mardi 16 juillet 2013

Egypte : face aux fausses alternatives du pouvoir capitaliste, il faut défendre la lutte des masses et l'indépendance de classe pour la révolution sociale, par Paco Fernandez


Notre organisation a diffusé le 5 juillet dernier, après quelques jours de débat, un premier communiqué sur ce qui se passe en Egypte. Dans ce communiqué, nous avons voulu mettre en avant la pertinence du processus révolutionnaire en cours, sa portée à l'échelle mondiale. Et surtout, pointer le rôle de secteurs de la société égyptienne qui ne sont pas représentés par les médias de masse : les jeunes, les femmes, les travailleurs radicalisés avec leurs organisations syndicales indépendantes... 

Ces secteurs, leurs « pratiques d'auto-organisation, d'autogestion et de citoyenneté active » pour la lutte, sont le plus important pour nous. Parce que « ce qui émerge de cette mobilisation populaire égyptienne » contribue au processus révolutionnaire. 

Certains camarades ont signalé, à raison, que l'analyse devait être affinée, devant l'importance du processus égyptien et la gravité de la situation. Chose à laquelle s'emploiera spécifiquement notre publication Rouge & Vert. 

Dans cette optique, je souhaite apporter ma contribution, à partir de notre communiqué et de l'analyse que nous faisons dans notre organisation sur les « révolutions longues ».
 


 « Les Alternatifs seront particulièrement attentifs...à toutes les tentatives de négation du caractère profondément démocratique et sociale de cette mobilisation ». Ce qui se déroule en Egypte (comme dans d'autres parties de la planète) peut se comprendre seulement si on l'analyse comme un PROCESSUS de luttes de masse sans séparer les différents moments et événements de l'ensemble du processus. 

Nous pouvons utiliser un concept qui se montre valide à chaque fois dans ces processus. Je fais référence au concept de Grève (Politique) de Masse tel qu'il fut formulé par Rosa Luxemburg à partir de son analyse du processus révolutionnaire en Russie jusqu'en 1905. Nous sommes en train de parler : 

1. d'un processus de luttes en interrelations de manière très complexe et sans une claire linéarité. Il ne s'agit pas d'un simple ensemble de luttes isolées, et encore moins d'une lutte dirigée ou contrôlée par une élite ou une organisation spécifique, comme les médias du système souhaitent nous le faire croire. Nous devons nous rappeler que quelques jours avant les premiers rassemblements massifs Place Tahrir, ces mêmes médias faisaient la promotion de nombreux « analystes intellos », à commencer par des égyptiens, qui niaient à la télévision la possibilité que l'exemple tunisien puisse s'étendre à l'Egypte, mettant en avant « l'ignorance » du peuple égyptien. En réalité, en plus de sous-estimer ou de nier les précédentes luttes (très pertinentes pour le processus), ils étaient seulement en train de démontrer leur incapacité à reconnaître l'imprévisibilité des mobilisations de masse, dans lesquelles la spontanéité est toujours très importante. Ce sont les mêmes qui aujourd'hui essayent « d'enfermer » la révolution égyptienne dans des explications schématiques qui répondent aux intérêts du pouvoir. 

2. d'un processus de luttes qui reflètent toutes les inquiétudes et tous les désirs de la société égyptienne ainsi que ses propres contradictions. Ces luttes apparaissent à chaque moment centrées sur quelques revendications concrètes de caractère économique, politique, social...mais elles possèdent en elles-mêmes l'aspiration à un changement global comme le montrent : 

-les continuels changements dans la « centralité » de ces revendications : meilleurs salaires ou conditions de travail, droits sociaux, situation de la femme, refus de la faim et de la misère, opposition aux formes dictatoriales et autoritaires, à la corruption... 

-Les liens chaque fois plus important entre les revendications, conséquences des luttes partagées entre plusieurs mouvement et militants, et l'extension de la conscience de globalité chez les gens qui luttent. 

-la persistance de l'insatisfaction face aux supposées solutions partielles aux revendications concrètes et face aux « rythmes lents » du pouvoir, à ses demandes de « patience ». 

Cette analyse a une conséquence pratique pour les militants et les organisations révolutionnaires : il faut soutenir sans hésitation le processus de luttes en Egypte. Sans nier ses contradictions et en distinguant les forces, les propositions et les actions qui servent la révolution de celles qui essaient de la manipuler ou de la détruire. 

Dans cette optique, il faut tout particulièrement soutenir les luttes des travailleurs contre l'exploitation du travail et avec des propositions déjà clairement politiques (qui continuent d'exister, surtout dans les régions voisines du canal de Suez, notamment à Port Saïd, ce dont ne parlent pas les journaux télévisés) ; les luttes des femmes, dans un pais machiste, et d'abord pour jouer un rôle important et non assujetti dans le processus révolutionnaire lui-même ; et les luttes des jeunes, dans un pays majoritairement jeune, contre toutes les traditions opressives. Et il faut faire preuve de beaucoup de précaution : Tharir n'est pas toute l'Egypte et Tharir n'est pas toujours occupé par les mêmes personnes. 

