2012. Même si souvent nos telles joies sont alors bien brèves, on s’y fait car «nous attendons notre heure… elle arrivera» comme on entend dire souvent et pas qu’à Skouries. 

Jeudi 17 octobre au matin, des membres du personnel hospitalier à Corfou ont séquestré les «contrôleurs» dépêchés sur place par le ministre de la Santé (des banques?), Adonis Georgiadis, transfuge du parti d’extrême-droite LAOS (Alerte populaire orthodoxe). Et Georgiadis, annonce déjà sur une chaîne de télévision, le licenciement (la mise en «disponibilité») des agents qui ont provoqué l’incident. 

Pratiquement au même moment, leurs confrères (et) manifestants d’Athènes rencontrés en début de semaine devant le «Parlement», n’avaient pas très bonne mine. Résignés, certains d’entre eux lisaient alors visiblement sceptiques Rizospastis, le quotidien du PC grec, le KKE. Nous récoltons ainsi ce grand mauvais temps, nouvelle après nouvelle. Une telle démarche devient d’autant plus laborieuse, lorsque la nécessaire mise en distance relève alors et chaque jour davantage d’un exercice d’acrobate. 

Déjà fin octobre 2013 et en ce moment, nous nous attendons à une probable intervention forcée et violente et qui serait alors décidée (et imminente?) par le gouvernement pour ainsi évacuer le bâtiment de la nouvelle ERT (radio télévision d’Etat) autogérée. Pour la forme, Antonis Samaras (Premier ministre) aurait «suggéré» à 32 de ses députés de signer un texte déjà amplement médiatisé «exigeant la fin de l’anomie et à de cette délinquance actuelle». Parmi les signataires, Mihalis Tamilos, ancien maire de Trikala en Thessalie, lequel d’après certaines sources, n’aurait pas hésité à bousculer une femme policière la semaine dernière. Elle réglait la circulation dans un embouteillage lorsque Tamilos excédé d’attendre comme tout le monde aurait alors exigé qu’on lui accorde la priorité immédiate. La policière l’aurait ignoré, ce qui aurait mis… l’élu du peuple Trikaliote hors de lui. «Moi, je dois passer, car je bénéficie de l’immunité parlementaire contrairement à tous les autres automobilistes dans cet embouteillage», aurait-il dit. Un banal embouteillage parfois en dirait long sur l’insignifiance de certains «représentants», et autant sur celle, certainement plus dramatique des électeurs. Surtout si ces faits se précisent alors davantage. 

Ce qui est important dans cette histoire (s’agissant d’ERT et non pas des 32 députés) tient de l’échec partiel du pronunciamiento de Samaras sur la radiotélévision publique. À défaut de contrôler le bâtiment (ERT), le pseudo-événement de la présidence grecque à l’Union Européenne (à partir du 1er janvier 2014), ne peut pas être suffisamment couvert. Car évidemment, l’hybride de la nouvelle radiotélévision publique «DT» du régime… Samariste, ne peut pas assumer ce rôle. Ce qui ne veut pas dire que la «DT»… ne fonctionne pas. 

Dans un «docu-reportage» diffusé le 6 octobre, le journaliste de la DT depuis Berlin, interrogeait ces Grecs exilés économiques, d’ailleurs tous… enthousiastes, pour ainsi conclure que, «Berlin serait la solution de sortie alors ville accueillante, organisée et même moins chère qu’Athènes»

Aux antipodes de cette nouvelle métropolisation en Europe et de son… imagerie délibérément entretenue, chez ERT, et en émettant de manière «pirate» depuis une fréquence numérique pour la région d’Athènes, on diffusait un documentaire sur la vitalité des musiques traditionnelles des espaces insulaires en mer Égée. En Grèce, il y aurait dès lors deux mondes et plusieurs territoires. 

Le «success-story» (économique) du gouvernement Samaras prend fin sur les places d’Athènes, écrit notre hebdomadaire satirique et politique To Pontiki (La souris), daté du 17 octobre. D’après son enquête, plus de 20’000 sans-abri survivent en ce moment dans la capitale, les deux tiers d’entre eux, ont perdu leur emploi et ensuite leur logement durant les deux dernières années. Et un sans-abri sur cinq déjà a – au moins une fois – tenté de se suicider. 

«La barbarie impitoyable des Troïkans locaux exerce une violence sans précédent sur notre société. Le monde dont ils rêvent ces gens, le ministre de l’Intérieur Nikos Dendias ou Antonis Samaras, c’est celui d’un pays désertifié, inhabité, sous le règne de la seule violence acceptable et légale, celle du terrorisme de leur prétendu État de droit. Depuis le moment maudit où la violence bestiale qu’exercent les créanciers nous a imposé le régime du mémorandum, la sauvagerie devient alors une habitude quotidienne. Le but du gouvernement Samaras – Venizélos [dirigeant du PASOK] c’est de terroriser les gens, les rendant ainsi incapables d’agir sous ce régime de la peur. Ils se retireront alors chez eux pour mourir isolés, chacun dans son trou, en dehors de toute solidarité et sans aucun espoir pour l’avenir”, écrit To Pontiki du 17 octobre. 

Ce samedi 19 octobre à Athènes, un débat sera organisé et initié par le petit grand monde de la Gauche, dont le thème est: «Rester ou alors partir? Irons-nous émigrer en Europe ou au contraire, nous resterons ici chez nous, pour lutter au pays ?». 

Je remarque déjà deux évidences, d’abord les questions pertinentes sont désormais posées et ensuite, s’agissant de l’Europe, elle devient de plus en plus un ailleurs lointain. Alekos Alavanos, ancien chef de SYRIZA et initiateur du mouvement du «Plan-B» était l’invité du journal télévisé ERT mercredi 16 octobre. Il a souligné que «le retour à la monnaie nationale relève d’une politique de fond, d’ailleurs douloureuse, mais néanmoins obligatoire pour ainsi espérer reprendre en main la situation. Insister comme le fait l’actuel SYRIZA sur la renégociation de la dette ou sur la fin du mémorandum sans pour autant quitter la zone euro, voire carrément l’UE, tout cela consiste à mentir tout simplement. Il faut dire la vérité aux gens et donc les emmener devant leurs propres responsabilités. C’est la seule issue réalisable, autre que la situation actuelle, et il va falloir la risquer. Être simplement anti-mémorandum ne signifie plus rien dans la mesure où la vraie économie est désormais pratiquement détruite dans ce pays, et où la chute du PIB de 25% constitue une première mondiale pour un pays qui ne se trouve pas en état de guerre. La recomposition obligatoire de la scène politique ainsi que les mobilisations d’en bas, sont alors capables de libérer les énergies et combattre la peur, évidemment, sous certaines conditions. Ensuite, tout deviendra autant une question de volonté que de psychologie, comme on s’exprime parfois au sujet de l’économie. Et ce ne sera plus qu’une affaire grecque. À partir du moment où un premier pays se décidera à quitter la zone euro, tout l’édifice va s’effondrer. Cette carte nous pouvons et nous devons la jouer». 

Alors, on comprendra à l’occasion, combien ce… prolongement historique de la radiotélévision ERT se transforme en une affaire si gênante pour le régime d’Antonis Samaras. C’est vrai que l’unique lutte contre le mémorandum devient une attitude surannée et simpliste car dépassée par les conséquences de la violence générée par les extrémismes politiques, aux commandes en Grèce entre 2010 et 2013. 

Ce n’est pas rien que de déchirer à la fois la Constitution, et un certain (ou plutôt un incertain) contrat social. À présent on peut même périodiser l’affaire du mémorandum. 

D’abord, il y a eu cette phase du proto-mémorandum, de 2010 à 2012, un moment de forte protestation populaire à partir d’un corps social encore presque entier pour ce qui est de son existence économique et symbolique. 

Ensuite, il y a eu la période débutant au moment dramatique des élections législatives de 2012 pour «aboutir» en juin 2013, à la «mort subite» de la radiotélévision publique ERT. Ce fut une accélération dans le plagiat du régime démocratique, déjà très problématique depuis des années pour l’exprimer ainsi… mais néanmoins existant. 

Dès juin 2013 le régime du plagiat s’est mis en marche forcée pour alors aboutir à un autoritarisme de type inédit, où pour l’instant, seule la (presque) libre expression subsiste encore du passé démocratique. D’ailleurs elle est bien surveillée et autant insidieusement parasitée par le discours imposé par les (multi)médias de ce même régime. Sauf qu’il suffit de… baisser les yeux pour voir. 

À Athènes ce matin du 18 octobre, devant les locaux de la Banque de Grèce, une femme très âgée n’arrivait plus à dissimuler ses larmes. Elle «proposait» ses quatre paquets de mouchoirs en papier aux passants, évidemment pour survivre. Sa photo ne serait pas acceptable, d’ailleurs et volontairement elle n’existe pas. Dans le quartier où les passants peuvent aussi avoir honte, on fait malgré tout boire ou manger nos animaux a-despotes. C’est également prendre… une certaine hauteur dans les symboles. 

(18 octobre 2013, publié sur le blog de Panagiotis Grigoriou)

traduction et repris du site A l'encontre http://www.alencontre.org

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