« Les Alternatifs seront particulièrement attentifs...à toutes les tentatives de confiscation de cette mobilisation populaire par l'armée comme par la bourgeoisie ». Contre les supposés « grands acteurs politiques » qui concentrent le travail de désinformation de médias de masse, il faut dénoncer que le gouvernement de Morsi et des frères musulmans comme l'armée et les organisations qui se sont liées à elle sont des auxiliaires du pouvoir capitaliste. Morsi, qui a gagné les élections en tant que « sauveur » face à la dictature et la misère imposées par Moubarak, a complètement déçu les attentes de la majorité de la population. Parce qu'il n'a rien changé de réellement important. Il a maintenu le système socio-économique qui avait produit cette misère (le capitalisme dépendant égyptien). Et il a essayé de « renforcer » son pouvoir en utilisant des pratiques autoritaires qui rappelait Moubarak. Dorénavant, il se présente comme le « défenseur de la démocratie » mais nous savons parfaitement quelle idée de la démocratie défendent son gouvernement et son organisation : une fausse démocratie formelle, à la rigueur représentative, dans laquelle le pouvoir reste aux mains d'une minorité qui fait seulement l’aumône au peuple. Et, dans ce cas concret, avec toutes les caractéristiques aliénantes et oppressives portées par toutes les religions : pour freiner les masses, pour soumettre les femmes et les jeunes, pour maintenir une société vertical. 

L'armée et ses partisans viennent dans leur majorité de l'ancien régime de Moubarak. Et avec les tanks dans la rue, ils ont fait un coup d'état, antidémocratique y compris vis à vis des limites étroites de la démocratie bourgeoise. Ils n'ont aucune intention de changer quoi que ce soit de substantiel : ni l'exploitation capitaliste ; ni la situation de misère subie par le peuple ; et encore moins son propre pouvoir qui les convertit en caste parasitaire dont la fonction principale est de garantir l'ordre établi capitaliste. 

Même s'il ne le reconnaissent pas ouvertement et qu'ils demandent « le retour à la normalité démocratique », les grands gouvernements, suivant en cela les indications des transnationales, voient d'un bon œil l'intervention militaire, de la même manière qu'ils virent d'un bon œil la victoire des islamistes « modérés ». Parce que la cible réelle du coup d'état n'est pas le gouvernement islamiste. 

Le coup d'état s'est produit avant tout contre la radicalisation du processus de luttes et la possibilité d'une véritable transformation révolutionnaire de tout l'ordre social en Egypte. C'est la raison pour laquelle l'armée est intervenue. 

Les images de l'acte de destitution de Morsi sont extrêmement éloquentes : tous les pouvoirs de fait, la partie la plus rance du pouvoir, unis pour la photo. Ils sont déjà en train de montrer clairement ce qu'est la « démocratie » pour eux : avec l'excuse du « salut national », ils répriment et assassinent tandis qu'ils laissent la voie libre aux éléments les plus réactionnaires, véritables tueurs au service de l'ancien régime. Il ne serait pas étrange que ce soient les mêmes derrières les viols en réunion et systématiques des femmes qui luttes dans la rue. Et ils nomment des marionnettes comme président et premiers ministres pour donner l'impression que c'est en voie de « normalisation ». 

Beaucoup de choses nous reviennent en mémoire alors que l'Egypte peut terminer comme l'Algérie (1991) ou comme la Syrie (en ce moment). Nous pourrions nous souvenir de beaucoup d'autres exemples (depuis le Chili en 1973 jusqu'à l'Espagne elle-même en 1936). Mais pas pour nous effrayer devant un chaos déjà présent dans la dynamique interne du capitalisme, plutôt pour nous souvenir qu'aucune armée est révolutionnaire. 

Devant tant d'exemple de répression de la part d'autant de pouvoirs militaires, c'est quelque chose qui doit être très claire pour les révolutionnaires. Comme le fait que nous devons toujours lutter pour la dissolution de ces mercenaires au service du pouvoir. 

Ceci a aussi une conséquence claire et pratique pour les militantes et les organisations révolutionnaires : il faut refuser les deux blocs du pouvoir, celui qui s'organise autour de Morsi et des Frères Musulmans, qui n'ont de démocrates que ce qui leur est utile pour atteindre leurs objectifs ; et celui qui s'articule autour des militaires qui ont fait le coup d'état et mené la répression. Il est aussi nécessaire d'être très prudent avec les vautours qui attendent leur tour à la table du pouvoir. Tout particulièrement avec El-Baradei, l'homme de rechange que tient prêt l'autoproclamée « Communauté internationale », le bras politique des transnationales. 

Il faut tenir ferme sur ce qui a été toujours été un principe fondamental pour le mouvement ouvrier : l'indépendance de classe. Parce que c'est une question de classes sociales et d’intérêts réels de ces classes sociales. Ce sont la bourgeoisie et le capital mondial qui ont intérêt à ce que le processus révolutionnaire égyptien se dilue dans un combat entre des élites qui aspirent seulement à le gérer. C'est le capital mondial qui est effrayé par toutes les « troisièmes » voies, autonome et créées directement par en-bas par les masses les plus larges. Ce sont les travailleurs et les exploités en général qui ne sont intéressés par aucun de ces deux côtés, qui sont seulement intéressés par ce qu'ils peuvent eux-même faire et construire sans soumission aucune au pouvoir. C'est la seule chose qui pourrait véritablement s'appeler démocratie. 

Pour autant qu'il paraît difficile de ne pas choisir entre les deux supposées options que les médias capitaliste de désinformation de masse de nous offrent comme les seules existantes, nous devons nous souvenir de ce qui était très clair pour nos prédécesseurs dans le mouvement pour l'émancipation humaine : « il n'est pas de sauveurs suprêmes : ni dieu, ni césar, ni tribun ». Parce que « l'émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Pour eux, c'étaient très clair dans la théorie. Pour nous ce doit être très clair dans la pratique. 

Paco Fernández (Militant de Los Alternativos – Alternativa Roja y Verde en el estado español) (Traduction : Arthur Leduc)

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